La tentation de l'externalisation
Soumis à la diète budgétaire et à la compression de personnel, le secteur public songe à externaliser davantage ses fonctions supports pour mieux se concentrer sur ses missions traditionnelles. Par Florent Maillet
Je m'abonneGrande première pour les ministères. Dans quelques mois, la gestion de leurs flottes automobiles, soit près de 50 000 véhicules civils, sera totalement externalisée. Un gestionnaire de k flotte sera chargé des achats d'assurance, de l'entretien, du changement de pneumatiques, du contrôle technique... La consultation est actuellement en cours pour ce marché. «Jusqu'à présent, l'Etat entretenait lui-même ses véhicula dans quelques garages ministériels, ou les confiait à des garages privés. De plus, il fallait assurer une formation du personnel interne sur trois à quatre marques différentes de véhicules», explique Jean-Baptiste Hy, responsable ministériel des achats à Bercy, maître d'oeuvre de ce marché interministériel, qui s'appuie sur une première expérience concluante menée par le ministère de la Défense (Mindef) depuis 2006. Des économies ainsi qu'un niveau de service optimum sont attendus.
Un terme utilisé avec précaution
De fait, L' externalisation s'impose aujourd' hui comme un mode de gestion à part entière dans la sphère publique. Le terme reste néanmoins utilisé avec précaution, notamment dans les collectivités locales où il peut faire peur aux usagers. Le discours justifiant la délégation de tâches non stratégiques (nettoyage, accueil, impression documentaire, etc.) à des prestataires repose sur les arguments déjà éprouvés par les entreprises qui externalisent depuis plusieurs années. En se dégageant de ces activités annexes, la personne publique peut davantage se recentrer sur son coeur de métier. En l' occurrence les missions de service public et les tâches régaliennes (justice, impôts, police...). Le glissement progressif vers ce mode de gestion s'appuie sur une équation à deux données: la nécessité de générer des économies, surtout en période de diète budgétaire, et l'amélioration de la qualité de service grâce au savoir-faire et aux technologies du prestataire. «Le contexte économique et politique est très favorable à l'externalisation, pour ces deux raisons», confirme François Lamotte, dirigeant du cabinet de conseil éponyme, qui accompagne de nombreuses collectivités territoriales et des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Pour Olivier Prats, responsable du service des moyens généraux du Mindef, un autre facteur sert de catalyseur: «La perte de compétences en interne sur certains métiers.» L'externalisation prend racine dans la réduction d'effectifs de la fonction publique: l'Etat, par exemple, ne remplace plus qu'un poste de fonctionnaire sur deux lors de départs à la retraite. «Or, les réductions d'effectifs portent principalement sur des missions périphériques, analyse Jean-Baptiste Hy (Minefi ). C'est le cas pour la gestion de flottes de véhicules. Les garages présents dans les ministères sont peu à peu fermés.»
Si les réflexions de fond sont identiques entre l'Etat et les collectivités locales, les processus se distinguent dans leur maturité. L'administration centrale ne s'est convertie que récemment, alors que les grandes lois de décentralisation ont ouvert la voie dès le début des années quatre-vingt dans les territoires. Avec les lois Defferre de 1983, les communes ont en effet récupéré des activités coûteuses telles que l'assainissement, la collecte des déchets, la gestion de l'eau ou la restauration scolaire. «Le coût de telles prestations peut difficilement être assumé en interne, d'autant qu'il s'agit souvent de matières techniques, observe Françoise Larpin, directrice nationale de KPMG secteur public. Cela a motivé des externalisations qui ont pris la forme de délégations de service public (DSP).» Désormais, la question de l'externalisation se pose pour les segments plus traditionnels des services généraux (téléphonie, impression documentaire, gestion de flotte) et sa mise en place emprunte généralement la voie plus classique des marchés publics. Déjà rodées, les collectivités se lancent dans l'ensemble assez facilement. «Le gardiennage ou la surveillance des bâtiments publics, par exemple, sont devenus des prestations classiquement externalisées», ajoute Françoise Larpin.
Ainsi, les collectivités choisissent l'externalisation pour plusieurs raisons. Selon Richard Gauvrit, directeur de la commande publique de Bezons (Val-d'Oise), la recherche du meilleur coût est bien souvent un catalyseur. Mais ce n'est pas le seul. «Ce choix intervient assez souvent après avoir constaté un manque de moyens pour réaliser une tâche, constate cet ancien acheteur du privé (TDF). Une activité mal réalisée en interne et générant des plaintes d'usagers peut aussi susciter le débat. L'élu peut alors être le moteur d'une réflexion sur l'externalisation.»
Françoise Larpin,KPMG
« Il est désormais classique que le gardiennage ou la surveillance des bâtiments soient externalisés.»
Converti récemment à l'externalisation, l'Etat affiche clairement sa volonté
Pour améliorer le coût des prestations de services généraux, l'externalisation n'est cependant pas le seul levier dont disposent les communes. «Le groupement de commandes peut être une alternative intéressante, notamment pour le nettoyage de locaux», avance Alain Bénard, directeur de la commande publique de Meaux. Françoise Larpin (KPMG) relève une autre pratique: la mutualisation de services, «par exemple au sein d'une intercommunalité. Les secteurs du juridique, de l'informatique et de la communication sont particulièrement concernés». Ainsi, les 45 communes de la communauté d'agglomération de Rouen ont mutualisé la rédaction des journaux municipaux. Désormais, le journal institutionnel de l'agglomération héberge une ou plusieurs pages de l'actualité des communes. Il est entièrement rédigé par la cellule communication du Grand Rouen.
Si les expériences et les approches de l'externalisation sont multiples dans les collectivités locales, la ligne est très claire au niveau de l'Etat, bien que plus récente. Le grand virage date de 2003. Cette année-là, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, les yeux rivés sur des comptes publics plongés dans le rouge, annonçait que l'Etat devait «se recentrer sur le coeur de ses missions» et que «certaines tâches [pouvaient] être déléguées» Depuis, l'externalisation est au coeur du processus de réforme de l'Etat. La Révision générale des politiques publiques (RGPP), le grand mouvement de réforme et d'optimisation lancé en 2007, reprend cette ligne directrice en poussant à la réflexion sur l'externalisation des fonctions supports. Avec, en tête de liste, le transfert au privé de la gestion de la flotte automobile. «L'externalisation s'envisage de manière quasi-systématique sur les fonctions supports ou les segments d'achats généraux, qui ne sont pas le coeur de métier, confie Jean-Baptiste Hy (Minefi). D'autant plus que ces marchés seront déployés pour pallier le non-remplacement des fonctionnaires.» Les services au bâtiment (entretien multitechnique et multiservice) constituent le second grand pan de réflexion, à l'image des expériences de facilities management menées par le Minefi dans trois cités administratives (lire Décision Achats de mars 2009).
Richard Gauvrit, Bezons
«Une activité mal réalisée en interne et générant des plaintes d'usagers peut susciter un débat sur l'externalistion.»
Le périmètre étanche des missions régaliennes
Toutefois, l'Etat et les collectivités se distinguent des entreprises sur deux points dans leur démarche d'externalisation. D'abord, le périmètre transférable au privé est a priori borné. «La question ne se pose pas pour les missions régaliennes de l'Etat et certains sujets qui touchent la gestion des personnels. Et ce, même si des opérateurs privés pourraient accomplir certaines tâches, explique Jean-Baptiste Hy. Pour la gestion de la paye des fonctionnaires, par exemple, l'Etat a créé un opérateur national en février 2008 plutôt que de déléguer au privé.» Au niveau des collectivités, certaines communes tentent de repousser les frontières traditionnelles. «Des réflexions sont menées sur l'externalisation de la paye ou la gestion des ressources humaines», constate Françoise Larpin (KPMG). Sous l'impulsion de son maire (UMP) André Santini, la ville d'Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine, a par exemple délégué ces deux tâches au secteur privé entre 2005 et 2006. Les résultats sont mitigés. La complexité des statuts de la fonction publique territoriale aurait généré des erreurs dans les bulletins de paye des agents. Quant à la gestion RH, la chambre régionale des comptes s'est intéressée au dossier en 2007 et a sorti ses calculettes. Elle a chiffré le coût de son externalisation à 41 600 euros par mois, ce qui «paraît très élevé, d'autant que le projet de réduire l'actuel service des ressources humaines et de ventiler six à sept agents vers d'autres directions semble avoir été reporté à une date indéterminée».
La gestion du personnel, justement, est le second point qui distingue la sphère publique de l'entreprise privée dans la démarche d'externalisation. Les fonctionnaires restent protégés par le statut de la fonction publique, qui rend compliqué le reclassement dans l'entreprise privée héritant de l'activité. «Les ressources humaines sont une vraie question dans le secteur public mais ce n'est pas une contrainte, nuance Olivier Prats, responsable du service des moyens généraux du ministère de la Défense. Le statut de la fonction publique est simplement l'une des données à prendre en compte pour juger de la pertinence globale d'une opération d'externalisation.» De son côté, Jean-Baptiste Hy (Minefi) ne perçoit pas non plus cette question comme un facteur de blocage: «Les prestations dont nous parlons ne concernent pas des effectifs très importants. Des solutions individuelles peuvent donc être trouvées.» L'Etat a, de plus, donné certaines garanties aux syndicats. «Il est convenu qu'il n'est pas possible d'obliger un contractuel de l'administration à être repris par un prestataire», explique le responsable achats. Une politique dont il semble difficile de s'affranchir en période de crise.
Jean-Baptiste Hy (Mi-nefi ): «Dorénavant, on achète plus de services que de produits.»
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L'externalisation fait émerger de nouveaux profi ls d'acheteurs publics
L'externalisation fait évoluer les compétences achats. «On achète dorénavant davantage de services que de produits, analyse Jean-Baptiste Hy, responsable ministériel des achats du ministère de l'Economie et des Finances. Et si les contrats ne sont pas d'une grande technicité, il est nécessaire de se doter de personnel qualifié. Il faut, en effet, maîtriser les indicateurs de performance du prestataire, le prix de la prestation et les services associés.» Pour Olivier Prats, responsable du service des moyens généraux du ministère de la Défense, le contenu de la fonction d'acheteur est modifié sur deux plans. Le premier concerne le développement de sa compétence en matière de prescription. «Ce qui compte dans un schéma d'externalisation, c'est la capacité à bien analyser le besoin, le quantifier, l'exprimer avant de le transformer en spécification technique», analyse-t-il. Le second changement, selon Olivier Prats, est la maîtrise d'une compétence de contrôle. «On doit vérifier l'efficience du dispositif et, pour cela, s'assurer de la bonne communication entre nos systèmes d'information respectifs. L'externalisation suppose donc davantage de reporting et d'organiser le contrôle du prestataire.» Pour être efficace, l'acheteur public doit effectuer un travail de sourcing important sur le marché prestataire, ainsi qu'un benchmark, selon Richard Gauvrit, directeur de la commande publique de Bezons (Val-d'Oise): «Ce travail lui permet d'aider à la prise de décision des élus en fournissant des éléments d'information sur ce que l'on peut obtenir sur le marché: contenu des prestations-types, niveau d'exigences admissible, impact financier...»
Acheteur et prescripteur doivent définir ensemble le besoin.
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Les prérequis nécessaires à l'externalisation
Une personne publique ne doit pas externaliser à la légère, rappelle Alain Bénard, directeur de la commande publique de Meaux (Seine-et-Marne). «Il existe de mauvais exemples d'externalisation. Aussi une période d'analyse des besoins et du marché fournisseurs d'au moins six à huit mois s'impose.» Un point sur lequel Olivier Prats, responsable du service des moyens généraux du ministère de la Défense, insiste également: «Le binôme acheteur/prescripteur doit fonctionner à plein. Le prescripteur maîtrise bien souvent tous les aspects techniques.» Une bonne connaissance du besoin prémunit l'acheteur d'une mauvaise opération sur le plan économique, comme l'explique Richard Gauvrit, directeur de la commande publique de Bezons (Val d'Oise). «Il est inutile de se battre sur le prix si, derrière, l'entreprise signe des avenants pour récupérer sa rentabilité. C'est le cas si, pour l'entretien des bâtiments, la mairie signe un contrat de trois ans en oubliant d'inclure une crèche qui doit être construite dans deux ans.» De même, une bonne connaissance de ses coûts complets est nécessaire pour évaluer la pertinence économique de l'opération. «Les prestataires peuvent aussi profiter du fait que les collectivités ne connaissent pas leurs coûts. Cette méconnaissance affaiblit lors de la négociation», prévient Françoise Larpin, consultante chez KPMG. Dernier point soulevé par Alain Bénard: «Attention, il faut s'assurer que le marché fournisseurs connaît une dynamique économique permettant d'obtenir des services efficaces à un prix intéressant.» Il rappelle, en outre, que d'autres leviers d'optimisation, comme le groupement de commandes, sont à disposition des acheteurs publics.