La marche en avant des accords-cadres
L'accord-cadre, innovation du code des marchés publics de 2006, trouve progressivement sa place dans l'univers de la commande publique. Caractérisé par une remise en concurrence permanente, cet outil de référencement a été expérimenté par quelques collectivités pionnières. Retour d'expériences.
Je m'abonneDébut 2007, la mairie d'Angoulême a lancé un accord-cadre d'une durée de quatre ans pour l'achat de son carburant. La valeur du marché est estimée à 730 000 euros HT. Plutôt que de passer par un appel d'offres classique ou un marché en procédure adaptée (Mapa), avec un fournisseur unique à la clé, la municipalité a donc privilégié cette nouvelle procédure multi-attributaire, issue du code des marchés publics de 2006. Laquelle repose sur une mise en concurrence permanente. Cet accord-cadre permet à la collectivité charentaise de maintenir «sous pression» les prestataires retenus au début de la procédure sur chacun des trois lots (gasoil, sans plomb et fioul). Tous les deux mois, ces prestataires sont remis en compétition, via des marchés subséquents, pour le remplissage des différentes cuves municipales. «Nous sommes pleinement satisfaits puisque cette remise en concurrence permanente permet d'endiguer la forte hausse du prix du carburant et d'obtenir les meilleurs tarifs du moment, se félicite un agent du service des marchés publics de la municipalité. Nous gagnons également du temps en amont ainsi que sur les livraisons.»
Muriel Echégut,
Axes Management
«L'accord-cadre permet de bénéficier d'un effet prix. La mise en concurrence permanente prend ici tout son sens.»
Une procédure qui fait son chemin
A Angoulême, comme dans bien d'autres collectivités, l'accord-cadre fait son chemin. La réussite de cette première expérience a même incité la mairie à travailler sur une seconde procédure pour les fruits et légumes frais. Celle-ci s'annonce plus complexe puisque les fournisseurs seront remis en concurrence quotidiennement. Toutefois, les doutes et interrogations des acheteurs, présents lors de la première procédure, ne sont pas tous dissipés. «Pour l'achat de carburant, nous ne disposions d'aucun recul. Il n'existait encore ni circulaires, ni retours d'expériences de collectivités, se souvient l'agent municipal de la ville d'Angoulême. Et il était difficile de s'appuyer sur la législation, notamment sur l'article 76 du code des marchés publics qui encadre cette nouvelle disposition: le texte manquait de précision sur des point s- clé s.» Pour son premier accord-cadre, afin de s'assurer de la légalité de la procédure, la collectivité a donc transmis les pièces à la préfecture, laquelle a émis un avis favorable. Les acheteurs se sont aussi appuyés sur le modèle d'accord-cadre délivré par la chambre de commerce et d'industrie de Paris. Selon certains acheteurs, l'article 76 du code des marchés publics n'apporterait pas tous les éléments et les éclaircissements nécessaires au bon déroulement d'un accord-cadre. Plusieurs questions restent en suspens: lorsque l'accord est passé selon la procédure de l'appel d'offres, est-il nécessaire de réunir la Commission d'appels d'offres (CAO) lors des marchés subséquents? Comment informer les candidats non retenus lors d'un marché subséquent? Et peut-on négocier avec les prestataires lors de ces marchés lorsque la procédure initiale est un Mapa? Les acheteurs publics étaient dans le flou. Il leur a fallu attendre le 30 mars 2007 pour recevoir les premiers éléments de réponse via une circulaire du ministère de l'Intérieur. Celle-ci recommande notamment aux acheteurs publics locaux de soumettre à l'avis de la CAO les marchés subséquents d'un montant supérieur à 210000 euros HT. Il y est également indiqué que «l'absence de précisions apportées dans l'article 76 quant à la manière dont doit être organisée par les pouvoirs adjudicateurs la remise en concurrence des titulaires d'un même accord-cadre signifie que ceux-ci sont libres de définir les conditions d'attribution des marchés subséquents». En clair, les acheteurs publics doivent prendre des initiatives.
C'est l'avis que partage Dominique Legouge, coordinateur du Réseau des acheteurs hospitaliers d'Ile-de-France (Resah-Idf): «La réglementation est suffisante en l'état. En effet, les acheteurs publics doivent être conscients qu'ils entrent dans une ère de l'achat où l'on donne les grandes lignes directrices et où il leur revient de prendre l'initiative de les appliquer le plus efficacement possible.» Le Resah-Idf a expérimenté la procédure de l'accord-cadre sur des dispositifs médicaux pour un montant d'une dizaine de millions d'euros. Pour l'heure, près de 20 hôpitaux membres du réseau, qui en compte plus de 60, se sont joints à la procédure. «Quand plusieurs établissements participent à un accord-cadre, cela garantit une homogénéité minimale sur les prix et la qualité, estime Dominique Legouge. La remise en concurrence, lors des marchés subséquents, permet ensuite à chaque établissement acheteur de sélectionner les produits qui correspondent le mieux à ses propres attentes.» De ce fait, à partir d'un référencement de fournisseurs communs, les établissements membres d'un groupement de commandes peuvent être conduits à faire des choix différents lors de la passation de leurs marchés subséquents. «Nous pensons recourir plus souvent à cette formule, affirme Dominique Legouge. C'est une avancée majeure du code des marchés publics. Les meilleurs acheteurs vont aller vers les accords-cadres car ces derniers permettent de raccourcir le délai de la mise en concurrence et d'attribution. Et, s'ils sont bien gérés, ils peuvent même aider les PME à accéder aux marchés publics.»
A l'heure où la place des petites entreprises dans la commande publique est largement débattue, l'accord-cadre semble porter en lui les conditions de leur montée en puissance. Le délai des procédures reste un frein important pour ces sociétés. Avec l'accord-cadre, celles-ci ont la possibilité d'être référencées pour une période pouvant aller jusqu'à quatre ans. Elles ont alors un accès rapide et facilité à la commande publique. Le rapport de Lionel Stoléru sur l'accès des PME aux marchés publics confirme le potentiel de la procédure sur ce point.
Jacques Lemaitte, directeur de la commande publique, communauté urbaine de Dunkerque
Témoignage
«Nous gardons nos prestataires sous la main»
Depuis le 1er septembre 2006, la communauté urbaine de Dunkerque multiplie les accords-cadres. Les formations, prestations d'impression, transports de personnes en autocar et diverses offres de services passent désormais par cette procédure. «Cela nous permet de garder tes prestataires sous ta main, apprécie Jacques Lemaitte, directeur de la commande publique de la communauté urbaine. La procédure est dématérialisée avec l'envoi par mail du cahier des charges aux prestataires retenus dans l'accord-cadre. Ces derniers nous transmettent leur devis sous 48 heures.» Pour les prestations d'événementiel, l'accord-cadre a permis à la collectivité de se constituer un «réservoir» de prestataires en mesure de délivrer une réponse rapide pour des besoins souvent difficiles à anticiper.
Hors de question toutefois, pour le directeur de la commande publique, de se baser sur le seul critère du prix. «Pour le marché du transport de personnes, notamment des délégations étrangères en visite dans la région, la prestation est attribuée en fonction de l'itinéraire proposé, des moyens mis en oeuvre ou encore de l'aménagement des bus», assure Jacques Lemaitte. Son enthousiasme pour cette procédure n'empêche cependant pas quelques interrogations, notamment sur la nécessité de réunir la commission d'appel d'offres (CAO) à l'occasion des marchés subséquents. Ou encore sur la possibilité de négocier lorsque ceux-ci sont issus d'un accord-cadre lancé sous la forme d'un marché en procédure adaptée. Il ne compte pas pour autant s'arrêter en si bon chemin. Il prévoit ainsi de lancer un nouvel accord-cadre portant sur les besoins de communication via des agences de presse.
La fiche
Communauté urbaine de Dunkerque
BUDGET 2007
449 millions d'euros
EFFECTIF
1 228 agents
MONTANT DES ACHATS
23 millions d'euros
EFFECTIF ACHATS
14 agents
Un outil adapté aux achats récurrents
Reste à savoir si l'accord-cadre est pertinent pour tout type d'achats. Ce qui n'est pas le cas pour certains experts et acheteurs. Selon Muriel Echégut, consultante senior au sein du cabinet de formation Axes Management, «l'accord-cadre permet de bénéficier d'un effet prix, notamment pour les achats récurrents comme le carburant, le matériel informatique ou le papier. La mise en concurrence permanente prend ici tout son sens. En revanche, les accords-cadres sur les prestations dont les prix sont très peu volatils ont un intérêt limité». C'est le cas des achats de prestations intellectuelles, comme les formations ou les missions de conseil, très spécifiques et peu prévisibles à long terme. L'accord-cadre n'est donc pas toujours la procédure la mieux adaptée. «Si cet outil n'est pas envisagé comme un levier d'action pour la performance économique, il peut rapidement se transformer en une usine à gaz», ajoute la consultante.
Certains acheteurs publics confondent-ils donc appels d'offres restreints et accords-cadres? Muriel Echégut le craint. «Pourtant, plusieurs points distinguent ces deux procédures. L'appel d'offres restreint n'autorise ainsi la sélection que d'un seul fournisseur. A l'inverse de l'accord-cadre, il se divise en deux temps: la sélection d'entreprises, puis leur remise en concurrence pour chaque marché subséquent. L'accord-cadre est, quant à lui, un référencement avec une logique de remise en concurrence permanente.» En somme, l'accord-cadre est un outil adapté aux achats récurrents, massifs, au prix variable ou encore à l'évolution technique rapide. Il l'est moins pour les achats ponctuels. Les premières expériences montrent la pertinence de cette procédure. Les inévitables ratés des débuts devraient rapidement être corrigés.
Jean-Paul Rouffignac, directeur achats, Ugap
Témoignage
«L'accord-cadre répond à un besoin de remise en concurrence régulière»
L'Union des groupements d'achats publics (Ugap) a conclu, à la fin 2007, son premier accord-cadre pour de l'achat de papier éco-responsable. D'après Jean-Paul Rouffignac, directeur achats de l'établissement public, «tes prix du papier sont très fluctuants, donc difficiles à prévoir. D'où l'idée de lancer un accord-cadre multiattributaire». La hausse constatée du prix du papier recyclé, conséquence de la forte demande de la part des entreprises et administrations, a motivé cette décision. L'Ugap a, en effet, estimé qu'une mise en concurrence établie au fil de la sur- venance des besoins - à savoir tous les trois ou six mois - offrait une meilleure visibilité au niveau des prix. «Avec l'accord-cadre, nous sélectionnons le fournisseur sur les critères du prix, de la valeur technique du produit et de son éco-responsabilité, explique Jean-Paul Rouffignac. Ce qui n'est pas le cas lors des remises en concurrence, où seul le prix compte.» Le prestataire qui propose l'offre la plus avantageuse économiquement est ainsi assuré d'emporter la mise. «L'accord-cadre est adapté aux besoins ciblés qui nécessitent une mise en concurrence régulière. Il permet de tenir compte de l'évolution des prix et des technologies», ajoute Jean-Paul Rouffignac.
Conclu pour une durée de trois ans, plus une éventuelle année supplémentaire, cet accord-cadre est composé de deux lots. Le premier comprend la livraison sur palettes en rez-de-chaussée pour laquelle cinq prestataires, essentiellement des papetiers, ont été retenus. Le second, qui compte quatre prestataires, porte sur la livraison avec service, c'est-à-dire dans les étages. La première procédure d'attribution a été lancée au cours du mois de décembre. L'Ugap envisage de lancer un second accord-cadre cette année, qui portera sur l'achat de matériel micro-informatique. Il prendra, bien évidemment, en compte le prix. Mais aussi, et surtout, l'évolution technique des produits.
La fiche
Ugap
ACTIVITE
Centrale d'achat public
EFFECTIF
850 personnes
MONTANT DES COMMANDES ENREGISTREES EN 2006
979 millions d'euros
EFFECTIF DELA DIRECTION ACHATS
100 personnes