La charte des bonnes pratiques: le bilan après un an d'existence
Un an après la signature initiale de la charte régissant les relations entre donneurs d'ordres et PME au 15 juillet, ce sont 153 sociétés qui s'engagent à respecter les dix engagements pour des achats responsables. L'occasion de tirer un premier bilan avec les directeurs achats de quelques donneurs d'ordres. La rédaction
Je m'abonneEn 2010, la charte de bonnes pratiques entre donneurs d'ordres et PME est signée en présence du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, de la Cdaf, de la Médiation des relations interentreprises industrielles et de la sous-traitance et de la Médiation du crédit aux entreprises. A l'époque, le 15 juillet dernier, Pierre Pelouzet, président de la Cdaf, déclare: «J'espère que le contenu de ce document permettra de changer l'image parfois négative des acheteurs. Cette charte défi nit les principes qui participent à la construction d'une relation équilibrée et durable entre grands donneurs et PME. »
Une chose est sûre, un an plus tard, la charte a contribué à faire reconnaître au plus haut sommet de l'Etat la fonction achats dans les entreprises et dans le tissu économique français. Même si cela n'est pas allé sans quelques coups de griffes de la part des plus hautes sphères de l'Etat puisque Nicolas Sarkozy lui-même, lors de son discours de clôture des Etats généraux de l'industrie, en mars 2010 avait déclaré: «Dans les grands groupes, on a trop laissé les directions achats se focaliser sur les prix, avec un encouragement scandaleux et ouvert à la délocalisation. Cela est mortel pour l'avenir de notre industrie et de nos PME ».
Or, les dix engagements pour des achats responsables insistent bien sur la construction, dans un cadre de confiance réciproque, d'une relation durable entre le donneur d'ordres et la PME. Pour rappel, les voici:
1. Assurer une équité financière vis-à-vis des fournisseurs;
2. Favoriser la collaboration entre grands donneurs d'ordres et fournisseurs stratégiques ;
3. Réduire les risques de dépendances réciproques entre donneurs d'ordres et fournisseurs ;
4. Impliquer les grands donneurs d'ordres dans leur filière ;
5. Apprécier le coût total de l'achat ;
6. Intégrer la problématique environnementale ;
7. Veiller à la responsabilité territoriale de son entreprise ;
8. Appliquer les processus achats avec impartialité et objectivité ;
9. Déployer une fonction achat chargée d'un pilotage global de la relation fournisseurs ;
10. Fixer une politique cohérente de rémunération des acheteurs.
Comme on le voit, il ne s'agit pas d'engagements abstraits, mais bien d'objectifs réalisables. Le volume d'achats réalisé en France par les entreprises signataires de la charte est aujourd'hui de l'ordre de 400 milliards d'euros soit de 25 à 30 % du volume des achats réalisés par les grandes entreprises françaises, correspondant à près de 30 % du crédit interentreprises. Cela aura donc un fort impact sur notre économie. La charte prévoit en outre la désignation par chaque grande entreprise signataire d'un ou plusieurs correspondant(s) PME, dans un rôle de médiateur que les fournisseurs peuvent saisir en cas de conflits ou litiges et la mise en place d'indicateurs de suivi par chaque entreprise signataire. L'avancement de ce grand chantier est assuré par un comité de pilotage, coprésidé par le Médiateur des relations interentreprises industrielles et de la sous-traitance et la Compagnie des dirigeants et acheteurs de France (Cdaf) qui se réunit au moins deux fois par an pour s'assurer de la réalisation effective de ces engagements.
Un meilleur pilotage souhaitable chez les signataires
A l'occasion du premier Forum Peak organisé à Annecy fin mai, Françoise Odolant chargée de mission de la médiation interentreprises industrielles et de la sous-traitance, a présenté les résultats du troisième comité de pilotage de la charte des bonnes pratiques. Les critères d'autoévaluation étaient fondés sur sept axes :
- l'engagement,
- la communication interne,
- le pilotage,
- la communication auprès des fournisseurs,
- la mise en place réelle,
- la promotion des relations durables et équilibrées et
- les pratiques avancées.
Précisons que pour 45 questionnaires envoyés, 22 entreprises ont répondu en septembre 2010 et 34 en avril 2011. Sur celles ayant répondu en septembre 2010, 11 avaient, d'ores et déjà, signé la charte en février 2010 et 11 en juin 2010. Sur celles ayant répondu en avril 2011, 16 avaient signé la charte en février 2010 et 18 en juin 2010. Les sociétés interrogées estiment que sur l'ensemble des sept axes, elles ont atteint les objectifs fixés à 61 %. Les axes enregistrant les meilleurs scores sont l'engagement (86 %), la mise en place réelle (81%), la communication interne (74%), la promotion de relations durables et équilibrées (57 %), l'expérience de pratiques avancées (56%). L'axe pilotage est celui qui affiche le moins bon score (30%) suivi de la communication auprès des fournisseurs (44 %).
Un chantier à pérenniser...
Ces derniers résultats suggèrent que la marge de progrès est encore importante, d'autant plus que seulement une société sur quatre a déjà introduit des clauses de médiation dans ses contrats. Toutefois, pour équilibrer le bilan un an après la signature, deux engagements essentiels (favoriser la collaboration ainsi que réduire les risques de dépendance réciproques) sont déjà tenus par trois sur quatre des répondants.
Sur le volet des conflits avec les fournisseurs, les résultats montrent qu'à 59 %, la médiation a permis de résoudre la mésentente. Les critères proposés pour servir de base à l'évaluation étaient le nombre de cas de contentieux par an, le nombre de litiges factures et le profil de retard des paiements. Seul véritable point noir, le pilotage de la mise en oeuvre de la charte n'a fait l'objet d'un plan d'action et d'indicateurs que chez 35 % des répondants. Un plan est prévu au second semestre 2011 pour 3% d'entre eux et 12% s'y étaient déjà attelés en mai dernier. Conclusion, les fondations sont là mais des murs solides restent encore à élever pour pérenniser le projet dans son ensemble.
Antoine Doussaint, groupe La Poste
Témoignage «Mettre noir sur blanc dans les contrats la possibilité de recourir au médiateur»
Avec 30000 fournisseurs actifs dont 25% de PME, «la charte des bonnes pratiques n'a pas été une révolution au sein du groupe La Poste car nous avions déjà mis en place certaines bonnes pratiques comme les délais de paiement», témoigne Antoine Doussaint, directeur achats du groupe La Poste, avant d'ajouter : «néanmoins, c'est important pour la communauté d'acheteurs de se groupe montrer solidaire dans cette démarche. Cette charte est nécessaire pour redorer le blason de la profession ». Ainsi, le groupe La Poste a signé le texte le 28 juin 2010. Dans un premier temps, le groupe a communiqué sur l'intranet auprès des prescripteurs, et de ses collaborateurs en interne puis enfin sur son site officiel laposte.fr. Autre conséquence de la charte, «notre ancien médiateur relation client Pierre Ségura a été nommé médiateur PME par la présidence en septembre 2010» explique Antoine Doussaint. En un an, sur six dossiers traités en saisine, cinq concernaient les délais de paiement. Le dernier, plus litigieux a été réglé en face-à-face avec un prestataire de transport. Parmi les dix engagements de la charte, Antoine Doussaint songe à «évoquer le système de médiation dans les conditions générales d'achats » soit mettre noir sur blanc dans les clauses contractuelles la possibilité de recourir au médiateur. Parmi les axes de progrès, «il manque un mode d'emploi et des indicateurs concrets et détaillés (sauf par exemple pour les délais de paiement)» souligne-t-il. Autre point soulevé, celui du sentiment des donneurs d'ordre d'être systématiquement «sur le banc des accusés» conclut le directeur achats.
La Poste
ACTIVITE
Opérations postales et bancaires
CHIFFRE D'AFFAIRES 2010
20,9 milliards d'euros
EFFECTIF
290 000 salariés
VOLUME D'ACHATS
5,5 milliards d'euros
EFFECTIF ACHATS
650 collaborateurs
Alain Monjaux, groupe Thales
Témoignage «Les acheteurs ont aussi été sensibilisés à mieux apprécier le coût total de l'achat»
«Nous réalisons 40% de notre volume d'achats France auprès de 4 000 PME. Or, la crise financière a révélé la vulnérabilité de certains fournisseurs de manière très brutale, déclare Alain Monjaux, directeur de la relation fournisseurs et médiateur du groupe Thales. Nous avons amélioré notre management des risques en surveillant le taux de dépendance groupe des fournisseurs vis-à-vis du volume d'achats du groupe. Nous avons fixé ce taux de volume d'achats rapporté au chiffre d'affaires du fournisseur à une valeur nominale de 25%», complète Alain Monjaux. Les acheteurs ont été fortement sensibilisés pour identifier dans leur stratégie d'achat famille le bon équilibre entre fournisseur et volume d'achat pour que cette valeur soit respectée. «Par ailleurs, les acheteurs ont aussi été formés pour mieux apprécier le coût total de l'achat en intégrant la variabilité de toutes les composantes du TCO», ajoute-t-il. Le plan de pilotage de la charte mis en place à l'échelle des entités françaises comprend aussi un site intranet où les différentes parties prenantes, y compris les prescripteurs, peuvent trouver les règles à appliquer en matière de respect des délais de paiement par exemple. Interrogé sur le projet des animateurs de la charte de faire émerger la voix du fournisseur au travers d'un questionnaire, Alain Monjaux déclare que le groupe Thales le fait déjà dans le cadre de sa démarche «SRM» et organise des revues avec les fournisseurs concernés, qui permettent au groupe d'avoir le «feedback» de ses fournisseurs sur des thèmes-clés.
Thales
ACTIVITE
Aérospatiale et transport, défense et sécurité
CHIFFRE D'AFFAIRES 2010
13,1 milliards d'euros
VOLUME D'ACHATS
6 milliards d'euros
EFFECTIF GROUPE
68000 salariés
EFFECTIF ACHATS (MONDE)
1 300 collaborateurs
CAS PRATIQUE: « Nous veillons à ne pas fragiliser nos fournisseurs en équilibrant les taux de dépendance »
Revendiquant une culture d'entreprise résolument orientée fournisseurs, Jean-Luc Baras, directeur achats de Forclum et d'Eiffage Construction et coordonnateur achats du groupe Eiffage, revient sur les mesures mises en place dans sa société.
Eiffage a fait partie de la première vague de signataires de la charte en 2010, à l'instar de groupes comme EADS, SNCF, Bouygues ou Veolia. Chez Eiffage, la charte est présentée comme une déclinaison spécifique de la relation fournisseur déjà bien encadrée au sein du groupe par le guide de la relation fournisseur. Le guide contient un code de conduite des achats, les dix engagements de la charte et les contacts du médiateur Pierre Mutz, nommé pour suivre les éventuels litiges. «Dans le BTP, notre culture est déjà bien orientée fournisseurs, souligne Jean-Luc Baras, coordonnateur achats du groupe Eiffage et directeur achats de Forclum et d'Eiffage Construction. Nous veillons à ne pas fragiliser nos fournisseurs en équilibrant les taux de dépendance. » Gare à l'acheteur qui aurait la mauvaise idée de pousser ses fournisseurs dans ses derniers retranchements. « Un bon acheteur, selon moi, n'exigera jamais plus de ses fournisseurs que ce qu'ils peuvent donner sans se mettre en péril», précise le directeur achats. Jusqu'à présent, le médiateur n'a enregistré qu'un seul litige sur un fournisseur non stratégique. Et son intervention a permis de résoudre le conflit sans procédure ou médiation supplémentaire. La formation aussi des acheteurs trouve naturellement sa place dans le déploiement de la charte. « Nous mettons l'accent sur la formation de nos acheteurs, que ce soit pour qu'ils identifient mieux les enjeux liés aux achats responsables en fonction de leur portefeuille ou qu'ils sachent se servir des outils de modélisation du coût global d'achat», observe-t-il aussi. La signature de la charte n'a pas entraîné une progression du nombre de PME parmi le panel de fournisseurs du groupe, « même si nous avons beaucoup de PME notamment en raison du caractère local de nos activités» s'empresse d'ajouter Jean-Luc Baras dont le groupe réalise 80 % de son CA en France. Des progrès restent à faire dans le pilotage du déploiement de la charte. La prise de conscience est bien là et la formation est ciblée sur les opérationnels. Néanmoins, le besoin d'élargir la charte et ses engagements aux prescripteurs, aux utilisateurs et aux acteurs financiers se fait sentir. La prochaine étape sûrement...
Jean-Luc Baras, coordonnateur achats du groupe Eiffage et directeur achats de Forclum et d'Eiffage Construction
Eiffage
ACTIVITE
BTP, énergie, concessions d'autoroutes, métal
CA 2011
13,5 milliards d'euros
VOLUME D'ACHATS
7 milliards d'euros
EFFECTIF GROUPE
72 000 salariés
EFFECTIF ACHATS
150 collaborateurs
Thomas Gravis, Société Générale
Témoignage: «Nous avons déjà remonté deux demandes de médiation»
Cela fait plus d'un an déjà que la Société Générale a signé la Charte des bonnes pratiques grandes donneurs d'ordres/PME. « Toutefois, nous n'avons pas attendu de signer un tel document pour nous engager en faveur des petites et moyennes entreprises» signale Thomas Gravis, directeur du département fonctionnel, en rappelant que la Société Générale a été le premier groupe bancaire à adhérer, en décembre 2007, au pacte PME. «La signature de la charte s'inscrit donc dans la droite lignée de nos engagements visant à intégrer les actions en faveur des PME dans le volet économique de notre démarche RSE. Elle a permis notamment de donner un cadre aux actions déjà engagées comme la mise en place d'un tableau de bord enrichi de divers indicateurs, de formations dédiées intégrant désormais les principes de ladite charte, etc. » renchérit Thomas Gravis. Mieux, la charte constitue un document de référence officiel sur lequel peuvent s'appuyer les acheteurs. «Dès l'embauche de nouveaux collaborateurs, nous leur délivrons cette charte. Je prends également part à de nombreuses réunions pour sensibiliser en direct les équipes sur les engagements de cette charte ». Au niveau de la communication externe, le groupe a rendu la charte accessible à ses fournisseurs, via son portail dédié. Plus encore, il planche sur l'élaboration d'une enquête fournisseurs pouvant servir de baromètre de satisfaction. Sans oublier la nomination en interne d'un correspondant PME chargé d'assurer la médiation avec les fournisseurs, en cas de litige. «Le secrétaire général de la banque, membre du comité exécutif et totalement indépendant de notre direction, a été nommé à ce poste», souligne Thomas Gravis, en indiquant que le groupe va introduire une clause contractuelle dans ses contrats afin d'inciter les fournisseurs à faire appel à la médiation en interne plutôt qu'à la justice. En un an, deux demandes de médiation ont été remontées.
Société Générale
ACTIVITE
Banque
PRODUIT NET BANCAIRE 2010
24,6 milliards d'euros
VOLUME D'ACHATS 2010
5,6 milliards d'euros
EFFECTIF TOTAL
1 57 000 salariés
EFFECTIF ACHATS
Plus de 80 collaborateurs en France et près de 90 à l'international
Magali Tissier, RTM
Témoignage: «Reporter toute la responsabilité dune commande sur le fournisseur n'est pas notre politique »
«Nous avons signé la charte de la médiation de la sous-traitance et des relations interentreprises industrielles au cours de l'été 2010» déclare Magali Tissier, responsable achats marchés et approvisionnements de la Régie des transports de Marseille (RTM). Un acte qui aura permis à la direction achats d'adresser un message fort à ses fournisseurs. «Il s'agit d'illustrer notre volonté de construire des relations durables et en bonne intelligence, notamment auprès des PME et en particulier celles de notre réseau économique local, qui contribuent pour un tiers à la composition de notre chiffre d'affaires», continue la responsable achats.
Premier chantier achevé ? La nomination d'un médiateur de la sous-traitance, en la personne de Magali Tissier. «Ma mission est de faire respecter les délais de paiement fixés à 30 jours maximum, explique-t-elle. Un travail qui s'appuie sur une forte collaboration avec notre agent comptable. »
Autre axe de progression : l'amélioration de la qualité et des coûts des matériaux exploités, notamment les matières premières. « De forts enjeux techniques peuvent être satisfaits avec le concours des fournisseurs en optimisant certains aspects contractuels et techniques et ainsi éviter les éventuels litiges. Car, pour RTM, opérateur public, reporter toute la responsabilité d'une commande sur le fournisseur ne fait pas partie de notre politique», conclut Magali Tissier.
RTM
Transport
STATUT
EPIC (Etablissement public à caractère industriel et commercial)
RECETTES COMMERCIALES
98 millions d'euros
VOLUME D'ACHATS
100 millions d 'euros (60 millions d 'euros en fonctionnement et 40 millions d'euros en investissement)
EFFECTIF GROUPE
3385 salariés
EFFECTIF ACHATS
10 collaborateurs
Emeline Gasiglia, bioMérieux
Témoignage: Le comité de pilotage se met en place
En février 2010, le groupe pharmaceutique bioMérieux, spécialisé dans le diagnostic in vitro, signe la charte de la médiation de la sous-traitance. Depuis, quid des premiers engagements ? Un médiateur interne a été nommé trois mois après la signature. «Pour plus de neutralité, il ne fait pas partie de la fonction achats », précise Emeline Gasiglia, directrice des achats globaux pour bioMérieux. Autre chantier : dès septembre 2011 sera institué un comité de pilotage, réunissant les services RSE, juridique, qualité et autres clients internes ainsi que les achats. Il sera chargé de déployer la charte dans le groupe. Les acheteurs, quant à eux, auront pour mission d'établir des indicateurs de taux de performance, comme le taux de dépendance vis-à-vis de chaque fournisseur. «Pourtant, nous avons décidé de ne pas bousculer tout notre programme organisationnel au profit de la mise en conformité avec la charte, explique Emeline Gasiglia, car nous opérons depuis trois ans un plan d'évolution ambitieux de l'organisation des achats qui intègrent une grande partie des objectifs ciblés par la charte. » Enfin pour plus de transparence avec les fournisseurs stratégiques, la direction achats de bioMérieux prévoit d'intégrer une page dédiée au sein du site internet du groupe. «Cette future action traduit notre volonté de renforcer la communication avec nos partenaires» conclut-elle.
bioMérieux
ACTIVITE
Diagnostic in vitro
CHIFFRE D'AFFAIRES 2010
1,357 milliard d'euros
VOLUME D'ACHATS
Environ 500 millions d'euros
EFFECTIF ACHATS
50 collaborateurs