La bataille du rail se transporte sur Internet
Un nouveau portail de la SNCF dédié aux entreprises permet de réserver directement les billets de train en ligne, sans passer par une agence de voyages. Une initiative diversement appréciée. Explications.
Je m'abonneDepuis le lancement par la SNCF, le 30 octobre dernier, d'un site internet dédié aux PME/PMI pour leurs réservations de billets de train, une certaine polémique s'est instaurée dans le microcosme du voyage d'affaires. La compagnie ferroviaire aurait-elle l'intention de concurrencer les agences de voyages en créant un canal de réservation direct pour les entreprises, qui plus est avec des services tels que l'affichage de la politique voyages de l'entreprise ou l'édition de reportings détaillés? Officiellement, il n'en est rien. «L'objectif de ce portail est d'offrir aux entreprises et à leurs collaborateurs, qui réservaient jusqu'à présent leurs billets de train aux guichets des gares et dans les boutiques SNCF, une solution plus adaptée», explique Richard Fécamp, responsable du projet Portail Entreprises de la SNCF. Une cible loin d'être négligeable. Selon les chiffres communiqués par la compagnie, 36% du chiffre d'affaires B to B sur le marché du rail (soit 575 millions d'euros) provient de ces deux canaux de vente, contre 50% via les agences de voyages et 14% via le site grand public Voyages-sncf.fr. Officieusement, l'initiative commerciale de la SNCF n'apparaît pas aussi limpide pour certains, à commencer par les agences de voyages. En effet, les entreprises ont désormais tout intérêt à passer par ce nouveau canal de réservation, gratuit, plutôt que par des intermédiaires facturant un service, en l'occurrence les agences de voyages. D'ailleurs, beaucoup d'entre elles refusent de commenter ce lancement. «Les PME/PMI représentent une clientèle très volatile et l'on peut craindre qu'elle ne délaisse les agences pour ce type de portail», résume Christophe Derumez, président d'Avexia Voyages, filiale d'American Express Voyages d'Affaires spécialisée sur le marché des PME/PMI. Néanmoins, ce dernier se veut positif: «Si notre cible est commune, nous ne sommes pas concurrents.» La compagnie ferroviaire vise, «a priori», selon lui, les réservations effectuées dans les gares et boutiques SNCF. «Ces entreprises n'avaient donc pas recours aux agences de voyages auparavant», constate Christophe Derumez.
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Un portail dédié aux PME/PMI
Réserver directement son billet de train sur Internet plutôt qu'en gare ou dans une boutique SNCF. Tel est l'objectif du «Portail Entreprises», un site entièrement dédié aux PME/PMI «dont le budget train représente plusieurs centaines de milliers d'euros par an», selon Richard Fécamp, responsable du projet Portail Entreprises de la SNCF. Plutôt que de passer par une agence de voyages ou un site grand public, les entreprises accèdent ainsi directement à la gamme tarifaire spécifique à la clientèle affaires de la SNCF. Des tarifs non négociables. L'accès à ce nouveau portail est gratuit. L'offre de base comprend la mise en service, la réservation et le paiement par carte bancaire (Carte Bleue, Visa, Mastercard, Amex). En revanche, la SNCF propose des services payants (à négocier) tels que des reportings détaillés, l'affichage de la politique voyages de l'entreprise, ou encore la possibilité de recourir à un moyen de paiement centralisé par carte logée en partenariat avec AirPlus International. Par ailleurs, la SNCF a mis en place un centre de contacts dédié pour l'assistante technique aux utilisateurs. La SNCF vise un chiffre d'affaires compris entre 25 et 30 millions d'euros d'ici à 2011, soit l'équivalent de 200 entreprises clientes.
Centré uniquement sur le train
D'autre part, le portail ne concerne que la réservation de billets de train, alors que les agences de voyages proposent l'ensemble des moyens de transport et d'hébergement à leurs clients. «Dans le cadre des déplacements d'affaires, une offre basée uniquement sur le rail me semble assez limitée, même pour les PME/PMI», estime Christophe Derumez. Enfin, la valeur ajoutée des agences de voyages se trouve dans leur capacité à gérer des déplacements complexes, «ce que le portail de la SNCF ne permet pas de faire, sans parler de l'accompagnement des collaborateurs en amont et tout au long de leurs voyages», conclut le président d'Avexia Voyages dont l'un des principaux partenaires commerciaux, comme toutes les agences de voyages, est... la SNCF. Pour Brigitte Ja kubowski, fondatrice du cabinet JK Associates Consulting, «les agences de voyages apportent un niveau de services qu'un portail internet n'est pas en mesure, en théorie, de fournir». Un point de vue partagé par la SNCF elle-même. «Notre volonté n'est pas de concurrencer les agences de voyages qui restent le canal de réservation de référence des entreprises, avec un niveau de services élevé», déclare Richard Fécamp (SNCF). De même, s'il est possible d'afficher la politique voyages propre à une entreprise, le nouveau portail ne permet pas, en revanche, de contrôler et d'interdire le cas échéant les réservations effectuées par les collaborateurs. «Il ne s'agit pas d'un self-booking tool [SBT, outil de réservation en ligne, NDLR] » , précise Richard Fécamp.
Pas de tarifs négociés
Au-delà de ce consensus officiel et général, la stratégie commerciale de la SNCF ne paraît pas aussi simple. En effet, la compagnie verse aux agences de voyages une commission de 4,8% du montant de chaque billet de train réservé via leur intermédiaire. Si les entreprises réservent directement leurs billets de train sur le nouveau site internet plutôt que de passer par leurs agences de voyages, la SNCF réalise une économie de 4,8%... De plus, cette commission est parfois rétrocédée aux entreprises qui ont négocié ce point avec leurs agences de voyages. «Dès lors, la SNCF va-t-elle directement rétrocéder ces 4,8% aux entreprises qui réservent leurs billets de train via ce nouveau portail?», s'interroge Brigitte Jakubowski (JK Associates Consulting). Réponse négative de la part de la SNCF. «Les tarifs que nous proposons sur notre site sont spécifiques à la clientèle d'affaires et ils ne sont pas négociables», tranche Richard Fécamp. Dans l'aérien, la fin du système des commissions, il y a quelques années, avait conduit Air France à réduire pour partie le prix de ses billets du montant versé précédemment aux agences de voyages. Visiblement, la SNCF ne souhaite pas prendre la même voie.