L'impact du Dif sur les catalogues de formations
En vigueur depuis le 1er janvier 2005, le Droit individuel à la formation (Dif) n'a pas rencontré le succès espéré par le gouvernement. Cependant, les salariés pourraient faire jouer massivement leur droit dans les années à venir, d'où la nécessité de négocier dès à présent un catalogue de formations adapté.
Je m'abonneSelon une enquête réalisée par la Cegos, organisme de formation, seulement 9% des salariés ont fait jouer leur droit individuel à la formation (Dif) en 2006 (3% en 2005). C'est donc, pour l'instant, relativement peu. «Dans l'esprit, le Dif a notamment pour objectif d'amener les personnes qui ne se forment jamais à le faire, note Blandine Legrand, responsable des formations RH chez Demos. Dans la pratique, on constate que ceux qui utilisent ce droit se formaient déjà...» Blandine Legrand tient néanmoins à rester optimiste: «Cela bouge depuis six mois et les politiques de formation relatives au Dif sont en train de se mettre en place dans de nombreuses entreprises.» Un rapport de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), daté d'octobre 2006, souligne d'ailleurs que «pour des raisons qui tiennent à une appropriation progressive du droit individuel à la formation par les entreprises et les salariés, seul peut être donné un aperçu des pratiques à l'oeuvre dans quelques entreprises qui ont décidé d'intégrer le Dif à leur politique générale de formation professionnelle». Dans ce contexte, le ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, qui devait dresser un premier bilan chiffré en octobre dernier, a logiquement préféré reporter ses premières observations à une date ultérieure... et indéterminée! Toutefois, les observateurs les plus optimistes font remarquer que le Dif n'étant entré en vigueur que depuis le 1er janvier 2005, il est encore un peu tôt pour dresser un état des lieux.
Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP).
«D'une manière générale, les entreprises connaissent un essor du Dif sans que celui-ci n'augmente significativement la dépense de formations.»
Pour d'autres, la situation est plus problématique que le gouvernement ne veut le faire croire. Les entreprises, et plus particulièrement les PME, n'auraient pas suffisamment anticipé cette réforme et pourraient se retrouver face à une explosion des budgets formations d'ici un ou deux ans. «Les DRH ont pris conscience que le Dif pourrait se révéler une bombe à retardement pour leur entreprise», reconnaît Blandine Legrand. Le service achats se retrouverait dès lors en première ligne pour optimiser le coût de ce dossier complexe. Encore faut-il connaître les droits des salariés et de l'entreprise en la matière.
Pour rappel, le Dif permet de se constituer un crédit formation de 20 heures par an, cumulable sur six ans, dans la limite de 120 heures. Il concerne les salariés en CDI avec au moins un an d'ancienneté dans l'entreprise. Les personnes en CDD peuvent également en bénéficier, à condition d'avoir travaillé au moins quatre mois, consécutifs ou non, dans les douze derniers mois. Le volume d'heures acquis au titre du Dif est alors calculé au prorata de la durée de leur contrat. En revanche, apprentis et salariés en contrat de professionnalisation ou titulaires d'un contrat de qualification sont exclus de ce dispositif. L'initiative d'utiliser les heures de formation acquises appartient au salarié, de même que le contenu de la formation. Mais la mise en oeuvre du Dif requiert l'accord de l'employeur, qui vérifie notamment que la formation a bien un rapport avec la fonction du salarié. En effet, les formations accessibles au titre du Dif sont les actions de promotion (celles permettant d'acquérir une qualification plus élevée) ou d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances. C'est pourquoi, dans une célèbre chaîne de télévision, une web-mastrice s'est vu refuser une formation en pâtisserie! Dans ce cas, le salarié ne dispose d'aucun recours, sauf celui de réitérer sa demande ultérieurement. Si le désaccord persiste pendant deux exercices successifs, le salarié peut déposer sa demande dans le cadre du Congé individuel de formation (Cif).
Des actions de formation prioritaires peuvent être également définies par accord collectif d'entreprise ou de branche, ainsi que par accord interprofessionnel. Le salarié peut alors choisir une formation parmi celles-ci, bien que ce ne soit pas une obligation. Dans la pratique, ce processus semble l'emporter. «Parmi la dizaine de groupes ayant fait connaître leurs politiques en ce domaine, il semblerait que les entreprises mettent à la disposition de leurs salariés un catalogue de formations au sein duquel ces derniers peuvent exprimer leur préférence, relève Jean-François Dumont, auteur du rapport de la DGEFP. Cette offre n'est généralement pas exclusive de toute autre demande de formation, mais on peut considérer que ces catalogues couvrent l'essentiel des demandes et, qu'au final, les formations souhaitées par les salariés sont peu dissociables de celles proposées par les employeurs.» Une pratique que le législateur n'avait peut-être pas prévue, mais que les services achats, plutôt adeptes de la globalisation, ne désavoueront pas!
Selon la Cegos, 22% des entreprises ont déjà mis en place un catalogue de formations propre au Dif. Cela dit, au niveau du contenu, il n'y a aucune différence avec les formations traditionnelles. «Nous proposons exactement les mêmes formations», précise Blandine Legrand. D'autres organismes joueront peut-être une carte marketing en labellisant certaines de leurs formations, afin d'attirer l'oeil des acheteurs. Côté financement, il apparaît que plus de la moitié des entreprises (54 %) ont fait appel aux services des OPCA (Organisme paritaire collecteur agréé) pour gérer ce nouveau dossier. Les frais de formation sont, en effet, à la charge de l'employeur, ce dernier pouvant les imputer sur sa participation au développement de la formation continue.
Anticiper l'impact sur les budgets formations
Pour le moment, le Dif n'a guère eu d'impact sur les budgets formations. Et pour cause. Peu de salariés ont déjà fait jouer leur droit. Mais les conséquences, pour celles qui n'auraient pas anticipé ce phénomène, pourraient se révéler problématiques, au niveau budgétaire, à court terme. Un point de vue qui n'est pas en accord avec le rapport de la DGEFP: «D'une manière très générale, les entreprises connaissent un essor du Dif sans que celui-ci n'augmente significativement la dépense de formations, du fait de la prise en charge des frais pédagogiques par les OPCA concernés.» Le rapport note toutefois que certaines entreprises s'inquiètent visiblement de la capacité de financement des OPCA, «qui risquent de se voir confrontés à un volume de dépenses trop important». La DGEFP ne semble pas ignorer le problème, mais se veut rassurante. «En l'état actuel, les OPCA semblent disposer de marges de manoeuvre financières qui leur permettent d'honorer la plupart des demandes qui leur sont adressées. Cette situation pourrait se modifier au cours du temps en cas de demandes trop abondantes», conclut-elle néanmoins.
En outre, la DGEFP préfère relever les bons côtés de la réforme. «Le Dif est généralement considéré par les employeurs comme un espace de liberté et de responsabilité, convenu avec le salarié, de nature à renforcer la confiance mutuelle et l'adhésion à l'entreprise», note le rapport. Pour certains, cette vision apparaît un brin idéaliste. Les arguments en faveur du Dif restent classiques: fidéliser les salariés, faire face à des difficultés de recrutement, augmenter les compétences professionnelles ...
Et en pratique?
Une grande entreprise de la chimie interrogée par la DGEFP propose quelques Dif conformément à la loi, mais estime que sa politique de formation est suffisante. En outre, il apparaît que les Dif proposés s'éloignent du coeur de métier des salariés et concernent essentiellement l'enseignement des langues et de la micro-informatique.
Dans le secteur des télécommunications, les sociétés interrogées par la DGEFP emploient un personnel très jeune et connaissent un fort taux de rotation. Ainsi l'essor du DIF correspond à une double volonté: permettre aux salariés d'améliorer leurs compétences et d'obtenir ainsi une baisse du taux de rotation.
L'intervention possible des acheteurs
Si l'application du Dif ne semble pas être la priorité actuelle des entreprises, le problème risque pourtant de prendre rapidement de l'ampleur. Dans ce contexte, les directions achats pourraient se voir solliciter à court terme afin de constituer des catalogues de formations appropriés. «Ce n'est pas une surprise, témoigne Blandine Legrand. Les services achats sont déjà nos interlocuteurs depuis dix ou quinze ans. Le Dif ne change en rien le processus d'achat de formations.»
Les bonnes pratiques en la matière sont déjà connues. Dans un premier temps, en collaboration avec les DRH et les responsables formations, l'acheteur en charge du projet identifie les besoins de formation de l'ensemble des salariés de l'entreprise. Une fois cette tâche effectuée, il recherche les organismes susceptibles de répondre à cette demande, de manière à constituer un catalogue de formations. «L'aspect négociation porte moins sur le prix des formations que sur le nombre de services, en termes d'accompagnement et de reporting notamment, que nous pouvons apportera l'entreprise», indique Blandine Legrand. Ainsi le Dif pourrait se révéler un bel exemple de collaboration entre la DRH et la direction achats, sans que ce processus ne soit vécu comme une intrusion des achats sur les prérogatives des chargés des ressources humaines. A ce titre, Demos organise en mars prochain les premiers «Trophées du Dif», une manifestation qui entend récompenser les projets les plus aboutis en la matière. Et de faire parler un peu plus du Droit individuel à la formation.