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Indicateurs de performance: faut-il benchmarker le coût ou la valeur?

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Tout, ou presque, est quantifiable dans l'univers des achats. Encore faut-il savoir de quel côté on se range: celui du potentiel d'économies réalisables ou celui de la création de valeur?

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@ PITRIS / FOTOLIA

Si des critères traditionnels tels que les savings n'ont pas vocation à disparaître des tableaux de bord des acheteurs, il apparaît que d'autres indicateurs méritent d'y être intégrés: l'innovation apportée par les acheteurs, la satisfaction des clients internes et des fournisseurs (un critère très important dans un monde de ressources rares dans lequel s'impose la question de la sécurisation des approvisionnements), le taux de survie des fournisseurs en période de crise, etc. Pourtant, ces outils de mesure de la performance achats ont très peu évolué au cours des dix dernières années. La réduction des coûts et la recherche du meilleur prix restent les premiers objectifs auxquels doivent répondre les directions achats.

L'analyse de la création de valeur - notion en vogue - gagnerait à être étoffée dans le calcul de la performance achats. Or, une telle évolution implique de repenser la relation fournisseur comme un capital immatériel. Véritable actif stratégique, et non toxique, la gestion de la relation fournisseur impose à l'acheteur de redéfinir ses moyens d'action pour garantir l'attractivité de l'entreprise auprès des partenaires qui lui permettent de maintenir sa compétitivité. Pour accompagner la performance fournisseur, il devra activer des leviers de motivation et instaurer une relation de confiance pérenne.

Hugues Poissonnier, Ecole de management de Grenoble

« Les entreprises ont progressé dans le pilotage des performances des fournisseurs, en termes de mesure et de mise en oeuvre d'actions concrètes. »

« La performance achats se fonde sur la création de valeur »

Par nature subjective, la performance achats est inéluctablement liée à la stratégie globale de l'entreprise. Si cette efficience était historiquement cantonnée au potentiel d'économies réalisables, elle porte, aujourd'hui, davantage sur la création de valeur.

Comment définir la performance achats?

Hugues Poissonnier: Avant d'aborder cette notion, il importe de préciser ce qui est en jeu: la nature de la performance évaluée. Par exemple, on peut mesurer la performance collective ou individuelle des acheteurs, en considérant le service achats dans son ensemble ou via chaque acheteur. On peut même englober dans la performance achats celle des fournisseurs. Je dirais qu'aujourd'hui, les entreprises ont beaucoup progressé dans le pilotage des performances des fournisseurs en termes de mesure et de mise en oeuvre d'actions concrètes. En revanche, la performance interne est trop souvent abordée de manière non cohérente avec les véritables missions confiées aux achats.

Par ailleurs, la notion de performance achats varie selon la stratégie de l'entreprise. Elle est subjective. Une entreprise ayant opté pour un positionnement haut de gamme de ses produits aura intérêt à privilégier la valeur qui peut être générée par les achats. Une société misant sur un positionnement bas de gamme favorisera la réduction des coûts. Dans chaque cas, des indicateurs spécifiques doivent être déployés.

Quels peuvent être ces indicateurs de performance?

Ils dépendent naturellement du type de performance recherchée. Historiquement, cette performance reposait sur le potentiel d'économies réalisables à mesure que l'externalisation dans les pays à bas coûts se développait. II est logique que des indicateurs très classiques comme le taux de savings ou les gains sur achats aient été privilégiés. Cela étant, de plus en plus de dirigeants prennent conscience du rôle des achats dans la création de valeur de la société. Et pour cause, en achetant différemment, l'entreprise peut intégrer davantage d'innovation dans les produits. Une innovation souvent captée chez les fournisseurs. Plus encore, elle peut proposer des produits plus respectueux de l'environnement ou socialement moins impactant... Acheter plus cher n'est donc pas problématique en soi, si l'entreprise est capable de mieux vendre ses produits (plus et plus cher). Au final, ce ne sont donc ni les coûts, ni la valeur qui importent, mais la différence entre les deux. Dès lors, on voit bien que la marge peut être augmentée par le haut et non uniquement par le bas. Si l'on adhère à cette vision, la mission confiée aux achats devient radicalement différente: contribuer à la marge de l'entreprise et non plus seulement à la réduction des coûts.

Quels doivent être alors les nouveaux critères de la performance achats?

Si des critères traditionnels tels que les savings n'ont pas vocation à disparaître, d'autres méritent d'être ajoutés: l'innovation apportée par les acheteurs, la satisfaction des clients internes, la satisfaction des fournisseurs (un critère très important dans un monde de ressources rares où s'impose la question de la sécurisation des approvisionnements), le taux de survie des fournisseurs en période de crise, etc. Autant d'indicateurs qui doivent être inclus dans les tableaux de bord achats. Bien sûr, tout n'est pas mesurable mais avec un peu d'imagination, on peut définir des indicateurs utiles, faisant encore souvent défaut aujourd'hui. Tout simplement parce que les achats ne sont pas assez reconnus à leur juste valeur au sein de l'entreprise. Pour mieux travailler avec les clients internes, il importe de légitimer la fonction en montrant sa réelle valeur ajoutée sur la performance globale de l'entreprise.

Propos recueillis par Charles Cohen

1 - Maîtriser les indicateurs

Outils de mesure de la performance achats, les indicateurs ont très peu évolué. La réduction des coûts et la recherche du meilleur prix restent les premiers objectifs des directions achats. Pourtant, l'analyse de la création de valeur gagnerait à être étoffée dans le calcul de la performance achats.

Dans la pratique, les indicateurs de performance achats sont bâtis en fonction de critères quantitatifs. Une tendance vieille de plus de dix ans, qui n'a pas connu de bouleversements majeurs. Ainsi, en 2002, les étudiants du master de Management stratégique des achats (Desma) - de l'Institut d'administration des entreprises de Grenoble - enquêtent sur la mesure de la performance achatsLa mesure de la performance achats, recherche collective, 2002 et constatent que la recherche du meilleur prix et des économies réalisées arrivent en tête des préoccupations des acheteurs, dans 80 % des cas. En novembre 2011, le cabinet d'études Accenture et l'Institut pour l'innovation et la compétitivité de l'ESCP Europe mènent une étude intitulée «Open innovation: what's behind the buzzword" auprès de 150 grandes entreprises. Celle-ci met en évidence la prépondérance de la réduction des coûts dans les critères d'évaluation de la performance.

«En tête du classement des indicateurs reflétant la performance achats, les directeurs de la fonction ont répondu le prix d'achat et le coût total d'acquisition. Ces indicateurs ne sont pas nouveaux, souligne Irène Foglierini, responsable du master Achats de l'ESCP Europe. Bien que la moitié d'entre eux considèrent que la création de la valeur est un critère d'évaluation de leur performance, les grandes entreprises déclarent ne pas avoir d'outils de mesure à leur disposition. »

Création de valeur ou standards purement quantitatifs

La création de valeur est-elle si difficile à prendre en compte dans les indicateurs de performance achats? «Dans l'entreprise, on a coutume de considérer que la création de la valeur des services achats se mesure au travers de leur contribution à la marge brute», explique Irène Foglierini. Autrement dit, elle s'évalue en fonction des économies générées. A contrario, envisager que les services achats puissent apporter de la valeur ajoutée reviendrait à les laisser obtenir un prix d'achat plus élevé. Or, cette option est encore inconcevable dans les entreprises qui continuent d'associer au prix élevé la notion de surcoût. Parallèlement, la doctrine a historiquement fondé l'analyse de la performance achats sur les stratégies économiques de l'entreprise, à l'instar du balanced scorecardOutil de pilotage établissant une relation directe entre la stratégie de l'entreprise et sa mise en oeuvre autour de quatre axes: financier, client, processus interne, et apprentissage et développement., défini en 1996 par l'économiste Robert Kaplan. Ainsi, la stratégie achats s'inscrit dans la stratégie globale de l'entreprise selon 80 % des directeurs achats interrogés lors de l'étude de 2002 menée par les chercheurs du Desma. En 2001, Arjan Van WeeleArjan Van Weele, auteur de Purchasing and supply chain management: analysis, planning and practice, Business Press, 2000. affirme que la mesure de la performance doit allier une analyse de l'efficacité et de l'efficience, soit une conjugaison de la mesure des degrés de satisfaction des objectifs préalablement fixés et des ressources minimales (humaines et techniques) requises pour y parvenir. Or, les ressources sollicitées dépendent aussi du contexte économique! Par ailleurs, sur le plan organisationnel, « l'audit de la performance achats, réalisé par les contrôles de gestion et les directions administratives et financières, se limite à l'étude du nombre de factures traitées, aux litiges fournisseurs recensés et à la qualité du service délivré», indique Irène Folgierini.

Un meilleur ancrage dans la réalité économique

L'analyse de la performance achats est bornée dans le temps. Son évolution n'est pas étudiée, ce qui entrave l'identification de la création de valeur dans les objectifs de l'acheteur. « Si l'acheteur obtient un prix d'achat de 45, contre 50 sur le marché en année N et conserve l'année suivante le même prix d'achat, le prix du marché est passé à 48, l'auditeur ne contrôle pas les gains liés au changement de prix du marché », souligne Irène Folgierini. Par ailleurs, les fluctuations du prix du marché au cours de la période de référence ne sont pas prises en compte dans l'analyse du prix d'achat obtenu par le service. Les indicateurs vont jouer un rôle de référence, mais en fonction des turbulences de l'environnement économique ou du portefeuille achats, elle évolue dans le temps.

Par Sihem Fekih

2 - Faire fructifier la performance Fournisseur

La gestion de la relation fournisseur impose à l'acheteur de redéfinir ses moyens d'action. L'objectif: garantir l'attractivité de l'entreprise auprès des partenaires qui lui permettent de maintenir sa compétitivité. Pour accompagner la performance fournisseur, il doit activer des leviers de motivation et instaurer une relation de confiance pérenne.

« Chez Total, le directeur achats a été pendant longtemps qualifié de directeur de la relation fournisseur », a déclaré Isabelle Delarbre, directeur achats et approvisionnements de Total raffinage & marketing, lors de la journée des Achats Allianz, le 6 décembre 2011. Cette redéfinition de la fonction achats n'est pas sans fondement. Dans l'entreprise, le lead buyer se voit confier la responsabilité du déplacement vers la création de valeur, notamment en étant chargé du dévelop pement des processus d'externalisation vers des fournisseurs. Mais en matière de choix make or buy, les directeurs achats ne sont pas toujours décisionnaires, comme le souligne le cabinet Logica Business Consulting. Et pour des raisons de performances économiques, l'entreprise a tendance à opter pour le buy Par conséquent, le glissement vers la création de valeur implique de repenser la relation fournisseur comme un capital immatériel. De ce fait, le responsable achats apparaît comme un manager des ressources externes, un rôle qui nécessite de mettre en place différents outils de motivation des fournisseurs.

La motivation au coeur de la relation fournisseur

Conséquence du développement économique des pays à bas coûts, la concentration des fournisseurs impose désormais à l'entreprise de se vendre auprès de ses partenaires qu'elle considère comme des «actifs stratégiques», pour reprendre l'expression de Natacha Tréhan, responsable du master de Management stratégique des achats (Desma) formation continue de l'Institut d'administration des entreprises de Grenoble. L'attractivité de l'entreprise permettra ainsi de surmonter les obstacles dans sa quête du leadership: compétitivité accrue, cycle de vie de l'innovation réduit, rareté des matières premières... Mais encore faut-il motiver ses fournisseurs-clés! En 1964, le théoricien Victor Vroom met en évidence un schéma triangulaire de la motivation fournisseur reposant sur trois piliers: la valence, l'expectation et l'instrumentalité. Le premier consiste à évaluer l'intérêt du fournisseur à exécuter une opération, par exemple l'apprentissage d'une nouvelle méthode de production ou la percée sur un nouveau marché. Le deuxième critère correspond à la capacité du fournisseur à réaliser cette même opération. Enfin, le troisième désigne l'opportunité pour le fournisseur d'obtenir une rétribution, pas seulement financière, à l'exécution du projet confié. Pour parvenir à cerner ces trois critères, le cabinet Logica Business Consulting recommande non seulement la mise en oeuvre d'une campagne d'évaluation de la satisfaction de ses fournisseurs-clés, mais également un examen approfondi de leur solidité financière, de leur stratégie business, de leurs ressources et de leur potentiel d'innovation.

Partager ses indicateurs de performance

C'est en construisant une relation de confiance que le directeur achats pourra pérenniser sa performance fournisseur. L'objectif: constituer une rente relationnelle avec ses partenaires stratégiques, ceux dont l'entreprise ne peut se passer et qui lui assurent un avantage concurrentiel. Cette démarche implique de mettre fin à une politique d'alignement de ses fournisseurs sur ses objectifs stratégiques, au profit d'un partage des indicateurs de performances propres à chaque partenaire (KPI achats et fournisseurs, roadmaps, balanced scorecards, etc.). Une approche qui nécessite d'analyser le taux de dépendance de ses fournisseurs et qui permet d'apporter de la visibilité à ses cocontractants. Il est aussi important de valoriser ses fournisseurs-clés en les intégrant, en amont, aux projets de coconception et de codéveloppement pour dégager de l'innovation externe, une forme de création de valeur indispensable. En contrepartie, cette bonne pratique impose une définition préalable des droits de propriété intellectuelle. Dernier point, le directeur achats doit adopter une conduite irréprochable: réduction du taux de défaillance, signature de la charte de bonnes pratiques, éditée par le médiateur de la sous-traitance interentreprise, et désignation en interne d'un médiateur seront des points positifs sur lesquels il pourra s'appuyer afin de capitaliser sur sa relation fournisseur.

Par Sihem Fekih

 
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Emmanuelle Serrano

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