Construire un système de rémunération variable
Chaque entreprise peut bâtir son propre système de rémunération variable. Néanmoins, il apparaît que certaines tendances, comme l'adoption d'un fonctionnement trop spécifique aux acheteurs, peuvent s'avérer dangereuses. Conseils d'experts.
Je m'abonneLes acheteurs du spécialiste de la fabrication de produits chocolatés Barry Callebaut, une équipe de huit personnes qui couvrent la zone France et Afrique, ne bénéficient pas de rémunération variable. Pour leur responsable, Jean-Michel Ponthieux, «une part variable ajoutée au salaire fixe serait pourtant un plus indéniable pour accroître la motivation de l'équipe. A condition, précise-t-il, qu'elle soit fondée sur des objectifs annuels et sur des critères qualitatifs tels que le suivi des dossiers ou la recherche de fournisseurs, et non sur les seuls critères d'économies.» Une nécessité, selon lui, pour éviter d'adopter un système où la chasse aux coûts ne prend pas en compte les aspects de qualité. Et d'ajouter: «Les achats ont un rôle fédérateur dans l'entreprise et leur fonction est primordiale pour la compétitivité. C'est pourquoi il me semble logique d'associer aux performances des acheteurs les résultats de l'entreprise.»
La volonté de Jean-Michel Ponthieux concernant la part variable semble logique. Levier naturel de reconnaissance, ce procédé touche aujourd'hui l'ensemble des secteurs d'activité et des fonctions dans les entreprises. Une étude réalisée par Hay Group en mai 2007 révèle d'ailleurs que 78% des sociétés françaises ont mis en place un tel système pour leurs cadres hors commerciaux. Un système global et non spécifique à la fonction achats. «Les organisations considèrent, à juste titre, que les acheteurs contribuent au résultat économique de leur entreprise, explique Bernard Marty, consultant expert en rémunération chez Hay Group. Mais ils ne sont pas les seuls. Dès lors, si l'on met en place un système de part variable pour les acheteurs, les autres fonctions non commerciales doivent également en bénéficier.» Ce système permet d'affirmer clairement que la performance est le fait de tous et non uniquement des seuls opérationnels et dirigeants. «En outre, associer toutes les fonctions à un même système favorise les synergies entre-elles», estime Bernard Marty (Hay Group).
Attention aux mauvaises pratiques
Dans la pratique, il apparaît pourtant que la solution de facilité, qui reste la plus courante dans les entreprises, consiste à mettre au point une rémunération variable spécifique aux acheteurs, uniquement basée sur les économies réalisées. «Ce choix est dangereux, prévient Bernard Marty (Hay Group). En plus d'être restrictif, il engendre un risque important de transformer les acheteurs en véritables cost killers, avec des objectifs à court terme. Alors que leur fonction consiste aussi à préparer l'avenir.» Même sentiment du côté de Ghislaine Caire, fondatrice du cabinet de recrutement Orion spécialisé dans les achats. «L'acheteur peut alors être conduit à se préoccuper exclusivement de sa part variable. En plus d'engendrer un travail de mauvaise qualité, cela le place sous une trop forte pression», estime-t-elle. Dans ce contexte, il semble que prendre en compte des critères plus qualitatifs dans la construction d'un système variable soit préférable, à l'instar de celui des fonctions commerciales. «Les rémunérations variables des vendeurs et des acheteurs devraient se ressembler», note Bernard Marty (Hay Group). Un système d'autant plus légitime que les niveaux de formation dans la fonction achats s'élèvent et que les acheteurs réclament, logiquement, la reconnaissance de leur action à un niveau qualitatif et non plus sur leurs seuls résultats.
«La tendance est à une meilleure prise en compte de ces aspects qualitatifs, estime, pour sa part, Muriel Crichton, fondatrice de Karisma People, un autre cabinet de recrutement spécialisé dans les achats. Les modes de rémunération des acheteurs suivent l'évolution de la fonction. En effet, ce métier n'est plus basé sur la recherche d'économies à court terme mais davantage sur les moyens et longs termes, avec une dimension stratégique de plus en plus importante. C'est le cas, par exemple, avec l'intégration des fournisseurs en amont des projets.» Avec un tel système de rémunération, les achats deviennent directement liés à la performance et à la stratégie de l'entreprise. «La fonction est alors tirée vers le haut. Et, de cette manière, les personnes de très bon niveau en interne font preuve d'un intérêt croissant pour les achats», poursuit Muriel Crichton.
Pour Bernard Marty (Hay Group), la nuance entre le résultat et la performance est au coeur du sujet. «La performance se mesure également par la capacité à mener un projet à bien, dont on sait qu'il n'aura pas forcément d'impact sur les résultats globaux annuels», explique-t-il. C'est la raison pour laquelle l'idée d'étendre un système variable à des fonctions non commerciales se heurte fréquemment à la méfiance des bénéficiaires. «Les arguments abondent pour réfuter le principe selon lequel la performance d'un cadre se résume uniquement à des résultats individuels, purement économiques et à court terme», relate Bernard Marty (Hay Group).
Entre 8 et 15% du salaire fixe
En France, la part variable représente en moyenne entre 8 et 15% des rémunérations. «A priori, dépasser 15% n'est pas indiqué car la part donnée aux économies réalisées deviendrait trop importante», conseille Bernard Marty (Hay Group). Des propos nuancés par Nicolas Kourim, président de Big Fish, cabinet de ressources humaines spécialisé dans les achats: «La part variable peut être plus importante lorsque l'acheteur est vraiment reconnu dans son rôle de créateur de valeur.» Et d'ajouter qu'un acheteur doit de toute façon rapporter deux ou trois fois plus que ce qu'il coûte.
Il apparaît néanmoins que tous les pays ne suivent pas la même démarche. Pour Muriel Crichton (Karisma People), la France n'est pas la plus avancée en termes de part variable pour les acheteurs. «La notion d'incentive n'est pas encore suffisamment ancrée dans les moeurs. D'autres pays voisins proposent des parts variables qui peuvent représenter de 30 à 100% du fixe!», assure-t-elle. Dans ce cas, la performance des achats est alors prise en compte au même titre que la croissance ou la pérennité de l'entreprise. «Il est souhaitable que cette tendance gagne l'Hexagone si l'on veut éviter que les bons éléments s'en aillent», estime Muriel Crichton.
Muriel Crichton, Karisma People
«La France n'est pas le pays le plus avancé en termes de part variable pour les acheteurs.»
Bien communiquer en interne
Sujet sensible, l'introduction ou la modification d'un système variable nécessite de prendre certaines précautions. En premier lieu, selon Bernard Marty (Hay Group), il faut veiller à ne pas tomber dans le piège de la diminution du salaire de base. «Quand bien même le revenu global serait supérieur, il est illusoire de penser qu'un système de variable puisse se construire au détriment du salaire fixe, prévient-il, ajoutant, qu'au-delà des aspects contractuels et juridiques, cela risquerait d'entacher l'adhésion au système et affecterait son efficacité.» Il convient donc d'intégrer cet élément et de l'accompagner de précautions techniques et de communication nécessaires. Et notamment de bien choisir les populations qui vont bénéficier du système de rémunération variable. Bernard Marty (Hay Group) prône une approche verticale, consistant à commencer la mise en place du système aux niveaux les plus élevés de responsabilité, afin de le roder et d'insuffler la culture de la performance par le haut. «Une enveloppe additionnelle de 2%, par exemple, permet de récompenser dans de bonnes conditions les collaborateurs les plus performants. A condition d'éviter le saupoudrage sur les moins performants», commente-t-il.
Par ailleurs, la communication interne doit mettre en exergue l'importance que la direction accorde à la mise en place d'une rémunération variable, acte essentiel de management. «Les acheteurs, comme tout autre cadre, adhéreront d'autant plus facilement au système qu'ils auront été consultés lors de son élaboration», prévient Bernard Marty (Hay Group). Les collaborateurs seront ainsi d'autant plus convaincus que ce changement n'a pas vocation à les contrôler, mais bien à les stimuler et à rétribuer équitablement leur performance. D'autre part, afin de mettre en évidence l'intérêt de la démarche, procéder à des simulations via des exemples concrets paraît judicieux. Lesquelles constituent un élément clé de la communication interne, car elles permettent de clarifier les nouvelles attentes du management en termes de contribution au résultat. Et de préciser les rôles respectifs du salaire fixe et du variable, afin d'éviter le principe parfois appliqué de compensation. A savoir la mise en place d'un variable pour compenser l'impossibilité d'augmenter le fixe.
Christophe Koch, responsable du service performance et support achats, Aéroports de Paris
Témoignage
«Une part variable permet de motiver ses collaborateurs»
Aéroports de Paris verse à ses acheteurs une part variable représentant jusqu'à 10% de leur salaire fixe. «Un tel bonus permet de motiver nos collaborateurs», estime Christophe Koch, responsable du service performance et support achats du groupe. Une part variable qui prend en compte les économies réalisées, mais pas seulement. L'assiette d'évaluation est large: «Nous mesurons également la performance de l'acheteur sur les volumes et le suivi des dossiers, ajoute Christophe Koch. Pour être indiscutable, chaque indicateur doit être quantifiable.»
Pour lui, le management doit à la fois jouer sur l'injonction et la séduction, afin que le système soit accepté. «De cette manière, les équipes adhèrent à ce système et ont envie de progresser.» En plus de motiver le collaborateur, la part variable offre un autre atout de taille. «Malgré un diplôme achats, un jeune peut avoir du mal à établir un plan de carrière dans ce service, explique Christophe Koch. Par conséquent, la mesure de sa performance fournit des vecteurs d'amélioration de sa fonction tout en contribuant à valoriser son travail.»
Aéroports de Paris:
ACTIVITE
Gestionnaire de plateformes aéroportuaires
CHIFFRE D'AFFAIRES 2007
2,3 milliards d'euros
EFFECTIF
11 400 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS
1 milliard d'euros
EFFECTIF ACHATS
70 collaborateurs
Bernard Marty Hay Group
L'oeil de l'expert
«Un système efficace doit être discriminant»
Proposer une part variable identique à tous les acheteurs d'une même entreprise est une erreur à ne pas commettre selon Bernard Marty, consultant expert en rémunération chez Hay Group. «Pour être efficace, un système de rémunération variable doit être discriminant, c'est-à-dire que la proportion de la par t variable doit pouvoir évoluer en fonction de la performance de chaque acheteur», explique-t-il. Par exemple, si la part variable standard est de 4% dans une entreprise, ce pourcentage doit pouvoir varier entre 0 et 8%. «Une amplitude plus faible, par exemple de 3 à 5%, qui sera insuffisante pour rémunérer les acheteurs les plus efficaces encouragera, de plus, une performance générale médiocre», avertit Bernard Marty.
Bonnes pratiques
Mettre en place un système de part variable
Avant de mettre en place ou améliorer un système de part variable, plusieurs points doivent être vérifiés. En premier lieu, il semble prudent de s'assurer du rapport entre le coût global du système et la performance économique. Selon une étude réalisée en mai 2007 par Hay Group sur la mise en place d'une rémunération variable, il faut vérifier que le montant du bonus distribué est bien financé, en totalité ou partiellement, par une performance économique mesurable et prédéterminée. Cela peut ainsi permettre de constater que le bonus versé excède le différentiel de profit qu'il est censé rémunérer. L'erreur initiale de conception ou l'absence de contrôle des modalités d'application peuvent alors être mises en lumière.
D'autre part, la relation entre le bonus et la performance mesurée doit être établie. «On constate parfois une absence de lien, qui peut être due à plusieurs facteurs: manque de rigueur et de formalisme dans la construction du système, absence de contrôle de cohérence et d'équité..., observe Bernard Marty (Hay Group). Et d'ajouter que, le risque est de considérer le variable comme un complément naturel du salaire. Culturellement, il devient impensable de ne pas l'augmenter chaque année.»