Pour rendre plus verts leurs voyages d'affaires, certaines entreprises misent sur des programmes de compensation des émissions de CO2. Mais les innombrables méthodes de calculs et la multiplicité des organismes compensateurs mettent en doute le sérieux de la démarche. Enquête.
La compensation carbone, voici le nouveau créneau sur lequel surfent certains travel managers. Son objectif: contrebalancer les émissions de CO2 générées par les déplacements professionnels en finançant des projets écologiques comme la plantation d'arbres ou la construction de parcs éoliens. Des actions qui s'inscrivent, la plupart du temps, dans la politique globale de responsabilité sociale et environnementale fixée par chaque entreprise. Ainsi, de nombreux organismes compensateurs, comme Climat Mundi ou Action Carbone, se proposent d'accompagner des sociétés dans cette démarche «verte». «A partir du tonnage d'émissions à compenser, nous proposons aux entreprises et aux collectivités le financement spécifique et exclusif de projets dans les pays du Sud. Grâce à des rapports de mission, photos, vidéos, reportages terrain et voyages de presse, nous veillons à les tenir régulièrement informées de l'évolution de chaque programme soutenu», explique Julien Beauchesne, chargé de communication et partenariats chez Action Carbone.
Des solutions clés en main
Si la démarche peut paraître séduisante, son coût reste très variable d'un organisme à l'autre. « Une différence qui peut aller de la gratuité, notamment pour le calcul des émissions, à une dizaine de milliers d'euros pour la mise en oeuvre de la compensation», explique Isabelle Rappart, cofondatrice de Climat Mundi. Ainsi, la majorité de ces structures proposent des solutions clés en main: de l'évaluation des émissions de CO2 à la compensation. Mais comment être crédible lorsqu'on est à la fois juge et partie? Car en l'absence de méthode officielle, chaque organisme ou agence de voyages, à l'instar d'American Express, utilise sa propre démarche, ce qui conduit à une forte hétérogénéité des résultats.
Les émissions de carbone ne sont pas encore calculées scientifiquement, avec des appareils de mesure. Les techniques actuelles ne prennent pas toujours en compte le phénomène dit du forçage radiatif, «qui inclut les gaz mineurs et peut multiplier par deux les résultats finaux» rappelle l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). «ll y a un véritable manque de transparence méthodologique dans les outils de calcul», déplore Pierre Taillant, ingénieur économiste au service transports et mobilité de l'Ademe et animateur de la commission technique voyageurs de l'Observatoire énergie, environnement des transports. Pour garantir une certaine fiabilité, quelques organismes se réfèrent aux normes des institutions étrangères officielles comme le Defra, le département du ministère britannique en charge de l'environnement. D'autres acteurs s'appuient sur le bilan carbone, outil de comptabilisation développé par l'Ademe. «Son objectif n'est pas de quantifier les émissions de C02 pour faire du benchmark, mais simplement d'évaluer les divers postes émetteurs de l'activité afin d'envisager des pistes de réduction», explique Cyrielle Borde, chargée de l'animation et de la diffusion du Bilan Carbone de l'Ademe.
La jungle des logiciels de transparence
Le flou autour des calculateurs se retrouve au niveau des prix à la tonne de CO2. Le marché de la compensation carbone, soumis à la loi de l'offre et de la demande, est constitué d'organismes qui contractent, pour la plupart, des crédits carbone auprès de «porteurs de projets» (ONG, associations «solidarité internationale», etc.), régis par le protocole de Kyoto. «Des droits à polluer» que les organismes proposent, ensuite, à des tarifs variables aux entreprises désireuses de compenser leurs émissions de CO2. Une réalité que pointent du doigt certains acteurs, à l'instar de l'Ademe dans une étude publiée en 2007. Sa conclusion? Le prix de la tonne de carbone fluctue entre 6 et 24 euros. Des variations auxquelles l'Ademe a déjà essayé de mettre fin par le lancement en 2008 d'une charte des bonnes pratiques de la compensation volontaire et d'un site web associé (www.compensationco2.fr). Si la jungle des logiciels de calculs et des prix de la tonne équivalent carbone sont largement mis en évidence, certains labels de certification des projets bénéficient davantage de crédit. C'est le cas du label Gold Standard, créé en 2003, à l'initiative de plusieurs ONG internationales dont WWF, ou du Voluntary Carbon Standard (VCS) créé en 2006. Le vote de la loi Grenelle II impose des règles et devrait favoriser l'engagement des entreprises en matière de compensation carbone. «Si la plupart des sociétés calculent aujourd'hui leurs émissions de CO2, elles sont encore peu nombreuses à les compenser», indique Isabelle Rappart (Climat Mundi). En effet, dans le cadre de leur politique RSE, les entreprises privilégient d'abord une réduction à la source des émissions de CO2 grâce à l'utilisation de la visioconférence ou en préférant le train à l'avion pour les courts trajets, plutôt qu'une compensation proprement dite.
Ainsi, ce type de programme n'intervient souvent qu'en dernier recours et est perçu comme un «cadeau» fait à l'environnement ou une façon de s'acheter une bonne conscience à moindre coût. «Pour un voyage aller-retour Paris-New York, les émissions dégagées sont de l'ordre de 1,7 tonne équivalent CO2 qui peuvent se compenser pour 24 euros (en se référant au prix de 14 euros pour une tonne de C02), ce qui reste aujourd'hui négligeable par rapport au prix du billet», rappelle Guillaume Fortin, ingénieur consultant chez Cythelia et auteur d'un rapport intitulé «Etude et marché de la compensation carbone», publié en mars 2009. Sans oublier une autre limite, et non des moindres, de la compensation, selon lui, «celle-ci n'entraîne aucun changement dans les habitudes des entreprises. Elles continuent àpolluer». Une pratique qui n'est donc pas si écologique qu'elle n'y paraît...
zoom Les apports du Grenelle II
Que va changer la loi Grenelle II? Qualifée de «monument législatif» par Jean-Louis Borloo, ministre de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer, la loi Grenelle II a été adoptée le 29 juin, par le Parlement. Parmi les six grands chantiers évoqués, la réduction des consommations d'énergie et celui des gaz à effet de serre sont mis en avant. Si l'article 85-II prévoit l'obligation d'affichage des émissions de CO2 pour les prestations de transports de voyageurs et de marchandises, l'article 26 rend obligatoire, à terme, la réalisation de bilans carbone pour les entreprises de plus de 500 personnes, les collectivités de plus de 50 000 habitants et les administrations de plus de 250 personnes. «Dans le cadre de cette obligation, les méthodes de référence pour le calcul de ces bilans pourraient être définies par voie réglementaire via la rédaction d'un décret, détaille Cyrielle Borde, chargée de 'animation et de la diffusion du bilan carbone de l'Ademe. Cependant, il n'est pas question que notre méthodologie devienne une norme obligatoire en terme de mode de calcul. » Ainsi, de son côté, la Commission technique voyageurs de l'Observatoire énergie, environnement des transports (OEET), issue d'un engagement du Grenelle de l'environnement, s'attelle à définir une méthode-cadre basée sur dix à douze points pour les calculateurs et comparateurs CO2 des moyens de transports. Prévue à l'été 2010 ou à la rentrée, cette méthodologie ne sera cependant qu'incitative et non agrémentée d'un label formel de l'OEET.