Comment vendre en interne de nouvelles règles pour les déplacements
Face à la hausse de leur budget voyages, beaucoup d'entreprises ont cherché à instituer des nouvelles règles de déplacements pour leurs collaborateurs. Des changements pas toujours très bien vécus en interne. Une bonne communication en amont permet pourtant d'éviter bien des écueils.
Je m'abonneChanger les règles de déplacements dans l'entreprise, une simple formalité? Pas vraiment. Un grand acteur du domaine de la santé l'a appris à ses dépens. Ce groupe industriel s'est, en effet, doté en 2004 d'une nouvelle politique voyages relativement contraignante pour ses collaborateurs. Auparavant, ces derniers pouvaient, par exemple, réserver leurs vols en classe affaires I auprès de n'importe quelle compagnie aérienne. Avec les nouvelles règles de déplacements instituées par la direction achats, ils ont été contraints d utiliser les compagnies référencées en fonction de chaque destination, la classe affaires n'étant plus autorisée que pour les vols supérieurs à quatre heures. Idem pour le train, pour lequel les réservations en première classe ne pouvaient plus concerner les trajets inférieurs à deux heures. Des nouvelles règles de déplacements très mal vécues en interne. «Nous sommes passés un peu en force, reconnaît aujourd'hui le travel manager. Nos collaborateurs ont perçu ce changement comme une réduction de la qualité de leurs conditions de déplacements, et non comme une optimisation des budgets. Nous avons donc été obligés de mieux leur expliquer les enjeux de cette nouvelle politique voyages.» Aujourd'hui, la pilule est, semble-t-il, mieux passée.
A l'image de ce groupe industriel, beaucoup d'entreprises ont souhaité mettre en place, ces dernières années, de nouvelles règles de déplacements. «Déplus en plus de sociétés cherchent à limiter l'augmentation de ce poste de dépenses, voire tout simplement à réaliser des économies. Or, les budgets voyages des entreprises ont tendance à croître», observe Anne-Laure Gogeon, consultante au sein du cabinet Epsa Groupe. Des propos confirmés par les derniers résultats du baromètre American Express Voyages d'Affaires dévoilés en novembre dernier. En effet, 35% des entreprises ont vu leur budget voyages augmenter au cours des douze derniers mois. «Nos clients imaginent souvent que l'optimisation des déplacements professionnels passe par une négociation tarifaire avec les différents prestataires du marché, intervient Ivan Braticevic, directeur associé du cabinet de conseil Sherpa Purshasing. Ce n'est pas faux, mais les gains seront marginaux par rapport à d'autres leviers que l'on peut actionner en interne et qui portent sur les règles de déplacements des collaborateurs.» Une mesure efficace consiste à changer les conditions de réservation d'un déplacement. Par exemple, un aller Paris-Lyon en TGV coûte 59,90 euros en seconde classe contre 106,70 euros en première classe, soit une économie de 46,80 euros par trajet!
Ivan Braticevic,
Sherpa Purshasing
«Les voyageurs se rappellent toujours des problèmes rencontrés, mais pas de ce qui marche ou de ce qui est possible.»
S'appuyer sur des données chiffrées
Les objectifs d'économies ne seront remplis que si la nouvelle politique voyages est respectée. Pour cela, il est donc recommandé, pour ne pas dire impératif, de convaincre les salariés de l'entreprise du bien-fondé de la démarche. Première erreur à éviter: décréter une nouvelle politique du jour au lendemain, sans s'appuyer sur des données relatives aux déplacements des collaborateurs. Un travail de consolidation est donc nécessaire. «Ce préalable permet de prendre en compte la réalité du terrain et d'entrevoir les changements qui seront acceptés par tous les voyageurs», indique Anne-Laure Gogeon (Epsa Groupe). Pour ce faire, l'entreprise peut s'appuyer sur les rapports détaillés fournis par son agence de voyages. «Il s'agit de sources statistiques fiables, cela permet tout de suite de gagner en visibilité et de définir un périmètre d'action», estime Ivan Braticevic (Sherpa Purshasing). Anne-Laure Gogeon (Epsa Groupe) pointe un autre avantage: «L'agence de voyages peut comparer ces données avec celles d'autres clients et mettre en avant un certain nombre de bonnes pratiques.» Mais encore faut-il déjà utiliser les services d'une agence de voyages. Dans le cas contraire, la consolidation des données se révélera une tâche fastidieuse.
La deuxième erreur consiste à ne pas associer les salariés de l'entreprise au projet. «Il ne faut pas travailler dans son coin, sans rencontrer les grands voyageurs et les managers de la société, conseille Anne-Laure Gogeon (Epsa Groupe). Cette démarche prépare aussi psychologiquement les collaborateurs au changement.» Pour autant, il ne s'agit pas de réaliser un référendum populaire. «Les grands axes de la politique doivent être définis par un minimum de personnes, en tenant compte des contraintes et des besoins collectés auprès des voyageurs», détaille Ivan Braticevic (Sherpa Purshasing). Pour ce dernier, la direction achats doit surtout dépassionner le débat, en s'appuyant notamment sur les données précédemment chiffrées. «Le discours des salariés repose rarement sur des données quantifiables. Les voyageurs se rappellent toujours des problèmes rencontrés, mais pas de ce qui marche ou de ce qui est possible», rappelle-t-il. Si certains changements posent des difficultés, il est parfois nécessaire d'accepter quelques concessions. «Par exemple, donner la possibilité aux voyageurs d'accéder à des salons privatifs alors que la politique voyages impose de se déplacer en classe économique», avance Anne-Laure Gogeon (Epsa Groupe).
Une fois les données quantifiées et les salariés consultés, il convient alors de définir les nouvelles règles de déplacements. «Il faut y aller progressivement, ne pas changer du tout au tout, prévient Anne-Laure Gogeon (Epsa Groupe). Il ne s'agit pas défaire la révolution.» Dans les entreprises françaises, l'aérien représente souvent le premier budget en matière de déplacements professionnels (49% des dépenses de voyages selon le baromètre American Express), loin devant le rail et l'hôtellerie. Logiquement, les grands groupes ont donc cherché à réduire, ou tout du moins à limiter, ce poste de dépenses. Dans beaucoup d'entreprises, telles que La Poste ou encore Afnor, le train est désormais privilégié pour les trajets de moins de trois heures, ce qui inclut, au départ de Paris, les voyages vers Lyon, Lille, Marseille et Strasbourg. En revanche, la possibilité de réserver en première classe a été majoritairement maintenue. Concernant les déplacements de plus de trois heures, en avion, la classe économique est devenue la règle. Ainsi, chez Essilor, la classe affaires n'est plus autorisée que pour des trajets longs (supérieurs à six heures de vol) et à condition que le séjour sur place se révèle relativement court (moins d'une semaine).
Anne-Laure Gogeon,
Epsa Groupe
«II ne faut pas concevoir une politique dans son coin, sans rencontrer les grands voyageurs et les managers de l'entreprise.»
Faire preuve de pédagogie
Certaines sociétés adaptent leur politique voyages en fonction du profil du collaborateur. Une erreur selon Anne-Laure Gogeon (Epsa Groupe): «les différences de traitement sont mal perçues en interne. la nouvelle politique voyages doit concerner tout le monde, y compris le top management qui doit montrer l'exemple.» Quelles que soient les règles adoptées, le soutien de la direction générale est indispensable. La nouvelle politique doit être ensuite communiquée aux salariés, sans oublier l'agence de voyages. L'entreprise peut choisir d'expliquer les nouvelles règles de déplacements en organisant un séminaire, des réunions avec les directions opérationnelles ou encore de manière directive, par e-mail. «Il est indispensable de s'adapter au contexte et à la culture d'entreprise. Il n'y a pas de solution miracle», rapporte Ivan Braticevic (Sherpa Purshasing). La méthode douce est cependant conseillée. «Il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie, estime ainsi AnneLaure Gogeon (Epsa Groupe). Il peut être utile par exemple de s'appuyer sur des relais en interne pour expliquer les différents changements.» Enfin, le suivi de la bonne application des nouvelles règles de déplacements est indispensable. «l'entreprise doit faire preuve ici d'une grande fermeté. En cas de non-respect des nouvelles dispositions, la direction générale ne doit pas hésiter à taper du poing sur la table», conclut Anne-Laure Gogeon (Epsa Groupe). Ce qui est dit doit être fait.
Michael Simmonds, chef de l'unité des services contractualisés, OCDE
Témoignage
«Prendre le temps d'écouter et d expliquer»
Comme dans beaucoup d'organisations, la fin du système des commissions versées aux agences de voyages par les compagnies aériennes a obligé l'OCDE à revoir sa politique de voyages dès 2004. Ainsi, les achats de voyages n'étaient plus gérés en interne mais par un prestataire, Carison Wagonlit Travel. «La première année a suscité de nombreux mécontentements, reconnaît Michael Simmonds, chef de l'unité des services contractualisés à l'OCDE. Les experts reprochaient au prestataire externe de ne pas acheter tes billets les mieux adaptés à leurs déplacements.»
Lorsqu'il prend en main le dossier, en 2006, Michael Simmonds décide de créer un groupe représentatif des directions de l'organisation afin d'écouter les attentes des collaborateurs et clarifier le rôle de l'agence externe. Résultats: un service VIP de réservation est créé en interne pour les dirigeants de l'organisation; l'agence de voyages est, quant à elle, chargée d'accompagner les autres collaborateurs, qui restent maîtres de leur budget déplacements. «Nous préférons responsabiliser nos voyageurs plutôt que de leur imposer des règles. Par exemple en attirant leur attention sur les prix les plus économiques.»
La fiche
OCDE
ACTIVITE
Organisation internationale de coopération et de développement économiques
BUDGET
330 millions d'euros
VOLUME D'ACHATS
85 millions d'euros
VOLUME D'ACHATS DE VOYAGES
7 millions d'euros
Guillaume Trotin, acheteur voyages, Laboratoires Urgo
Témoignage
«Grâce à une consultation interne, les nouvelles règles ont été bien acceptées»
Les Laboratoires Urgo se sont dotés de nouvelles règles de déplacements en 2005, sur la base de l'ancienne politique voyages de Fournier Pharma, dont ils se sont séparés en 2003. Directions opérationnelles, grands voyageurs et acheteurs se sont donc retrouvés autour de la table pour discuter des améliorations à apportera cette politique. «L'objectif était d'écouter tout le monde, puis de formuler un certain nombre de recommandations en se basant sur des arguments financiers», souligne Guillaume Trotin, en charge des voyages chez Urgo. A la suite de cette concertation, un document de synthèse est alors présenté à la direction générale et à la DRH qui, après quelques remarques, valident la nouvelle charte. Pour l'aérien, la classe éco est alors devenue la règle, la classe affaires l'exception, tandis que la première classe est désormais réservée aux grands voyageurs pour les déplacements en train inférieurs à deux heures.
Selon Guillaume Trotin, ces nouvelles règles ont été «bien acceptées» par les salariés de l'entreprise: «Quand nous avons posé des limites, cela n'a pas surpris nos collaborateurs, impliqués dès le départ dans le projet. Et puis, nous n'avons pas modifié en profondeur l'ancienne politique. L'idée consistait avant tout à responsabiliser les voyageurs par rapport à des enjeux financiers.» Depuis l'élaboration de cette nouvelle charte, deux questionnaires de satisfaction ont été envoyés aux salariés. «Ces enquêtes nous permettent de recueillir leur sentiment, de les commenter et de rappeler les règles en matière de déplacements», explique Guillaume Trotin. Une communication qui a été relayée à plusieurs reprises dans le journal interne de l'entreprise.
La fiche
Laboratoires Urgo
ACTIVITE
Industrie pharmaceutique
CHIFFRE D'AFFAIRES
225 millions d'euros
VOLUME D'ACHATS
80 millions d'euros
ACHATS DE VOYAGES
650000 euros
SERVICE-ACHATS
11 acheteurs