Comment contenir le coût des mutuelles de santé
Le coût des régimes de complémentaire santé augmente depuis dix ans. De la rationalisation des contrats aux appels d'offres réguliers, il existe pour les entreprises de nombreux leviers pour optimiser un tel achat. Un sujet sensible, important pour la cohésion sociale.
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Ludovic Lacroix, Redbridge
«Sollicitées pour leur compétence en matière de négociation, les directions achats sont de plus en plus présentes auprès des DRH pour obtenir des baisses de prix.»
Désengagement de la Sécurité sociale, explosion de la consommation médicale, majoration de la taxe qui finance la CMU...Depuis une dizaine d'années, les prix de l'assurance complémentaire santé ont flambé. Les premières victimes d'une telle hausse ? Les entreprises, dont les budgets de protection sociale (mutuelle et prévoyance) ne cessent de gonfler, évalués en moyenne à 1 200 euros par salarié et par an (source : LowendalMasaï). Aussi, pour contenir le coût de ces régimes, les grands groupes comme les PME emploient les grands moyens. Leur créneau ? Négocier au plus juste le prix des assurances existantes et consulter régulièrement le marché en lançant des appels d'offres. « Un phénomène nouveau qui a émergé il y a deux ans à peine», témoigne Ludovic Lacroix, président de Redbridge, filiale du groupe Leyton spécialisée dans le courtage d'assurances. Et ce, au plus grand bénéfice des directions achats : «Sollicitées pour leur compétence en matière de négociation, ces dernières sont de plus en plus présentes auprès des DRH pour obtenir des baisses de prix», constate-t-il.
Mais l'exercice est loin d'être simple. « Considérés comme un acquis social pour les salariés, les régimes de protection sociale complémentaire sont loin d'être des achats comme les autres. Largement encadrés par le code de la Sécurité sociale et le code du travail, ils ont également fiait l'objet d'une réglementation plus stricte encore avec la loi Fillon, entrée en vigueur début 2008», rappelle Catherine Francony, directrice du pôle audit des coûts sociaux chez LowendalMasaï. L'objectif de cette loi ? «Favoriser les avantages du contrat d'adhésion collective, obligatoire pour tous les salariés embauchés après la date de souscription de l'assurance», précise la directrice du pôle audit. Par ailleurs, cette loi impose aux entreprises de bâtir leurs régimes de protection sociale complémentaire selon certains critères très précis, sous peine d'être exemptées des exonérations fiscales et sociales auxquelles elles ont droit.
Agir sur le tarif des mutuelles
Pour faire face à cette complexité réglementaire, les acheteurs n'hésitent pas à s'adjoindre les compétences de courtiers en assurances ou de cabinets indépendants spécialisés dans la réduction des coûts sociaux. Ces derniers proposent généralement un service sur mesure et par étape. «Premièrement, nous vérifions l'adéquation des contrats signés avec la réglementation en vigueur et la convention collective de l'entreprise», explique Philippe Labau, consultant chez Expense Reduction Analysts (ERA), spécialiste de l'optimisation des prestations de service dont les assurances. Objectif : vérifier que l'entreprise est bien en règle. « Car selon les secteurs d'activité, les conventions collectives sont plus ou moins contraignantes, reprend Philippe Labau. Parfois, elles vont jusqu'à imposer le taux de couverture des frais, le taux de répartition de la prise en charge entre le salarié et l'employeur, voire la ou les compagnies d'assurance à adopter. »
Si les régimes de prévoyance (assurance décès, invalidité ou incapacité) se révèlent les plus rigides, l'entreprise a souvent les mains plus libres pour agir sur le tarif des mutuelles. Dans tous les cas, l'objectif consiste à diminuer le coût de chaque assurance tout en gardant des garanties équivalentes. « Ce qui passe par une analyse du taux de sinistralité de l'entreprise, pour la prévoyance, et des frais médicaux engagés par les salariés, pour la complémentaire santé. Le but étant de savoir si le contrat passé avec l'assureur est bénéficiaire ou non», souligne Ludovic Lacroix (Redbridge). Un travail relativement simple à réaliser : « Il suffit que l'entreprise se réfère au relevé des dépenses de santé que son assureur est censé lui fournir chaque année et de comparer ce montant avec la prime octroyée à ce dernier», complète Philippe Labau (ERA). Si, couramment, le régime des mutuelles s'avère déficitaire pour l'assureur, celui de la prévoyance santé est souvent bénéficiaire. «Pour négocier les meilleures remises possibles, l'entreprise doit prendre en compte les dépenses d'assurance dans leur globalité, note Catherine Francony (Lowendal Masaï). Cette technique l'aidera à obtenir un profil optimisé et plus rentable des assurés, regroupant aussi bien les célibataires que ceux vivant en famille. »
Une cohésion sociale préservée
L'autre levier à disposition des entreprises consiste à établir en amont, avec les partenaires sociaux, le niveau de dépenses qu'elles souhaitent mutualiser avec les salariés pour exiger un contrat rentable sur le long terme. « Certaines compagnies n hésitent pas à acheter des contrats à perte pour attirer le plus grand nombre d'adhérents, ce qui leur permet par la suite de négocier une hausse des tarifs. Il faut donc être vigilant en rationalisant dès le départ le contrat. Tant au niveau des garanties que des prix», alerte, cependant, Philippe Labau (ERA). Pour plafonner les dépenses, diverses alternatives existent comme «exiger des devis préalables auprès des médecins ou privilégier les réseaux de soins en optique et en dentaire avec lesquels les tarifs des consultations ont déjà été négociés», renchérit le consultant.
Mais gare aux pratiques qui pourraient nuire à la cohésion sociale de l'entreprise : baisse de la participation de l'employeur au financement du régime, champ plus restreint des personnes couvertes... «Les mutuelles et la prévoyance santé sont des sujets délicats qui doivent être maniés avec précaution. Au vu du contexte social actuel, il n'est pas question de miser sur des garanties qui seraient moins généreuses pour les salariés, prévient Catherine Francony (LowendalMasaï). D'autant qu'il est primordial, d'un point de vue de gestion des RH, que les entreprises gardent l'attractivité de ces régimes. Car ils constituent aujourd'hui encore un formidable levier en matière de recrutement et de fidélisation des collaborateurs. »
Témoignage
« Nous avons conçu un mini-guide pour acheter une complémentaire santé »
Bel exemple de l'élargissement du champ de compétences des acheteurs. Le groupe pharmaceutique Sanofi-aventis a lancé, début 2009, avec la direction des achats de l'entreprise, la réalisation du "Medikit", un outil dédié aux bonnes pratiques en matière de sélection et de négociation des régimes de mutuelle et de prévoyance. «Elaboré en partenariat avec les ressources humaines, ce guide est distribué depuis septembre dernier à tous les réseaux achats et RH de Sanofi-aventis à travers le monde. Il présente une méthodologie complète de gestion et d'optimisation des prestations de complémentaire santé : du process de sourcing à la finalisation de l'appel d'offres, en passant par la communication vis-à-vis des salariés», explique Fabrice Mer, chargé de la catégorie assurances et prestations RH au sein de la direction corporate achats du groupe. Si l'outil comporte des modèles types de RFI (Request For Information), des grilles de cotations et d'analyse des prix, il intègre également les grands principes de politique sociale qui sont définis par l'entreprise. «Via cette solution, nous rappelons l'objectif prioritaire de Sanofi-aventis en ce qui concerne la complémentaire santé. A savoir fournir une protection sociale de qualité en couvrant le maximum de pathologies, en veillant à n'exclure aucun de nos collaborateurs et en fixant des niveaux de garanties élevés. »
Sanofi-aventis
ACTIVITE
Groupe pharmaceutique
CHIFFRE D'AFFAIRE 2008
27,6 milliards d'euros
EFFECTIF
Plus de 100 000 salariés dans le monde
VOLUME D'ACHATS 2008
10 milliards d'euros
EFFECTIF ACHATS
1 000 collaborateurs
La direction achats s est aussi impliquée dans la mise en place d'un régime en rente pour les salariés, destiné à financer leur complémentaire santé durant leur retraite. Il leur assure le même niveau de garanties que les salariés actifs. «Ainsi, après avoir bâti notre cahier des charges, nous avons lancé un appel d'offres auprès des assureurs compétents. Au final, nous avons négocié avec notre prestataire des remises sur les frais de cotisation et frais sur encours», détaille Fabrice Mer, avant de conclure sur la nécessité de mener ce travail d'optimisation avec vigilance : «La complémentaire est un sujet sensible qui doit être traité en collaboration avec les partenaires sociaux et les RH. C'est l'une des clés du succès en matière de gestion d'une telle famille d'achats. »