Bien acheter les études marketing
Après l'événementiel et les relations presse, les études marketing constituent un nouveau champ d'intervention pour les services achats. Une évolution critiquée par les cabinets d'études, qui redoutent les pratiques de cost killing adoptées par certains interlocuteurs. Eclairage.
Je m'abonneLoin d'être la chasse gardée des marketeurs, la commande d'études marketing intègre désormais le périmètre d'action des acheteurs. Une nouvelle réalité avec laquelle doivent composer les acteurs de ce marché. «Exit les acheteurs cantonnés à la négociation des matières premières, ils prennent progressivement en charge l achat d'études marketing et développent une expertise très nette en la matière», constate Guillaume Weill, directeur général de CRM Metrix, spécialiste des études de marché on line. Une montée en puissance des services achats, que ce dernier voit plutôt d'un bon oeil: «Même si l'objectif des acheteurs est d'optimiser les coûts, ils sont rarement dans une recherche du moins disant; bien au contraire, ils visent avant tout la qualité pour satisfaire leur client interne. » Cette position est pourtant loin d'être partagée par bon nombre de prestataires, TNS Sofres en tête. «Il y a parfois une contradiction entre les demandes des directions marketing, à la recherche d'études à forte valeur ajoutée, et les pratiques des services achats dont la mission est de réduire les coûts. Or, en exerçant une pression excessive sur les prix, ils risquent de nuire, in fine, à la qualité de la prestation», indique Stéphane Marcel, directeur marketing et développement de l'institut. Discours similaire chez Stratégir, autre spécialiste des études marketing, qui rappelle que le coût d'une enquête est lié à de multiples variables: mode de recueil des informations (on ou of line), taille de l'échantillon, taux de pénétration des cibles, durée de l'interview, etc. « Or, pour baisser les coûts, certains acheteurs n'hésitent pas à changer quelques paramètres, comme réduire la taille de l'échantillon, changer le type d'analyse statistique, etc. Une pratique dommageable pour le client interne qui dispose d'une étude différente de celle souhaitée au départ et dont la finesse d'analyse n'est pas garantie», souligne Isabelle Goisbault, directrice générale adjointe de l'entreprise.
Stéphane Marcel, TNS Sofres
«Il y a parfois une contradiction entre les demandes des directions marketing, à la recherche d'études à forte valeur ajoutée, et les pratiques des services achats dont l'objectif est de réduire les coûts»
Lancement d'un groupe de travail sur les achats
Une pluie de critiques dont le Syntec Etudes Marketing et Opinion, qui regroupe les spécialistes du secteur, se fait aujourd'hui l'écho. «l'intervention grandissante des achats entraîne une généralisation des pratiques de cost killing. C'est un facteur de dérives non négligeables comme le recours à l'of-shoring ou la pression sur les rendements », analyse Jean-Pierre Malosto, administrateur de l'association. Aussi, pour mettre un coup d'arrêt à ces pratiques, le Syntec vient de lancer un groupe de travail sur les relations avec les achats. «Dans ce cadre, nous prévoyons la création d'une charte des bonnes pratiques et V élaboration de grilles de prix types, afin que les acheteurs puissent disposer de référentiels communs et adaptés à nos usages. Bien sûr, les directions achats seront associées à ces initiatives», détaille Stéphane Marcel (TNS Sofres), dont l'entreprise est membre de ce groupe de travail. Une manière aussi d'optimiser le dialogue avec les acheteurs, peu formés aux spécificités des études marketing. «Notre métier est un mix entre une prestation intellectuelle et un savoir-faire industriel. En effet, il nécessite aussi bien l'expertise de directeurs et de chargés d' étude pour concevoir l'enquête et analyser les résultats, que d'enquêteurs, généralement vacataires, pour recueillir les données », explique Jean-Pierre Malosto (Syntec). Une "main-d'oeuvre" dont peut toutefois se prémunir le fournisseur chargé de réaliser une étude on line. «Dans ce cas, les questionnaires sont directement envoyés par Internet, induisant un coût de collecte limité. En revanche, le coût d'analyse peut être assez élevé, le nombre de réponses à traiter étant parfois plus important que dans le cas d'études off line» -, explique Guillaume Weill (CRM Metrix).
Guillaume Weill, CRM Metrix
«Les acheteurs prennent peu a peu en charge achat d études marketing et développent une expertise très nette en la matière»
La norme ISO 20252, un gage de qualité
Moult éléments ont donc une incidence sur le prix global d'une étude marketing, qu'elle soit on line ou of line. Aussi, pour "bien acheter", il est primordial d'exiger une décomposition précise de chaque coût. D'autant que les fournisseurs ne segmentent pas toujours leurs dépenses de la même façon, ce qui rend le travail de comparaison des offres plus complexe. «Par exemple, d'un prestataire à l'autre, la phase de traitement informatique des données peut être intégrée dans l'étape collecte des informations" ou "analyse des résultats". Aussi, pour comparer ce qui est comparable, l'acheteur doit exiger des candidats à l'appel d'offres une présentation identique des coûts», conseille Guillaume Weill (CRM matière Metrix).
Autre bonne pratique à adopter : exiger un détail des dépenses réaliste et pertinent. « Certains acheteurs nous demandent parfois, dans le cadre d'études internationales très complexes, 250 grilles d'analyse des prix, à réaliser en 15 jours. Or, il s'agit d'un travail fastidieux et qui n'est parfois même pas utilisé au final», déplore Stéphane Marcel (TNS Sofres). C'est dire la nécessité de créer une grille tarifaire commune, au moins pour mettre un frein à ce type de pratiques. Plus encore, celle-ci devrait permettre de valoriser l'expérience des consultants lors de l'évaluation du temps/homme, afin que ce critère soit davantage pris en compte durant les négociations. Un prérequis indispensable selon Jean-Pierre Malosto (Syntec) : «L'investissement dans la formation et le management des chargés d'études et des enquêteurs constitue l'une des clés de réussite d'une étude. » D'ailleurs, la norme internationale ISO 20252, créée en 2006, distingue les prestataires les plus impliqués dans cette démarche de qualité. Un critère d'achat qui deviendra, peut-être, aussi important que le prix.
Laurence Kerhello, acheteuses médias, mars
Témoignage
La qualité de l'étude est mon premier critère d'achat
Acheteuse médias depuis près de trois ans chez Mars, spécialiste de l'alimentation, Laurence Kerhello est aussi en charge des achats de consulting et d'études marketing. « Le groupe Mars est commanditaire de nombreuses enquêtes, qu'elles soient on line ou off line », rappelle l'acheteuse. Si cette dernière a référencé une petite dizaine d'agences, elle lance généralement ses appels d 'offres au près de deux ou trois prestataires uniquement. La raison ? « Nos demandes sont généralement très spécifiques et seuls quelques concurrents sur le marché peuvent y répondre. » Des études qui nécessitent parfois un travail de conception, de collecte et d'analyse conséquent. Exemple probant : la réalisation d'études évaluant l'impact d'une campagne d'affiches publicitaires sur la vente d'un produit. « Lors de chaque consultation, je veille toujours à définir le besoin en amont, en partenariat avec la direction marketing de l'entreprise », souligne-t-elle, forte d'une première expérience de quinze ans dans le marketing. Un atout non négligeable qui lui permet de parler d'égal à égal avec son client interne. « Mon objectif numéro un est de répondre aux besoins du prescripteur en achetant des études de qualité. Il n'est pas question de faire du cost killing en commandant des enquêtes aux résultats qui seront, in fine, inexploitables. » Au-delà de l'aspect "qualité", l'acheteuse mise toutefois sur la phase de négociation pour remplir un autre objectif : l'optimisation des coûts. « Ainsi, je décompose le plus possible tous les éléments générateurs du coût total : taille de l'échantillonnage, longueur du questionnaire, mode de recueil des informations... Un exercice ardu car certains prestataires ne jouent pas la carte de la transparence, en opacifiant leurs coûts. Tandis que d'autres segmentent chaque dépense de façon très différente, rendant la comparaison des offres encore plus complexe. »
Mars
Activité
Fabricant de produits alimentaires
Chiffre d'affaires 2009
1,425 milliard d'euros
Effectif
1960 salariés
Volume d'achats "ETUDES"
1 million d'euros