“Nous allons clarifier certains points du code”
Pour la première fois depuis sa nomination, fin 2007, Catherine Bergeal s'exprime dans la presse. Très attachée à la stabilité du code des marchés publics, elle annonce des réajustements et réfléchit à un code de la commande publique.
Je m'abonneVous avez annoncé que le code des marchés publics de 2006 subirait des ajustements. Quels seront-ils ?
CATHERINE BERGEAL : Je souhaite dire au préalable que je suis très attachée à la stabilité du code. Elle est d'autant plus nécessaire que les réformes ont été nombreuses ces dernières années. Cette stabilité est réclamée par les acheteurs publics eux-mêmes et par tous les acteurs économiques. Pour autant, l'immobilisme serait tout aussi néfaste et plusieurs types de modifications sont nécessaires. D'abord, celles que nous impose la mise aux normes communautaires, par exemple la modification des seuils de passation des marchés . Il faut en suite intégrer les priorités de la politique gouvernementale, par exemple l'amélioration des délais de paiement des personnes publiques. Ensuite, corriger certaines malfaçons de rédaction, par exemple l'article 125, qui renvoie à un décret qui n'existe plus, ou l'article 166, dans lequel il manque des alinéas. Enfin, nous allons clarifier des points qui ont donné lieu à des jurisprudences divergentes et faire un effort de simplicité.
@ YVES DENOYELLE
« Nous allons expliciter des points qui ont donné lieu à des jurisprudences divergentes et faire un effort de simplicité.»
Quels articles vont être clarifiés ?
Je citerai par exemple l'article 45 sur les niveaux minimums de capacité des candidats. Nous allons recopier la directive communautaire: les entités publiques pourront indiquer des niveaux minimums de capacité, mais cela n'est pas obligatoire. Ensuite, l'article 53 et la pondération des critères de concours, pour préciser clairement que ces critères ne sont pas obligatoires. Egalement l'article 77 sur les marchés à bons de commande, pour dire clairement que les acheteurs publics sont libres de fixer un prix minimum, un maximum, l'un des deux ou aucun.
Quand ces modifications seront-elles effectives ?
J'espère voir le décret nécessaire au Journal officiel avant la fi n de l'année 2008. Il est actuellement en concertation interministérielle.
Y aura-t-il d'autres réformes ?
Je ne l'exclus pas. Par exemple, des concertations politiques sont en cours, sous la conduite d'Hervé Novelli, pour réformer les délais de paiement des collectivités territoriales. La Direction des affaires juridiques (Daj) participe en outre à de nombreux chantiers, comme la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ou la Mesure de la réduction de la charge administrative (MRCA). Des propositions intéressantes peuvent être formulées dans ce cadre. Plus généralement, nous étudions les contributions des praticiens de la commande publique même si, parfois, celles-ci se contredisent. Du côté des acheteurs publics, nous organisons régulièrement des concertations avec leurs représentants. Nos bureaux de conseil aux acheteurs, à Paris et à Lyon, reçoivent en permanence des consultations par courriel: 3 000 nous sont parvenues. Cela occupe 12 personnes de la Daj à temps plein et autant à Lyon. Je veille à ce qu'il leur soit répondu dans le plus bref délai, de 24 heures à quatre jours, et de manière opérationnelle. L'analyse des questions posées nous fait comprendre leurs préoccupations et leurs difficultés. Du côté des fédérations professionnelles, que ce soit le BTP, les experts-comptables ou les architectes, je les rencontre souvent et j'assiste aux réunions de leurs commissions lorsque j'y suis conviée. De plus, la Daj reçoit un grand nombre de lettres qui nous amènent souvent à demander à leurs auteurs de venir nous voir pour comprendre leurs pratiques.
Quelle est votre position sur la suppression du délit de favoritisme, ressenti comme une épée de Damoclès par les acheteurs publics ?
Cette réponse pénale est inadaptée dès lors qu'il s'agit de pures règles de procédures. Le délit de favoritisme ne sanctionne pas la corruption dans la passation et l'exécution des marchés publics. Il existe d'autres délits pour la corruption: prise illégale d'intérêts, faux et usage de fausses factures, corruption, trafic d'influence. La France est aujourd'hui le seul pays d'Europe à avoir pénalisé la passation. Pour l'expliquer, il faut remonter à la création du délit de favoritisme, en 1991: à l'époque, le référé précontractuel n'existait pas et l'annulation du marché par le juge non plus. Depuis, le référé précontractuel a été créé. Le Conseil d'Etat a donné au juge administratif le pouvoir d'annuler les contrats par sa décision du 16 juillet 2007, dite «Tropic». La retranscription de la directive «recours», d'ici à un an, devrait par ailleurs fournir une voie de recours plus efficace et plus adaptée aux irrégularités sanctionnées que le délit de favoritisme. Le juge administratif aura, en effet, tout pouvoir d'annuler le marché qui ne respecte pas les règles de transparence et de mise en concurrence. De plus, il pourra infliger des pénalités financières aux collectivités qui auraient violé les règles. Le délai pour formuler ce recours devrait être de six mois après la notification du marché. Tout cela constituera une réponse adaptée pour les tiers lésés. Quant à la suppression du délit de favoritisme, c'est une décision politique compte tenu de la portée symbolique qu'il revêt, même si le nombre de condamnations est infime.
Le fameux code de la commande publique verra-t-il le jour ?
@ YVES DENOYELLE
C'est une question récurrente depuis plusieurs années. Comme le souligne le Conseil d'Etat dans son rapport 2008, le droit des contrats publics a perdu de sa lisibilité au cours des 15 dernières années. L'empilement de nouveaux types de contrat et la modification continuelle de leur régime ont engendré du désordre juridique et de l'inquiétude chez les acteurs. Le Conseil d'Etat vient de proposer de relancer le chantier du code de la commande publique auquel il avait renoncé en 2005. Lors des débats sur la loi de modernisation de l'économie (LME) et ceux concernant la loi sur les partenariats public-privé (PPP), la question s'est de nouveau posée. Nous allons réfléchir sur les contours de ce projet considérable, sur lequel le rapport Besson a fait des propositions. On ne peut avancer sur ce chantier qu'avec prudence. Les acteurs publics ont besoin de stabilité après les cinq années de modification du code des marchés publics. Par ailleurs, chaque acteur public s'est bâti les contrats dont il estimait avoir besoin - les ministères de l'Intérieur, de la Santé ou de la Défense par exemple - et accepterait difficilement, pour l'instant, de se couler dans un moule commun. On peut voir la période actuelle comme une phase transitoire d'expérimentation grandeur nature.
Biographie
Catherine Bergeal, 52 ans, a été nommée directrice des affaires juridiques du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Emploi (Minefe) en novembre 2007. Elle a succédé à Jérôme Grand d'Esnon. Diplômée de Sciences Po Paris et de l'ENA, elle est conseiller d'Etat. Elle a également été, pendant sept ans, commissaire du gouvernement chargée du contentieux des marchés et des contrats publics au Conseil d'État, et maître de conférences à l'ENA. Elle a notamment occupé le poste de directrice des affaires juridiques du ministère de la Défense de 2003 à 2007.
La Daj
Créée en 1998, la Direction des affaires juridiques (Daj) est un pôle d'expertise juridique. Outre sa mission ministérielle, elle a une compétence interministérielle dans plusieurs domaines, dont celui de la commande publique, par le biais d'une sous-direction spécifique. A ce titre, la Daj participe à l'élaboration du droit interne et communautaire de la commande publique et diffuse cette règle aux administrations. Elle informe les acheteurs publics par l'édition de publications présentant les nouveaux textes et les principales décisions de jurisprudence. La Daj remplit aussi une fonction de conseil, par des avis en matière de commande publique.