« Les seuls experts sont nos clients internes »
La centralisation possible menée à bien chez TNT Express France a permis au service achats de se recentrer sur son coeur de métier : acheter dans les meilleures conditions pour optimiser les dépenses de l'entreprise tout en veillant au bien-être des collaborateurs et à la satisfaction des clients prescripteurs. Tour d'horizon avec Jean-Jacques Richard.
Je m'abonneChez TNT Express France, quelle est la genèse de la direction des achats actuelle ?
Jean-Jacques Richard : La direction des affaires générales regroupe plusieurs directions dont celle des achats, l'audit, le contrôle interne, la qualité, la maintenance, la sûreté et les services généraux.
Depuis septembre 2011, la direction des achats a été complètement revue. Auparavant, les achats n'étaient qu'en partie centralisés. Les acheteurs négociaient les produits et services les plus importants, laissant aux autres collaborateurs le soin d'acheter selon une procédure ad hoc (suite de devis, etc.). Cette structure, en place pendant de nombreuses années, ne convenait plus à un monde en pleine mutation. Nous l'avons réorganisée de fond en comble. Et ce pour donner plus de temps à nos collaborateurs pour qu'au sein de chaque direction, ils puissent se recentrer sur leur coeur de métier.
Ont-ils accueilli ces changements avec angoisse ?
La première réaction a été la perplexité. Ils avaient l'impression qu'on leur retirait du pouvoir. Or, même si les achats ont été centralisés, nous nous appuyons tout le temps sur des experts métiers internes. La décision de l'achat ne se fera qu'en collaboration avec l'expert interne. On n'impose pas. On discute, on met en oeuvre le cahier des charges ou l'appel d'offres d'un commun accord. Faire la guerre à nos clients internes serait vraiment un non-sens. La rédaction des clauses techniques se fait avec leur collaboration. Même chose quand on entre dans la phase de soutenance des candidats. Nous menons cette action avec nos clients internes. Et la décision finale se prend quasiment à l'unanimité. Si la décision n'est pas collégiale, c'est que nous avons un problème. Et nous refuserons de nous lancer dans un projet, si une des parties n'est pas d'accord. Le but est de faire avancer les choses et non de trouver le responsable d'un éventuel futur problème.
@ ARNAUD OLSZAK
« Je préfère des acheteurs polyvalents à des category managers. »
Quel est le taux de couverture achats de votre service ?
Nous couvrons aujourd'hui 100 % des achats de TNT Express France. Bien évidemment, nous avons des priorités en termes d'achats. Le service est composé de deux responsables achats, d'une équipe de six acheteurs (lire notre meilleure négo, du Décision Achats 151) et d'un pool de deux assistantes achats.
Quand nous avons pris la décision de centraliser les achats, nous avons également remis à plat la méthodologie de travail. Même si les acheteurs ne travaillaient pas dans leur coin, ils s'étaient construits leurs propres outils et il était extrêmement compliqué pour un tiers de se servir de leurs outils qui étaient différents d un acheteur à un autre. Tout cela fonctionnait car on a toujours su acheter chez TNT mais, pour un directeur achats ou un membre du comité exécutif, cela manquait de lisibilité. On a donc créé un nouveau processus en 15 étapes en collaboration avec les acheteurs. Ce process va de la définition des besoins à la contractualisation avec des phases intermédiaires de « go » ou « no go ». On ne s'obstine pas à faire des appels d'offres, si cela n'est pas cohérent avec notre besoin. Autant renégocier avec notre fournisseur. Nous avons désormais une grille de lecture qui est commune à tous les acheteurs. Ces modus operandi communs leur permettent aussi de ne plus travailler par famille. Je ne crois pas du tout à l'acheteur-expert. Sa seule vraie expertise, c'est d'être acheteur : il passe d'un appel d'offres de chariots élévateurs à un autre sur de l'anglais, sans transition. Cela permet aux acheteurs de connaître les clients internes et l'entreprise en général bien mieux que s'ils ne travaillaient que sur une seule catégorie d'achats. Les seuls experts sont nos clients internes qui utilisent tous les jours les services et produits que nous achetons. Ces derniers formulent des demandes d'achats qui nous parviennent via une adresse e-mail dédiée sous la forme d'une fiche de définition de besoins. Après analyse, l'achat est confié à l'un des six acheteurs par un des deux responsables. Puis, nous prenons contact avec l'expert interne qui nous a été désigné afin de bâtir avec lui l'ensemble des outils pour procéder ou non à l'appel d'offres. Nous assurons une mission de conseil auprès de nos prescripteurs internes.
Cette redéfinition du service a-t-elle nécessité le recrutement de nouveaux profils d'acheteurs ?
Nous avons recruté trois jeunes étudiants de moins de 25 ans, de l'école de commerce de Lyon. La génération Y dans le bon sens du terme ! Leurs petites erreurs d'appréciation sont largement compensées par leur enthousiasme. Les acheteurs en place ont eu l'intelligence de comprendre la nécessité du changement et cela se passe très bien avec plusieurs appels d'offres à notre actif. Le service achats a acquis une grande fluidité dans son travail. La transversalité est au sein des achats nous y aide. Les acheteurs exercent leur sens critique et peuvent être force d'innovation. Et les outils que nous utilisons ont été développés en interne, ils répondent de ce fait totalement à nos attentes.
Comment faites-vous bénéficier vos clients internes de votre capacité à capter l'innovation ?
Je crois très fort à l'innovation. Le monde bouge très vite et le principal danger, c'est d'avoir des certitudes, aux achats comme ailleurs. Quand un sourcing bien mené sur des tubes de levage permet à notre personnel en entrepôts de porter des colis de moins de 30 kg en ayant l'impression de déplacer 50 grammes, c'est cela savoir capter l'innovation. Etre innovant, c'est aussi pousser les autres à l'être, en challengeant nos clients par exemple. C'est avoir suffisamment confiance en soi pour bousculer les idées reçues.
L'innovation est-elle facile à mettre en oeuvre ?
Les idées innovantes sont souvent surprenantes et demandent un certain courage managérial pour les déployer, après avoir vérifié leur faisabilité. En matière d'innovation, il faut se demander pour qui on achète. La réponse est vite trouvée : pour nos clients internes bien sûr. Je me suis demandé si nous ne pouvions pas aller un peu plus loin dans notre démarche achats pour donner toute sa valeur au terme de partenariat qui est censé définir la nature de notre relation avec nos clients internes, nos fournisseurs et nos soustraitants. Concrètement, ces cas de partenariat sont plutôt rares. Cette réflexion m'a amené à mettre au service de nos collaborateurs et de nos sous-traitants (chauffeurs livreurs, des TPE ou PME très souvent) notre puissance de feu en matière d'achats. Nous leur proposons ainsi de négocier pour eux en achetant non seulement pour nous mais aussi pour eux.
Une sorte de centrale d'achat interne en quelque sorte?
Oui, mais sans organe juridique. Un collaborateur qui travaille chez TNT et souhaite s'acheter un véhicule peut bénéficier de nos remises qui sont très intéressantes et bien supérieures à celles qu'il pourrait négocier de son côté. C'est un acte de bienveillance vis-à-vis de nos collaborateurs en quelque sorte. Certains de nos fournisseurs nous ont dit qu'ils pouvaient démarcher seuls nos collaborateurs. Certes, mais cette clientèle diffuse a un coût de conquête non négligeable ; la conquête est incertaine aussi. Or, nous leur amenons sur un plateau une clientèle de 4 800 collaborateurs et 1 800 sous-traitants... Finalement, la réaction est soit de la surprise soit de l'enthousiasme. Il nous faut juste les convaincre du bien-fondé de notre démarche.
Vous cherchez à vous insérer dans votre écosystème de façon harmonieuse finalement?
Absolument. On parle de RSE, de développement durable, d'écosystème mais il faut mettre des actions concrètes derrière tout ça. L'idée d'aider son prochain est déjà en soi un bon début. C'est encore à l'échelle pilote mais il ira jusqu'au bout car je suis convaincu de la légitimité de notre démarche. Notre première responsabilité, c'est d'acheter dans les meilleures conditions afin d'optimiser les dépenses de notre entreprise et de lui apporter une vraie valeur ajoutée et notre deuxième responsabilité, c'est de veiller sur nos collaborateurs.
Comment se traduit concrètement votre politique d'achats responsables?
Nous notons nos fournisseurs sur des critères propres aux achats durables et responsables. Par exemple, nous réfléchissons à la possibilité d'un stock central où nous nous ferions livrer les 20 fournitures et articles de bureau les plus consommés dans l'entreprise. Le stock central envoyant chaque jour avec nos propres camions des biens à nos clients utilisateurs: un avantage écologique pour tous et un atout financier pour nos fournisseurs.
Quelles sont vos préconisations en matière de gestion du risque fournisseurs?
Le risque est mesuré, calculé et il doit être supportable pour l'entreprise. Nous pratiquons une analyse en profondeur de notre supply chain (analyses SWOT). Et lors du sourcing, nous effectuons une analyse financière extrêmement poussée du taux de dépendance. Nous ne franchissons jamais le seuil maximum symbolique des 50 % du chiffre d'affaires. En moyenne, nous sommes aux alentours de 30 %. Généralement, nous travaillons avec de grands groupes et nous ne représentons pas un pourcentage très élevé pour eux. Nous sommes aussi attentifs à la maturité des produits et des sociétés et surtout à l'envie de travailler ensemble, même si c'est une jeune société. Pour les grandes familles d'achats (exemples: énergie, téléphonie, informatique), nous travaillons avec un panel de 100 à 200 fournisseurs.
Quelle est l'approche de TNT Express en termes d'optimisation des coûts
Dès que les signaux sont passés au rouge en début d'année (NDLR: 2011), j'ai rencontré tous les directeurs des services support de TNT Express France afin de trouver des voies d'optimisation
A travers vous, la fonction achats siège au comité de direction. Quelles en sont les implications?
Au-delà de la reconnaissance de la fonction, tout le monde a pris conscience que les achats étaient devenus stratégiques. Les acheteurs ne sont plus des pousseurs de commandes. Il y a une vraie incidence de la fonction sur la performance de l'entreprise. Les achats font grandir l'entreprise, notamment en identifiant les sources d'innovation. Et si nous achetons mal et que nous n'arrivons pas à faire passer nos hausses tarifaires, nous perdons sur les deux tableaux. Nous suivons nous-mêmes nos savings du point de départ jusqu'à leur recyclage. Après, on travaille pour l'entreprise et cela n'est pas un problème de ne pas les retrouver dans les comptes de la direction financière. Plans de charges et besoins sont établis en bonne intelligence avec eux et notre contrôleuse de gestion fait le lien. Le calcul des savings doit toujours être la plus juste et la plus globale possible.
Biographie
Jean-Jacques Richard, 44 ans, directeur des affaires générales et des achats, est entré chez TNT Express France en 2003 en tant que directeur de la sûreté (54 personnes) après avoir été consultant pendant de nombreuses années. Il est titulaire d'un mastère HEC (2010), d'un DESS en ingénierie de l'intelligence économique et d'un DESS en ingénierie des risques. Il a sous sa responsabilité la direction des achats et des moyens généraux, la direction de la qualité ainsi que du département du contrôle interne.
Depuis 2010, il est membre de la direction.
Groupe TNT Express
ACTIVITE Transport express de colis et de documents
CHIFFRE DAFFAIRES 2011 7,25 milliards d'euros
EFFECTIF FRANCE 4 800 salariés
EFFECTIF MONDE 77000 salariés
VOLUME D'ACHATS 2011 Plusieurs centaines de millions d'euros
EFFECTIF ACHATS 10 salariés