«Le marketing, une famille d'achats comme les autres»
Embauché en 2002 pour créer la direction achats d'Heineken France, Yasser Balawi peut s'enorgueillir six ans plus tard d'un taux de couverture de 85% du volume d'achats de l'entreprise. Son dernier fait d'arme: les achats de marketing.
Je m'abonneVous venez d'annoncer que votre direction couvrait 85% du volume d'achats d'Heineken France. Quelle est la dernière famille sur laquelle vous êtes intervenu?
YASSER BALAWI: Les achats de création graphique et d'événementiel. Il s'agit d'une famille particulièrement stratégique, puisqu'elle touche à l'identité visuelle de nos marques et à l'attractivité de nos produits. Historiquement, ces achats étaient directement supervises par les directions marketing et communication, sans intervention de notre part. Désormais, nous avons conçu des cahiers des charges types en fonction de nos besoins et référencé les agences de création graphique susceptibles d'y répondre. Depuis 2005, nous appliquons cette méthode pour couvrir progressivement tous les achats de marketing.
Quel enseignement tirez-vous de cette intervention?
Le fait que les acheteurs interviennent dans ce domaine est aujourd'hui la preuve du positionnement stratégique de la fonction achats au sein d'Heineken France. Notre rôle est d'optimiser le potentiel d'investissement de la direction marketing et non de réduire ses budgets. Sur les deux dernières années, notre action a permis d'économiser près d'un million d'euros, soit l'équivalent d'une campagne nationale de publicité. Ce volume d'achats a pu être réinvesti dans d'autres opérations de marketing.
Comment avez-vous généré ces économies?
Nous avons procédé en comparant les structures de coûts des agences avec des conditions tarifaires standard que nous avons définies grâce à un important travail de benchmarking et de veille sur le marché. Désormais, nous sommes en mesure d'évaluer les offres sur une base identique, par rapport à des critères objectifs (honoraires, frais techniques, etc.) et pondérés en fonction de leur importance.
«II est nécessaire de dédramatiser l'intervention des achats. Nous ne sommes pas des destructeurs de marge.»
Comment, en tant qu'acheteur, pouvez-vous évaluer l'aspect créatif d'une offre?
Notre mission n'est pas de juger la créativité d'une agence. Ce rôle appartient aux marketeurs. En revanche, nous évaluons les agences sur des critères de coûts, de réactivité, de qualité de service, etc. Cette démarche nous permet de rationaliser et de mieux qualifier notre panel fournisseurs. Ces prestataires ne sont plus sélectionnés sur des critères subjectifs, comme c'était le cas auparavant.
Votre intervention permet également de réduire le coût des prestations. Ne risquez-vous pas de remettre en cause le modèle économique des agences?
Il est nécessaire de dédramatiser l'intervention des acheteurs. En effet, nous ne sommes pas des destructeurs de marge. Pour réduire les coûts, nous avons établi des modèles standard qui permettent d'interroger les agences sur des bases comparables, de faciliter l'expression des besoins mais également d'en déterminer le coût. La transparence des conditions tarifaires est profitable pour tout le monde, y compris pour les agences à qui nous donnons de la visibilité et la possibilité de développer leur chiffre d'affaires. Faire partie de notre panel fournisseurs doit avoir un sens. Nous ne raisonnons pas au coup par coup mais, au contraire, dans la durée.
Cette catégorie d'achats reste souvent la chasse gardée de la direction marketing. Comment votre intervention a-t-elle été vécue en interne?
Il ne faut pas se le cacher, notre intervention a suscité quelques réticences. Dans les entreprises, les marketeurs pensent souvent que le rôle des acheteurs consiste uniquement à négocier un prix et que cette intervention risque d'altérer la créativité des agences et de rallonger les délais. Dans la pratique, c'est tout le contraire. Culturellement, les directions marketing estiment qu'elles sont les plus à même de négocier des honoraires avec des agences. Je ne suis pas de cet avis.
Comment avez-vous réussi à convaincre les marketeurs?
Pour y parvenir, il faut des acheteurs spécialisés dans les prestations intellectuelles, connaissant l'univers des agences. J'ai ainsi choisi d'embaucher une personne possédant une solide expérience dans le marketing et de la former aux achats. Cette stratégie a permis de collaborer vite et efficacement avec les marketeurs. De plus, il faut beaucoup communiquer en interne, être à l'écoute des inquiétudes, rassurer pour convaincre. En basant notre communication sur le respect du métier de chacun et l'efficacité, nous avons été peu à peu reconnus pour notre professionnalisme et avons pu instaurer un climat de confiance avec le marketing. Aujourd'hui, notre ambition est de donner une culture achats aux marketeurs dès leur intégration dans l'entreprise. Pour ce faire, nous avons mis en place, avec la direction marketing, un jeu ludique et interactif qui nous permet de lui communiquer les bonnes pratiques achats et lui indiquer les erreurs à ne pas commettre.
Après les achats de marketing, vers quelles autres familles vous orienterez-vous?
Nous avons commencé à travailler les achats dans l'univers des RH, notamment les achats de formation. Nous nous intéressons aussi aux achats informatiques et télécoms. Comme pour le marketing, nous devons faire face à des réticences. Avec l'expérience, je pense que la fonction achats se caractérise par un certain état d'esprit. Il faut savoir se remettre en cause en permanence, surmonter les oppositions, se poser les bonnes questions et apporter des réponses pragmatiques.
Heineken France
ACTIVITE
Brasseur et distributeur de bières
CHIFFRE D'AF FAIRES 2007
1,39 milliard d'euros
EFFECTIF
4 800 collaborateurs
VOLUME D'ACHATS
400 millions d'euros
EFFECTIF ACHATS
30 collaborateurs
NOMBRE DE FOURNISSEURS
2 500
Biographie::
Yasser Balawi, 41 ans, est le directeur achats de Heineken France depuis 2002. Titulaire du DESS Management logistique et ingénierie transports de l'université de Lille, il a débuté sa carrière chez Plastic Omnium (1994), puis chez Valeo (1994-1998), avant de rejoindre Air France (1998-2000) et enfin Visteon Corporate (2000-2002).