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Vidéosurveillance, la sécurité à tout prix?

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La mise en place d'un réseau de vidéosurveillance représente un coût d'investissement de plusieurs milliers, voire millions d'euros, pour les grandes agglomérations. Sans compter les coûts de gestion qui peuvent rendre la note très salée. Un achat sous haute surveillance pour les communes qui ne veulent pas exploser leur budget.

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Depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, «un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) peut décider, sous réserve de l'accord de la commune d'implantation, d'acquérir, d'installer et d'entretenir des dispositifs de vidéosurveillance». Sur le marché très encadré de la sécurité urbaine, cette disposition n'a surpris personne. «Les problèmes de sécurité ne se limitent pas aux frontières administratives d'une ville, mais concernent tout un territoire», résume Eric Chalumeau, président d'Icade Suretis, cabinet de conseil spécialisé dans la prévention et la réduction des risques liés à l'insécurité. La loi est également une bonne nouvelle pour les petites communes qui n'avaient pas, jusqu'à présent, le droit de se regrouper pour financer un tel projet. Seule une mairie, individuellement, pouvait installer des caméras de vidéosurveillance sur la voie publique, par autorisation préfectorale et après avis d'une commission départementale présidée par un magistrat du siège ou un magistrat honoraire (loi du 21 janvier 1995). Néanmoins, certains EPCI avaient déjà anticipé ladite loi, à l'image de la Communauté de communes de la vallée de Montmorency (Cavam), située au nord de Paris. En 2005, cet EPCI, qui regroupe huit communes, projette d'équiper son territoire d'un réseau de 96 caméras et d'un centre de supervision urbain (CSU) fonctionnant 24h/24. Le réseau voit le jour en juillet 2006. «Nous avons précédé les textes, se souvient Luc Strehaiano, vice-président de la Cavam. Plusieurs interventions ont été faites auprès de la préfecture, des collectivités territoriales et du ministère de l'Intérieur pour expliquer tout l'intérêt de mutualiser les moyens de nos communes dans un seul CSU et de bénéficier d'économies d'échelle.» Au final, le projet a coûté 562 800 Euros HT, une somme qu'aucune des communes de la Cavam n'aurait pu financer seule.

Un marché encore peu développé

La loi du 5 mars 2007 va-t-elle favoriser un boom de la vidéosurveillance en France? Pas si sûr. Entre 1995 et 2000, ce procédé ne s'est pas beaucoup développé, et ce malgré l'autorisation accordée aux maires d'installer un réseau de caméras. «Les technologies et les dispositifs de l'époque étaient peu performants, intervient Eric Chalumeau. Par exemple, les images étaient enregistrées sur des magnétoscopes. La recherche d'un délit sur une bande se révélait dès lors très fastidieuse.» A partir des années 2000, de nouvel les technologies numériques sont apparues, facilitant la transmission et l'utilisation des données. Le sujet devient également moins tabou. «La vidéosurveillance est fondamentalement une atteinte aux libertés individuelles, rappelle Eric Chalumeau. Malgré la réticence de quelques associations, on constate néanmoins que la mise en place d'un système de vidéosurveillance suscite, en général, l'adhésion du public. Il y a très peu de contentieux. Les demandes d'accès aux vidéos, qui doivent être motivées, sont d'ailleurs peu nombreuses.»

Progressivement, les principales villes de France vont ainsi se convertir à la vidéosurveillance. Lyon fait figure de précurseur. Le réseau date de l'an 2000. Sept ans plus tard, la ville compte environ 200 caméras. Nice en 2001, Strasbourg et Marseille en 2003, pour ne citer qu'elles, figurent également parmi les premières agglomérations à franchir le pas. Cela dit, la vidéosurveillance reste encore un marché de niche. Les premières assises nationales de la vidéosurveillance urbaine, organisées les 13 et 14 décembre derniers à Nice, ont permis de faire le point. Selon le ministère de l'Intérieur, environ 15000 dispositifs sont actuellement présents sur la voie publique. «Rapportés aux 300000 caméras installées sur tout le territoire français, notamment par les entreprises, cela ne représente pas grand-chose», indiquait alors Thierry Hartmann, membre du cabinet du directeur général de la Police nationale. En effet, seules 5% des caméras installées sont affectées à la surveillance de la voie publique.

Expérience
La ville des Ulis sécurise ses parkings

En 2005, une enquête commanditée par la municipalité constate que le nombre de places de parking (1 2000) est supérieur aux besoins de la population, mais surtout que les parkings souterrains (7000 places environ) sont sous-utilisés. En cause: le sentiment d'insécurité. «Pour que les habitants se les réapproprient, il était nécessaire de sécuriser ces emplacements, explique Françoise Marhuenda, maire-adjointe en charge de la politique de la ville. La mise en place d'un réseau de vidéosurveillance s'est révélé la solution la plus efficace.» Pour réaliser un tel projet, la mairie propose de créer un groupement de commandes, avec les bailleurs privés et les copropriétaires de parkings souterrains. Objectif: mutualiser les coûts d'investissement et de gestion du futur réseau qui assurerait la sécurité des parkings aussi bien publics que privés. Une étude de faisabilité est réalisée. Pour dix sites, le coût des travaux est estimé à 797000 Euros. Afin d'encourager les bailleurs privés et les copropriétaires, des aides publiques sont mises en place: 400000 Euros en provenance du conseil général de l'Essonne pour les bailleurs privés; la mairie finance 40% de l'investissement pour les copropriétaires et 75 Euros par place de parking pour les bailleurs privés. «De nouveaux membres se montrent favorables au projet, se réjouit Audrey Raymond, chargée de mission à la politique de la ville. Nous sommes en plein appel d'offres et nous espérons réaliser d'importantes économies d'échelle.» Réponse à la fin de l'année.


Ville des Ulis


DEPARTEMENT: Essonne.


NOMBRE D'HABITANTS: 25 785.


BUDGET MUNICIPAL: 64 millions d'euros (2006).

Un coût très élevé

Il faut dire que les coûts d'investissement et de fonctionnement d'un réseau de vidéosurveillance sont pour le moins élevés. «Le coût d'une caméra, entre 5000 et 6000 EurosHT, n'est que la partie émergée de l'iceberg, précise Eric Chalumeau. Le raccordement, le transport et le logiciel d'exploitation des données, etc. représentent 75% des coûts d'investissement.» Ainsi, selon le cabinet Icade Suretis, le coût d'investissement est d'environ 30000 Euros HT par caméra déployée. Quant au coût de fonctionnement, il comprend l'utilisation des réseaux sur lesquels sont transportés les données («pour 15 caméras, il faut compter en moyenne entre 10000 et 15000 Euros HT par an»), la maintenance du système («entre 10 et 12% de l'investissement initial»), et puis surtout le recrutement d'une équipe dédiée au CSU. «Une équipe de 12 opérateurs, mobilisés 24h/24, représente ainsi un coût d'exploitation compris entre 30 000 et 35 000 euros bruts par mois, avance Eric Chalumeau. Une utilisation à mi-temps permettra néanmoins de réduire les coûts.»

Pour les villes qui se sont dotées d'un système de vidéosurveillance, la note est plutôt salée. Dernier exemple en date à Toulouse, où 13 caméras sont opérationnelles depuis le printemps: l'investissement initial s'est élevé à 354000 Euros HT. «Un réseau de vidéosurveillance coûte cher, il y a beaucoup de faux-pas à éviter et une multitude d'intervenants, avertit Jacques Tournet, directeur des systèmes informatiques à la mairie. Pour éviter ces écueils, nous nous sommes fait assister par un cabinet de conseil (Cria, NDLR) qui avait déjà mis en place un réseau de vidéosurveillance à Bordeaux. Le savoir-faire technique et l'expérience du prestataire dans le domaine de la vidéosurveillance étaient les deux principaux critères de sélection des candidats lors de l'appel d'offres.» D'ici la fin de l'année, d'autres caméras devraient être mises en place par la municipalité.

A Nice, où la mairie a souhaité installer 60 caméras supplémentaires à son réseau dédié à la surveillance de la circulation, l'investissement s'est élevé à 2,2 MEuros HT, en 2001. «Le prix d'une caméra pouvait varier, d'un site à l'autre, de 15 000 à 75000 EurosHT!, se souvient Gilbert Cabaret, responsable de la direction centrale de la maintenance et de l'exploitation de l'espace public à la ville de Nice. Pour choisir notre prestataire, nous avons principalement pris en compte le matériel proposé, le prix et les délais de réalisation. L'offre devait également pouvoir se greffer au système déjà existant pour la surveillance de la circulation et ne pas entraîner une interruption de service lors de son déploiement.» Récemment, l'implantation d'un CSU unique a coûté à lui seul 250000 Euros HT à la ville.

Expérience
Strasbourg s'équipe de plus de 200 caméras

En installant des caméras dédiées à la surveillance de la voie publique dès 2003, Strasbourg fait partie des premières grandes agglomérations françaises à s'être équipées de cette solution. «En 2002, face aux menaces d'attentats, nous avons utilisé les caméras dédiées à la circulation pour surveiller le marché de Noël, se souvient Francis Jaecki, directeur général délégué à la sécurité et à la prévention la communauté urbaine de Strasbourg (Cus). En 2003, nous avons eu l'idée d'installer un réseau de caméras de vidéosurveillance, parallèlement au renforcement des effectifs de la police municipale et à l'instauration de conseils d'animation et de prévention dans tous les quartiers.» Le projet est lancé, non sans difficulté. Francis Jaecki témoigne: «En visitant d'autres villes, j'ai pu voir ce qu'il fallait faire et ne pas faire. Je suis notamment allé à Lyon, qui était en avance sur le sujet. L'implantation de caméras implique de présenter le dossier devant des élus, des commissions et de nombreux partenaires, dont l'Etat. La collaboration avec la police nationale est indispensable à la réussite du projet.» Celui-ci sera finalement adopté à une très forte majorité. Aujourd'hui, Strasbourg compte 1 50 caméras, et bientôt 210 à l'issue d'une troisième phase d'extension. Depuis 2003, la Cus a déboursé plus de 5 MEuros. «Un investissement raisonnable comparé aux dommages qui seraient causés par l'incendie de tel ou tel bâtiment public», se défend Francis Jaecki. Et la Cus ne compte pas s'arrêter en si bon chemin, la nouvelle législation permettant d'étendre le réseau à l'échelle intercommunale.


Ville de Strasbourg


DEPARTEMENT: Bas-Rhin.


NOMBRE D'HABITANTS: 150 000.


BUDGET MUNICIPAL: 475 millions d'euros (2006).

Un achat sous haute surveillance

Dans ce contexte, mieux vaut réfléchir à deux fois avant de s'investir dans un tel projet. «Les maires doivent s'interroger sur l'opportunité de déployer ou non un système de vidéosurveillance, puis sur la faisabilité du projet. C'est un investissement dont ils connaissent les forces mais dont ils doivent aussi mesurer les faiblesses», conseille Eric Chalumeau. Et en particulier le fait que la vidéosurveillance ne résout pas à elle seule les problèmes de délinquance. «Les nouvelles technologies sont une condition nécessaire mais non suffisante à l'efficacité de l'action publique, prévient le préfet Alain Rondepierre, par ailleurs président du Milipol, le salon mondial de la sécurité intérieure des Etats qui se déroulera à Paris du 9 au 12 octobre prochains. On ne luttera durablement contre les maux de certains quartiers qu'en menant une action globale autour de la prévention, de la sécurité et de la solidarité.» Des dossiers sur lesquels les acheteurs publics passent le relais aux élus.

 
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Sébastien de Boisfleury

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