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Les collectivités peu attirées par les fournisseurs alternatifs

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Alors que les marchés de l'électricité et du gaz sont ouverts à la concurrence pour les professionnels depuis le 1er juillet 2004, peu de collectivités ont encore franchi le pas. Les raisons sont multiples, à commencer par le fait que les établissements publics continuent de bénéficier des tarifs régulés.

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Lorsqu'ils se promènent, à la nuit tombée, dans les petites rues de leur commune, certains habitants d'Ingré (Loiret) ignorent sans doute que ce n'est pas EDF qui éclaire leur passage. Le 1er octobre 2005, la municipalité a en effet confié à Ineo et Electrabel, deux filiales du groupe Suez, la fourniture et la gestion globale de son éclairage public. Avec ses sources lumineuses de couleur et d'intensité différentes, le projet se voulait séduisant. Mais c'est surtout le contrat, établi sur la base d'un montant fixe et garanti pour une durée de huit ans, au terme duquel la commune réalisera 25 % d'économies sur sa facture énergétique, qui a séduit les élus. De plus, celui-ci prévoyait que 25 % de l'électricité fournie serait issue de sources d'énergies renouvelables (éolienne, solaire...). Un argument commercial qui a visiblement fait mouche et permis à Electrabel de remporter le marché face à l'opérateur historique d'électricité en France, EDF. Faut-il s'en étonner dans un pays habitué aux monopoles d'Etat? Pas vraiment.

La libéralisation des marchés de l'énergie, qui permet à une organisation publique de choisir ses fournisseurs d'électricité et de gaz depuis le 1er juillet 2004, résulte de la transposition de directives européennes dans le droit français. La donne paraît simple. Et pourtant, l'affaire se révèle extrêmement complexe. En effet, après quelques tergiversations, l'Etat français a décidé que la mise en concurrence était une possibilité et non une obligation. Résultat, les tarifs réglementés (ou régulés), c'est-à-dire ceux fixés par les pouvoirs publics et commercialisés par les fournisseurs «historiques» (EDF pour l'électricité, Gaz de France pour le gaz), ont été maintenus, initialement jusqu'au 1er juillet 2007. Ces tarifs réglementés, plutôt stables, s'opposent donc encore aujourd'hui aux offres des fournisseurs «alternatifs» dont les prix, très fluctuants, sont déterminés librement. Fin 2006, un projet de loi a voulu maintenir définitivement les tarifs régulés sur les marchés de l'énergie. Rattrapé par le Conseil constitutionnel, le gouvernement a dû revoir sa copie: si la possibilité de recourir à des tarifs régulés est admise pour les bâtiments anciens, l'appel à la concurrence devient la règle pour toute nouvelle construction, dès le 1er juillet 2007 pour le gaz, et à partir du 1er juillet 2010 pour l'électricité.

La réticence des collectivités

 

La commission de régulation de l'énergie (CRE) publie régulièrement un état de l'ouverture des marchés de l'énergie. Malheureusement, cette autorité indépendante ne dispose pas de statistiques propres aux entités publiques. Les données révèlent néanmoins la frilosité - ou le manque d'intérêt - des organisations à faire jouer la concurrence. En effet, beaucoup de collectivités dites «éligibles», c'est-à-dire ayant accès à l'offre des fournisseurs alternatifs, restent clientes d'EDF. Concernant le marché de l'électricité, près de 740 000 sites (publics et privés), soit 15,9 % des sites éligibles, ont souscrit une offre de marché au 1er janvier 2007. 19 fournisseurs alternatifs sont en concurrence, leurs parts de marché restant très faibles (5,9 % des clients éligibles, 12 % de la consommation totale éligible). Concernant le marché du gaz, seuls 150 000 sites, soit 15,3 % des sites éligibles, ont souscrit une offre de marché au 1er janvier 2007. 15 fournisseurs alternatifs bataillent sur ce secteur. Ils ont séduit 6,7 % des clients éligibles et représentent 16 % de la consommation totale éligible. Le marché du gaz semble néanmoins plus dynamique que celui de l'électricité.

Dans le cadre de la surveillance des marchés dont elle s'occupe, la CRE a souhaité obtenir, en décembre 2006, une photographie précise des connaissances, des perceptions et des comportements des professionnels à l'égard des marchés de l'énergie. L'institut BVA, en charge de cette enquête, a notamment interrogé 300 établissements appartenant au secteur public. Certains résultats sont éloquents. Alors que l'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz est jugée plutôt positive par 66 % des entreprises privées, les organisations publiques sont plus nuancées, puisque «seules» 54 % d'entre elles pensent qu'il s'agit d'une bonne chose. Leurs réticences sont également plus marquées: 42 % y voient une complication de la gestion de l'énergie (contre 25 % des entreprises privées) et 29 % craignent que la qualité de service ne se détériore (contre 17 % pour les entreprises privées). «De fait, les établissements publics adoptent une posture de repli en se montrant fidèles à leur fournisseur historique et en limitant les contacts avec les fournisseurs concurrents», constate la CRE. Enfin et surtout, 60 % des organisations publiques doutent du gain financier potentiel (contre 54 % pour les entreprises privées). C'est ici tout le coeur du problème.

Michel Brugnon NUS Consulting

«Sur le marché de l'électricité, les organisations publiques sont dans une position d'attente.»

Des prix à la hausse

 

Contrairement a une idée reçue, l'ouverture à la concurrence n'entraîne pas automatiquement une baisse des prix. Le marché de l'énergie, longtemps aseptisé par les monopoles d'Etat, est là pour le rappeler. «Le libéralisme pur et dur fonctionne mal dans le domaine de l'énergie, indiquait Jean-Michel Glachant, professeur en sciences économiques à l'université de Paris-Sud, dans une interview accordée à la lettre d'information de la CRE, Décryptages, en mars dernier. Par exemple, le caractère non stockable de l'électricité soumet son prix à de fortes variations. Ainsi, il peut tripler en 10 minutes en cas de forte consommation ou d'abus.» Les tarifs de l'électricité sur le marché européen sont passés d'environ 30 Euros HT par MWh en juillet 2004 à plus de 50 Euros HT en décembre 2006, soit une augmentation de 66,6 % en un an et demi! Le marché du gaz n'est pas en reste, le prix du MWh étant aujourd'hui de 20 euros en moyenne contre 13 euros en 2004 (soit une hausse de 53,84 %). Les chantres du libéralisme en sont pour leurs frais! Mais pourquoi les tarifs augmentent-ils autant sur le long terme? Les raisons sont relativement simples.

Tout d'abord, les prix des combustibles fossiles, qui servent à produire de l'énergie, sont en constante augmentation sur le marché mondial. Il en va ainsi du charbon et du gaz, ce dernier étant par ailleurs l'un des prix directeurs de l'électricité. En clair: le prix du gaz augmente et, par ricochet, celui de l'électricité. «La production d'électricité en Europe repose essentiellement sur le gaz et le charbon. Pour que les prix baissent, il faudrait que les sources de production dominantes en Europe soient l'hydraulique et le nucléaire», explique Jean-Michel Glachant.

D'autre part, l'inflation chronique des prix de l'énergie est liée aux spéculations des vendeurs qui n'hésitent pas à augmenter leurs tarifs quand le marché est porteur, mais qui peinent à les abaisser dans le cas inverse. «C'est la preuve évidente d'un manque de concurrence sur ces marchés, même si, encore une fois, ce sont les prix des principales sources primaires qui sont la cause principale de ces hausses», conclut Jean-Michel Glachant.

Vers le diagnostic de performance énergétique

 

Dans ce contexte, peu de collectivités ont finalement choisi de réaliser un appel d'offres et de mettre en concurrence leur fournisseur historique. «Sur le marché de l'électricité, les organisations publiques sont dans une position d'attente et, en tout état de cause, il n'y a pas d'urgence, constate Michel Brugnon, consultant au sein du cabinet NUS Consulting. En revanche, pour le marché du gaz, il existe des possibilités de réduction intéressantes.» Cette situation ne veut pas dire pour autant que les entités publiques ne doivent rien faire. Bien au contraire. Des optimisations sont possibles. «En matière

d'électricité, les collectivités doivent par exemple vérifier que les tarifications, souscrites en fonction de leur courbe de charges, correspondent bien aux besoins de tel ou tel bâtiment public», précise Michel Brugnon. Une chasse aux coûts bien connue des acheteurs. Néanmoins, le problème pourrait être réglé à court terme. En effet, un décret portant sur la performance énergétique des bâtiments existants vient d'être signé par les ministères du Logement et de l'Industrie. Les bâtiments publics d'une certaine taille (encore à préciser) devront ainsi afficher un diagnostic de performance énergétique à partir du 2 janvier 2008.

Les fournisseurs d'énergies alternatifs les plus reconnus

Du 30 octobre au 20 novembre 2006, l'institut BVA a interrogé par téléphone (système CATI) 1 502 établissements publics et privés. Il leur a demandé de citer spontanément un fournisseur sur le marché français de l'électricité et du gaz.

Témoignage

JEAN-SERGE SALVA, responsable des affaires juridiques, Sigeif
Le fera, le fera pas? Entre 2004 et 2006, le Syndicat intercommunal pour le gaz et l'électricité en Ile-de-France (Sigeif) aura tenu en haleine tous les observateurs du secteur. En jeu: l'approvisionnement en gaz pour leurs besoins propres de quelque 140 collectivités franciliennes, soit un marché de plus de 30 millions d'euros. Dès juillet 2004, le Sigeif décide de lancer un appel d'offres et de mettre en concurrence son fournisseur historique, Gaz de France. «Lorsque les directives européennes sont devenues effectives, nous nous sommes dit qu'il y avait quelque chose à faire», se souvient Jean-Serge Salva, responsable des affaires juridiques au sein du Sigeif. Une démarche légitimée par le gouvernement de l'époque qui souhaitait obliger les personnes publiques à faire jouer ce principe de concurrence. Pour mettre en oeuvre son projet, «un appel d'offres très compliqué», dixit Jean-Serge Salva, l'établissement public s'appuie sur un cabinet d'avocats et un cabinet d'experts techniques. «Le contrat portait sur la fourniture de 800 GWh par an, ce qui est équivalent à la consommation du quartier de La Défense», précise ce dernier. Dès le mois d'août 2004, le gouvernement revient pourtant sur sa position, l'appel à la concurrence n'est pas une obligation. «Nous avons été surpris, mais pas coupés dans notre élan», raconte Jean-Serge Salva. L'appel d'offres est lancé fin 2005, cinq fournisseurs y répondent (Gaz de France, EDF,Tegaz, Distrigaz, Altergaz, ndlr). «La meilleure offre proposait un prix inférieur de 5 % aux tarifs publics», indique Jean-Serge Salva. Pourtant, le Sigeif n'ira pas au bout de sa démarche. Le gouvernement décida en effet de geler les tarifs régulés jusqu'en juillet 2007 alors que le cahier des charges de l'établissement public prévoyait une clause de prix révisable en fonction des cours pétroliers, très instables. «Nous n'avons pas voulu prendre le risque», concède Jean-Serge Salva, qui qualifie toutefois cette expérience d'intéressante pour l'avenir. «Fin 2007, certains sites seront de nouveau éligibles, mais nous sommes dans le flou. Nous verrons comment les fournisseurs vont bâtir leur offre», conclut-il, non sans une certaine impatience.

 
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Sébastien de Boisfleury

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