L'IA à la rescousse des chaînes de valeur
Publié par Mathieu Neu le - mis à jour à
Entre l'absence de maîtrise des circuits de fournisseurs et les manquements d'ordre éthique dans les collaborations, les supply chains sont sous le feu des critiques. Les technologies innovantes, annoncées comme un remède à ces écueils, se déploient désormais massivement.
Une étude de la Commission européenne révèle que seules 37% des entreprises à l'heure actuelle pratiquent une forme de vigilance raisonnable mais qui reste incomplète. La non-maîtrise et l'opacité relatives aux chaînes d'approvisionnement conduisent à ce constat. Les données d'audits menés par le spécialiste des solutions pour la conformité des chaînes d'approvisionnement Qima concluent également "à un tableau alarmant sur la non-conformité éthique." Seules 11% des entreprises reconnaissent avoir une visibilité complète sur leur supply chain. 56% d'entre elles utilisent encore des rapports papier et des fichiers Excel non consolidés. Elles sont seulement 23% à déclarer avoir identifié clairement des contacts directs chez leurs fournisseurs.
Face à l'échec, le pari technologique
Motivés par une démarche de responsabilité éthique pour les uns, de rationalisation et de gain d'optimisation pour les autres, une multitude de donneurs d'ordre se tourne actuellement vers le potentiel prometteur des outils technologiques innovants intégrant de l'intelligence artificielle. "La grande distribution est très demandeuse d'IA dans sa supply chain. On n'en est plus aux POC et aux intentions d'innovation. On veut désormais une industrialisation des solutions", constate Stéphane Roder, président de AI Builders, société de conseil en stratégie data et IA. La demande est forte aussi dans l'industrie, dans les laboratoires pharmaceutiques, cosmétiques. Sébastien Breteau, PDG de Qima, confirme que "les entreprises qui changent souvent d'offres, et donc d'usines de provenance de produits, sont les plus intéressées. L'agroalimentaire, l'industrie du jouet sont en avance de phase sur ce plan."
Comme d'autres domaines fonctionnant en flux tendus, l'automobile franchit également le pas actuellement, tout comme la construction qui cherche à optimiser les approvisionnements de matériaux nécessaires sur les chantiers, et les opérateurs logistiques. Cette transformation dans les organisations pourrait bien se faire très rapidement. Gartner estime que d'ici à 2023, 50% des entreprises auront investi dans des solutions de visibilité dans les transports. Lucien Besse, directeur général de Shippeo, fournisseur de solutions technologiques pour la gestion des transports, observe "un gain de maturité progressif en matière de digitalisation et une accélération globale des initiatives depuis 3 à 4 ans maximum."
La prédiction des risques et la visibilité complète sur les données supply semblent être les principales attentes en matière de valorisation des technologies au service des chaînes d'approvisionnement, tout comme le benchmarking, car les outils permettent souvent d'apporter des indicateurs de performance par rapport aux industries concurrentes. De manière générale, on souhaite évoluer vers une relation fournisseurs plus intégrée permettant d'améliorer la connaissance de ces derniers.
Une multitude d'applications concrètes
Comment les données peuvent-elles devenir un levier d'aide à la décision et de transparence avec les fournisseurs ? "La captation des données très en amont de la chaîne, comme celles relatives aux matières premières, forme une première étape. Les paramètres intéressants se comptent par milliers, c'est pourquoi l'intelligence artificielle est la seule solution pour véritablement valoriser et mettre à profit cette masse d'information. Le machine learning permet de modéliser la réussite d'un projet. On peut aller chercher à l'extérieur de l'organisation des données non structurées qui sont pertinentes", explique Sébastien Breteau.
Une approche globale avec l'entreprise cliente permet de réaliser des schémas directeurs visant à augmenter la performance. Il s'agit de cartographier les possibilités, de les prioriser en fonction des objectifs, dans le cadre d'une démarche de rationalisation de toutes les étapes. L'enjeu est de permettre aux organisations de passer de l'innovation à l'industrialisation de l'apport technologique. Symbole de ce passage à une nouvelle réalité, "un nouveau métier apparaît à l'heure actuelle : celui de Chief Digital Officer, en complément du DSI. Son rôle consiste à faire le lien entre le dispositif technologique et le volet opérationnel et stratégique", indique Sébastien Breteau.
Au souhait de pouvoir fonctionner en flux tendu s'ajoute la nécessité de prévoir les chocs extérieurs comme la covid-19, ce qui implique le croisement de nombreuses familles de données. Le fournisseur de solutions Qima propose une fonctionnalité permettant de déterminer le risque engagé en fonction de multiples critères tels que le pays concerné, le type d'usine, le contexte économique et politique local. "Il est à noter qu'au sein de nos projets, les sujets relatifs à l'audit de fonctionnement éthique ont été multipliés par 3 au cours des 2 dernières années", précise Sébastien Breteau.
Interconnecter les acteurs
En accédant aux différentes données disponibles des transporteurs et intermédiaires, une entreprise peut aujourd'hui digitaliser aisément sa supply chain par le biais de plateformes en mode SaaS dédiée. C'est ce que propose l'éditeur Shippeo. En se connectant au TMS du chargeur qui émet un bon de l'ordre de transport pour un transporteur, les informations sont croisées avec ce dernier. On peut donc obtenir un regard complet tenant compte de tous les paramètres essentiels (données TMS, IoT, télématique embarquée dans les véhicules pour la géolocalisation, etc.). Le même principe est applicable dans le domaine maritime avec les bateaux et conteneurs. La visibilité en temps réel permet par ailleurs d'établir une heure estimative d'arrivée des marchandises en tenant compte du contexte.
Le système en place apporte des conclusions sur la base desquelles on envisage de repousser des événements, de les prioriser différemment, de faire des prédictions. Grâce à ces recommandations, le client peut travailler par exception, par des logiques de filtres, d'alertes, de notifications paramétrables à souhait. La précision est également améliorée par le principe du machine learning qui prend en compte les temps de chargement/déchargement selon le contexte, le trafic, des impacts météorologiques... Les prédictions quant aux heures d'arrivée affichent une fiabilité allant jusqu'à 90%. Pourquoi une livraison est-elle en retard ? Quelles difficultés ont été rencontrées ? Les fonctionnalités intelligentes permettent à la fois que de suggérer des décalages de processus en raison d'arrivées retardées, mais aussi de détecter les freins concrets au bon fonctionnement. Il ne s'agit pas nécessairement d'identifier les bons et les mauvais transporteurs, mais davantage de déceler les bonnes et moins bonnes organisations pour un acheminement optimisé.