"Utiliser des cotons bios nous permet de diviser par deux notre bilan carbone"
Publié par Lisa Henry le - mis à jour à
Dans une période marquée par les crises de matières premières, la marque française de vêtements durables, Gentle Factory, se sert de son expertise dans la production bio et locale pour affronter les difficultés. Christèle Merter raconte ce parcours semé d'embûches.
Loin d'un objectif de compétitivité pure, nombre d'entreprises durables voient le jour depuis quelques années, tentant de répondre à la demande d'achats plus responsable des consommateurs. C'est le cas de La Gentle Factory, marque de vêtements 100% verts, fabriqués à partir de cotons recyclés ou bios. Mais surmonter les crises de matières premières, tout en entretenant de bonnes relations fournisseurs, n'est pas de tout repos pour Christèle Merter, fondatrice de la marque. Rencontre
Où et auprès de qui vous fournissez-vous en tissus ?
Nous maîtrisons complètement notre chaîne de fabrication. Nous achetons du fil puis, le transformons en le faisant tricoter ou tiser. Une fois transformé, nous le teignons afin d'avoir un tissu fini. Nos fournisseurs de fil sont européens, que ce soit ceux de cotons bios certifiés, ou de cotons et polystyrènes recyclés. Pour le bio, nous achetons en Allemagne, même si sa matière première vient d'Asie. Pour notre coton et polystyrène recyclés, notre fournisseur est espagnol.
Comment vous assurez-vous que vos fournisseurs respectent votre cahier des charges ?
Nous ne travaillons avec aucun fournisseur si nous ne l'avons pas visité au préalable. De plus, ils sont forcément certifiés par des labels RSE internationaux et reconnus. Par exemple, celui de fil recyclé est certifié GRS (critères de recyclage mondiaux). Dans le cadre de ces labellisations, ils font l'objet d'audit annuels avec des rapports d'expertise.
Au-delà de ça, nous tentons de construire une véritable relation de partenariat. Par exemple, nous travaillons avec notre fournisseur de fil recyclé depuis 2013 et nous ne nous approvisionnons pas ailleurs, ainsi nous créons un rapport de confiance.
Quelles difficultés avez-vous rencontré dans votre recherche et vos relations fournisseurs ?
Travailler avec du fil recyclé n'est pas simple, cela implique d'utiliser un vêtement en fin de vie pour faire du neuf. Nous avons, par exemple, rencontré des problèmes d'homogénéité de colorie. De plus, certaines matières comme les fonds de poches, ou certains fils de jeans génèrent de la pollution, certains ont même bloqué nos machines et, donc, notre chaîne de production.
En termes d'approvisionnement en matière première, même avant la crise actuelle, les gisements de fils sont compliqués à trouver. Nous ne teignons pas nos fils recyclés, donc il faut se fournir directement dans la bonne couleur. Faire tout cela en boucle fermée est très compliqué.
C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nous ne produisons pas tous nos produits à partir de matières recyclées comme nous le désirions au départ.
Le sourcing de coton bio était plus facile, mais aujourd'hui avec le manque de matière première c'est tout aussi compliqué. Tout le monde en veut, et nous savons que jusqu'à juillet 2022, ça sera toujours problématique.
Comment gérez-vous vos relations fournisseurs afin d'assurer vos approvisionnements ?
Nous essayons de nous baser sur la collaboration. Avec notre tricoteur, par exemple, nous nous rendons des services. S'il a besoin de fil, nous lui en fournissons si nous en avons, et vice-versa. Tout cela à commencer en 2014, lorsque nous avons réuni tous nos partenaires et fournisseurs pour faire connaissance, c'était un pari plus que gagnant.
Lorsque nous avons su que le court du coton allait flamber, nous nous sommes contactés pour nous arranger et voir qui misait sur quoi, qui avait besoin de quoi. Nous avons toujours dit que nous réussirons ensemble, ou que nous échouerons ensemble.
Comme nous produisons localement, nous ne sommes pas sur une relation classique de la grande distribution face à ses fournisseurs. Si nous appliquions cette relation, tout le monde serait perdant. Si nous avions demandé à nos fournisseurs de payer l'entièreté du dommage lors d'incident par le passé, ils auraient déposé bilan et nous n'aurions plus de fournisseur. Nous ne pouvions pas fonctionner comme ça, nous nous serions tirés une balle dans le pied.
Comment procédez-vous pour réduire vos déchets ?
En 2012, nous avons été les premiers à récupérer des jeans usagés pour les transformer en matière première. Cette démarche d'innovation technique nous l'avons gardée. Aujourd'hui nous générons entre trois et quatre tonnes de chutes de production annuelle que nous avons décidé d'utiliser. Par exemple, sur nos sweatshirts et t-shirts, nous appliquons une "demi-lune" faite en chute de tissus pour recouvrir l'étiquette.
En production, il reste toujours des bouts de rouleau. Donc, nous les mettons à disposition de nos clients en les vendant sous forme de coupons sur notre site pour encourager la confection chez soi. Pour aller plus loin, nous avons mis en ligne gratuitement nos patrons, et nous avons un partenariat avec "fier comme un paon" qui vend des kits de couture prêts à monter, à qui nous fournissons des fonds de rouleau.
Comment minimisez-vous votre propre empreinte carbone, ainsi que le Bilan scope 3 de vos produits finis ?
Le fait d'utiliser des cotons bios nous permet de diviser par deux notre bilan carbone. Pourtant, aujourd'hui, nous sommes en questionnement sur l'utilisation des fibres recyclées, à cause de leur pollution par des microplastiques qui est un sujet qui n'apparaissait pas il y a 10 ans, lorsque nous avons démarré. Le coton recyclé n'est donc pas une réponse universelle, nous y travaillons.
Pour le bilan scope 3, notre imprimeur est certifié Imprim'Vert, au niveau de la supply chain et de la logistique, nous nous interdisons l'avion, même pour livrer nos produits en boutiques. Nous avons des stickers que nous collons sur nos paquets, pour être sûrs que nos colis ne soient pas acheminés en avion. L'idée est d'être le plus performant possible sur la logistique du dernier kilomètre.
Est-il plus difficile d'être compétitif lorsqu'on a une démarche comme la vôtre face à d'autres marques moins "durables" ?
Nous considérons que ces marques ne sont pas nos concurrentes. A tort peut-être, mais par exemple dans notre communication nous disons à nos clients de se questionner sur la nécessité de leurs achats, ce n'est peut-être pas le meilleur business modèle.
Nous n'avons jamais rêvé d'être une marque internationale, on nous avait proposé de distribuer au Japon ou en Corée, mais nous avons refusé car cela représentait un bilan carbone énorme et ça aurait été un non-sens pour nous. Les clients réfléchissent de plus en plus à leur consommation, faire les choses bien, pour nous, voilà le pari gagnant. Contre des concurrents comme le groupe Jules, qui nous a incubé, nous ne serons jamais compétitifs, mais ce n'est pas le but.
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