Crise des matières premières dans le bâtiment : "Dans six mois, les stocks serons refaits"
Publié par Lisa Henry le | Mis à jour le
La crise des matières premières que traverse l'Europe est sans précédent, le secteur du bâtiment fait face à une augmentation des coûts des travaux de 3% et des retards de construction. Mohamed Dahrouch (Valoptim) raconte comment les acteurs du secteur gèrent ces obstacles.
Depuis plusieurs mois, la crise des matières premières handicape l'industrie de manière générale. Les matériaux les plus touchés, le bois, le verre ou encore l'acier, sont utilisé dans de nombreux domaines, dont le bâtiment. Mohamed Dahrouch, COO de Valoptim, gère depuis le début de l'année les augmentations de prix, et retards de livraison. Il explique cette pénurie notamment par la reprise de l'activité précoce de la Chine, et des Etats-Unis.
Quels sont les matériaux les plus touchés par cette crise ?
Les trois matières le plus impactées sont l'acier, le bois, et les matériaux utilisés dans la peinture. Principalement les métaux utilisés dans les constructions électriques. Depuis un an, le prix de l'acier a augmenté de près de 50%, le prix du bois de 25%, et le prix des résines de peintures de 10%. Dans le secteur du bâtiment, nous constatons des retards de livraison très importants, là ou des matériaux allaient arriver en trois jours, nous sommes aujourd'hui sur des délais de 15 jours.
Toutes ces augmentations ont une conséquence de 3% d'élévation des coûts des travaux.
Comment expliquez-vous cette pénurie ?
A mon sens, le mot pénurie est un peu fort. Si nous prenons de la hauteur, nous pouvons voir qu'il s'agit surtout d'un décalage entre la demande et la gestion des stocks. Il s'agit en réalité d'un problème de logistique, plus que de pénurie.
Depuis plusieurs mois, nous subissons une reprise importante de l'activité des États-Unis et de la Chine, qui ont été plus affectif que l'Europe à ce niveau-là. Dans la logique, les fournisseurs ont privilégié ces nouveaux clients qui, non seulement sont en avance mais payent le prix fort pour être approvisionné. De plus, leur croissance est bien plus importante actuellement que la nôtre, de ce fait, nous n'avons pas pu réagir à temps.
La Chine exporte moins ses matériaux, et a un monopole énorme sur le marché, le problème, c'est qu'elle est notre principale fournisseur de petits matériaux comme la quincaillerie par exemple...
Quant au blocage du Canal de Suez, il a eu un impact de trois semaines maximum sur notre activité, rien d'alarmant.
Comment gérez-vous ces retards de livraison ?
En compensant sur la livraison des logements. En temps normal, il y a deux ou trois mois d'attentes entre la fin des travaux de construction, et la livraison. Si nous parvenons à réduire ce temps de deux mois, nous compensons entièrement le retard pris sur le chantier, c'est complètement faisable.
Les opérations qui étaient en cours au début de cette crise étaient anticipés bien six mois, donc avant la reprise de l'activité des Etats-Unis et de la Chine, nous avons donc pu éviter de prendre du retard sur celle-ci. Pour ce qui est des chantiers à venir dans les prochains mois, je pense que nous sommes forts de l'expérience de la crise sanitaire, nous ressentirons les conséquences de cette crise pendant un délai d'au moins trois mois, mais je pense que le marché va anticiper la reprise, et vite rattraper ce retard.
Au bout d'un moment, les Etats-Unis et la Chine n'auront plus besoin de se fournir autant qu'aujourd'hui et le marché reprendra un rythme normal, les fournisseurs se tournerons alors de nouveaux vers leurs clients habituels.
C'est là que nous reviendrons en force. Au vu des perspectives de vaccination, nous devrions sortir de l'état d'urgence sanitaire d'ici à la mi-juillet, nous pouvons donc estimer que dans six mois les stocks seront refait, et nous reprendrons un rythme normal.
La sortie de l'état d'urgence sanitaire semble une condition importante de la reprise de votre activité, n'avez-vous pas peur d'un retour en force de la Covid-19 malgré la vaccination ? Avec le variant brésilien par exemple ?
J'ai assez confiance en l'avancé de la vaccination, et même si le variant brésilien prenait le dessus en France, nous ne vivrons pas le même désastre que lors de la première et deuxième vague. Aujourd'hui, nous sommes prêts à affronter une nouvelle crise, forts de notre expérience. Nous nous sommes adaptés au télétravail, aux normes sanitaires sur les chantiers... De plus, nous constatons des prémisses en terme d'achats de la part des clients. De nombreuses personnes sont désireuses d'acheter, la demande est bien présente. Une potentielle nouvelle vague ne nous atteindra pas de la même manière, nous ne pouvons que sortir la tête de l'eau.
Cette crise a eu un impact sur les marges de négociation comment cela se traduit ?
En temps normal, nous avons une marge de négociation de 3%. C'est une marge qui permet de mettre en concurrence les fournisseurs et à terme potentiellement faire baisser les prix. Aujourd'hui, ces fournisseurs ne sont pas en capacité de nous accorder cette marge, à cause des augmentations qu'ils ont subi pendant la crise. Le plus important, c'est que cela ne se répercute pas sur nos clients, puisque les tarifs sont globaux, forfaitaires, donc figés.
Le montant des travaux représente 65% du coût global de l'immobilier en Île-de-France, donc les 3% de marges sont en réalité basés sur les 65% des travaux. Le bilan n'est pas si catastrophique, les conséquences existent bel et bien, mais sont surmontables.
Il ne faut juste pas que cela crée une double peine pour les acteurs de l'immobilier, les entreprises assument toutes seules les augmentations de prix, il ne faut donc pas appliquer les pénalités de retard...
Avez-vous vu cette crise comme un signal d'alarme, un appel à se tourner plus largement vers le Made In France ?
En tant que promoteur, nous n'avons pas toujours la main sur le choix de la provenance des matériaux. Mais nous l'avons de plus en plus, alors nous essayons de privilégier le Made in France, et Europe. Sur le bois notamment, si nous n'en trouvons pas de Français, nous nous tournons vers les pays de l'Est. Quand la qualité est là, nous nous tournons vers des fournisseurs français, même si c'est plus cher.
La seule matière que nous n'arrivons pas à acheter en France, c'est l'acier, nous avons des difficultés à nous passer de la Chine.
Nous avons cette volonté profonde de réduire notre bilan carbone, ce qui passe donc, aussi, par privilégier les circuits courts.