Adoptez la gestion dynamique du risque fournisseurs
Publié par Aude Guesnon le - mis à jour à
Les outils généralement à disposition des direction achats ne leur permettent pas de connaître la situation de leurs fournisseurs en temps réel... alors que la nécessité est réelle. Encore plus aujourd'hui qu'hier. Quelles solutions? Nos intervenants vous expliquent.
"Surveiller" ses fournisseurs pour prévenir tous les risques qui peuvent mettre en danger l'entreprise est une nécessité encore plus d'actualité en ces temps de Covid19, notamment pour mieux gérer les défaillances d'entreprises qui s'annoncent. La difficulté sui se pose pour de nombreuses directions achats aujourd'hui est d'avoir une vision en temps réel de la situation de leurs fournisseurs. Les outils en place ne le leur permet pas toujours, qui sont souvent actualisés à 6 mois voire un an. Il est pourtant possible d'avoir une gestion dynamique de ces risques fournisseurs, comme nous l'avons discuté lors d'un webinair organisé le 26 novembre dernier par Décision Achats.
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Pour en parler, nous avons accueilli Stéphanie Gautier, directrice produit chez Silex; Antoine Trépant, Managing Director de C2FO; Georgy Sicaire, Senior Director, global account director chez Bureau Van Dijk et Fréderic Thielen, Director Customer & Opérations chez KPMG.
Avant de parler de gestion dynamique des fournisseurs , parlons connaissance fournisseurs. Est-elle optimale aujourd'hui?
Georgy Sicaire - Encore faut-il savoir de quels fournisseurs nous parlons... beaucoup de décideurs ne savent pas précisément les identifier (au sens entité légale correspondantes) ; un certain nombre est identifié de manière sommaire. Et cette méconnaissance risque de s'intensifier avec la largue vague de fusions et acquisitions qui s'annonce en raison de la crise et de nombreuses défaillances d'entreprises à venir.
Il faut d'abord nettoyer et ordonner sa base de données avec un système d'identification.
Souvent le risque est réel sur les nouveaux fournisseurs qui, malgré des beaux processus ont été mal on-bordés. Sans parler des commandes hors process. Si l'on veut lutter contre la fraude, le blanchiment - la pression est de plus en plus forte - veiller à sa RSE, il convient de bien mapper ses fournisseurs et pas uniquement de considérer les plus stratégiques, les plus gros, car les risques sont très souvent là ou les fournisseurs sont "sous le radars". Et pour l'heure, les radars sont calibrés sur les fournisseurs importants, sur les grands achats.
Aujourd'hui, grâce aux nouvelles technologies, on peut aller plus en détail dans son panel et modifier le curseur. Ce premier tamis permis de surveiller des fournisseurs considérés comme non essentiel mais qui font partie du panel. On peut les rentrer dans le périmètre des analyses.
Qu'apporte une gestion dynamique des risques fournisseurs?
Frédéric Thielen - Jusqu'à présent, les référentiels étaient très statiques, revus tous les six mois/un an, ce qui pose problème en cas de crise comme celle que nous vivons. Cela ne permet pas d'absorber les chocs instantanés. La covid nous a démontré l'importance de se doter d'outils actualisés en temps réel
La gestion dynamique des risques est-elle développée en France ?
Frédéric Thielen - Encore peu. Par contre, elle l'est plus à l'étranger
Stéphanie, qui s'intéresse actuellement à cette vision dynamique et que cherchent vos clients ?
Stéphanie Gautier - Nous sommes beaucoup sollicités par les banques et les acteurs de l'assurance.
Quant aux risques suivis... cela dépend évidemment des secteurs d'activité mais pour les donneurs d'ordres, il faut un référentiel dynamique qui doit répondre le plus rapidement possible à une problématique précise à un instant T. Trouver les fournisseurs les plus proches, être en accord avec la réglementation, etc. Tous les sujets évoluent très vite...
Le secteur industriel est très sensible à tout ce qui peut impacter sa supply chain ; surtout en ces temps de covid.
Les banques, elles, sont davantage centrées sur la cybersécurité et la protection des données. Cela dépend vraiment de ce qui est critique pour l'entreprise et des segments d'achats.
Nous avons eu plusieurs exemples dans le secteur agro-alimetnaires qui avaient besoin d'une vision consolidée des fournisseurs suite à des opérations de croissance externe.
Classiquement, les entreprises suivent la conformité de leurs fournisseurs - conformité réglementaire et juridique - mais aussi RSE. Et la législation évoluant, il faut être en mesure de réévaluer les risques.
Et quelles sont, pour l'heure, les pratiques que vous observez chez vos clients ?
Stéphanie Gautier - Ce que l'on voit chez nos clients, c'est une multitude d'outils qui donnent beaucoup d'informations sur des sujets très différents mais qui ne sont pas connectés entre eux. L'ensemble n'apporte qu'une vision très fragmentée.
Il faut centraliser ces informations et les enrichir. Nous avons une base centralisée de données, alimentée grâce à l'open data, au crawling sur le Web - et qui peut être connectée à d'autres sources propres internes à l'entreprise ou intégrée à des sources permettant l'accès à des données spécifiques et structurées comme des données financières, conformités ou liées au coeur de métier de l'entreprise cliente. Le tout, en temps réel. Et grâce à l'intelligence artificielle, toutes ces données sont enrichies et rendues exploitables via diverses expériences de sourcing ou de suivi des fournisseurs.
Par crainte de rupture d'approvisionnement, les achats surveillent particulièrement leurs fournisseurs, bien conscient des risques de défaillance des entreprises. Il est important de savoir où ils en sont à date pour pouvoir réagir si besoin. En quoi le crédit inter-entreprises apporte-t-il une solution ?
Antoine Trépant - A tout instant, un donneur d'ordre doit être en mesure de voir, en temps réel, quel est le besoin en liquidité d'un fournisseur et quel est le prix qu'il est prêt à payer pour avoir accès à ces liquidités. Car si un fournisseur, de manière récurrente, propose des remises pour avoir des liquidités, c'est un signal d'alarme fort ; un signal de risque pour la chaîne d'approvisionnement.
Afin d'avoir de la trésorerie aujourd'hui, les entreprises peuvent avoir recours aux banques, à l'affacturage ou au crédit inter-entreprises. C'est sur ce dernier modèle que nous nous positionnons.
Prenons l'exemple de Mark&Spencer, qui a adopté notre solution. L'entreprise, qui a des liquidités, propose à ses fournisseurs d'en bénéficier en étant réglés immédiatement, moyennant une remise directement proposée par le fournisseur à Mark&Spencer. Le modèle est dynamique, c'est-à-dire que les fournisseurs choisissent d'y recourir ou pas, sur les factures qu'ils désignent et aux taux qui leur convient. Ils ne sont pas contraints à s'engager sur le long terme et peuvent faire usage du programme de manière sporadique uniquement s'ils le souhaitent.
En apportant ce soutien financier, le donneur d'ordre contribue à renforcer son écosystème, pérennise sa chaîne logistique et est ainsi informé en temps réel de la situation financière de son fournisseur... et des risques. L'idée est d'afficher en temps réel des informations pertinentes qui n'étaient jusqu'à présent disponibles que par le biais des agences de rating et donc mises à jour trimestriellement au mieux.
Visualiser et comprendre les risques donne la possibilité d'agir immédiatement, d'ajuster les flux et de sécuriser ses approvisionnements en aidant ses fournisseurs aux moments les plus critiques.
C'est aussi une façon, pour le donneur d'ordre, d'inciter ses fournisseurs à s'aligner sur la stratégie RSE de son entreprise...
Antoine Trépant - Il n'est pas toujours évident de s'assurer qu'un fournisseur va être en phase avec les objectifs RSE de son entreprise client. Mais pour inciter un fournisseur à répondre pleinement aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) souhaités, notre donneur d'ordre qui propose le crédit interentreprises, peut décider de donner au fournisseur accès à des liquidités à des taux très faibles, voire inexistants. Les fournisseurs peuvent être segmentés en fonction des notes RSE qui leur ont été attribuées dans le cadre d'audits menés par des tiers type Ecovadis et, en fonction de certains critères, l'acheteur peut accorder des taux de financements préférentiels. Certains de nos clients comme Philips ou le distributeur alimentaire Néerlandais Jumbo ont mis cela en pratique : alors que Philips a accéléré le règlement des factures de ses fournisseurs d'équipements médicaux à des taux imbattables afin de rapidement faire face à la demande accrue de ventilateurs en pleine crise sanitaire, Jumbo proposait du financement à taux zéro pour ses fournisseurs les plus fragiles.
Comment bâtir des tableaux de bord en amont et... avec qui les partager?
Georgy Sicaire - Les risques étant multiples, il faut brasser énormément de données qui demandent, pour être bien exploitées, des expertises variées. Pour avoir une vision à 360° et assurer une bonne communication entre les différents départements ; mieux vaut bâtir la méthodologie avec les différents départements qui vont apporter leur expertise pour bâtir le tableau de bord puis, en aval, pour exploiter les données.
Il faut aussi réfléchir à l'impact de cette veille sur les processus de tous les jours. Décider de qui reçoit les informations et doit les traiter.
Enfin, il est essentiel de réfléchir également à la restitution des informations et analyses pour qu'elles soient facilement interprétables et pas noyées sous le flux quotidien d'informations que nous recevons.
Est-ce alors une opportunité de revoir tous ses process ?
Frédéric Thielen - C'est effectivement l'occasion de réinterroger le modèle. L'occasion de réfléchir et de se demander quels risques je veux couvrir et comment je veux les intégrer à mon tableau de bord pour que les données soient facilement interprétables. C'est une question d'intelligence économique : qu'est-ce que je veux percevoir ? En fonction de la réponse, on pose les briques. La première brique est un pur outil de crowling. Cet outil récupère toutes les informations dont j'ai besoin et les résultats tombent directement. La deuxième, c'est l'IA qui va ordonner et interpréter les datas pour faire du P-SCRM (Predictive Supply Chain Risk Management): de la gestion prédictive. Un de nos clients a modélisé ses flux avec les fournisseurs et sa visibilité peut aller à N-1 et au-delà. Grâce à l'IA, ils ont une vision fine par fournisseur et par composants des risques.
Est-ce que l'information, ainsi traitée par une IA, est absolument pertinente ?
Frédéric Thielen - Oui, mais il faut que la personne qui la regarde et l'analyse soit-elle-même sensibilisée et formée. Le client en question, par exemple, avait été alerté sur un risque d'inondation qui menaçait un fournisseur. Ils ont prévu un plan B, changé leur cadran et ont augmenté la part d'autres fournisseurs. Ils ont variabilisé leur plan d'approvisionnement en fonction du risque
Bien leur en a pris : l'inondation a bien eu lieu.
D'autres sociétés, aux Etats-Unis, ont aussi développé des approches similaires.
L'IA offre aussi la capacité de simuler les impacts au travers de la création de jumeaux numériques de sa supply chain.
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