Achats responsables : entre freins et impulsions
Publié par Aude Guesnon le - mis à jour à
Le dernier baromètre de l'ObsAr sur les achats responsables en 2019 démontre que si cette préoccupation est bien ancrée dans les politiques achats, les acheteurs sont encore confrontés à de nombreux freins dont les fameuses injonctions contradictoires...
Pierre Pelouzet a choisi l'optimisme face aux résultats du baromètre ObsAr sur les pratiques achats responsables en 2019. S'il constate que "30% des répondants n'ont pas atteint leurs objectifs" en la matière, il y voit deux explications. La première serait un niveau d'exigence plus haut des services achats déjà bien avancés sur le sujet, -"on rentre dans le dur"-, et la seconde se situerait dans le fait que 61% des répondants à l'étude cette année sont de nouveaux arrivants qui "ne savent pas très bien où placer la barre". Reste que le baromètre atteste de la présence de nombreux freins à la mis en place d'achats responsables. Les acheteurs expliquent leurs difficultés par "un manque d'indicateurs de mesure", à 42% (contre 36% en 2018), des "objectifs contradictoires", à 51% (contre 38% en 2018), des "contraintes budgétaires", à 42% (contre 30%) et un "manque d'expertise interne" à 39% (contre 32%). "La détérioration observée (par rapport à 2018) doit être nuancée par la maturité des répondants concernant le manque d'expertise interne", commente l'ObsAr."
Le problème des injonctions contradictoires n'est pas nouveau. Difficile pour un acheteur soumis à de fortes contraintes budgétaires, de privilégier les achats responsables et durables pour respecter la politique RSE mise en place par son entreprise. "L'acheteur est amené à être schizophrène", a constaté (une fois de plus) l'assistance, lors de la présentation des résultats du baromètre, le 4 février. Heureusement, le cadre réglementaire de plus en plus fort vient en renfort des acheteurs, - même s'il peut être pesant -, ainsi que la sanction finale du consommateur: "Nous avons tous des clients qui votent avec leur carte bancaire", a commenté Thierry Bellon directeur achats de Air France. Et d'estimer qu' "Il faut aller plus loin dans la valorisation de ces éléments qui vont tirer les achats vers le haut". La pression des collaborateurs, en quête de valeurs et de sens est également forte, ont reconnu les intervenants du jour. Sans parler de la note extra-financière des entreprises qui tient compte de ses performances RSE.
Trois textes qui structurent la gouvernance achats
Sur le sujet "poids réglementaire", Patrick Viallanex - directeur associé, asset management et finance durable chez A2Consulting, a souligné que "2019 a été une année de convergence règlementaire" qui a vu la naissance de troistextes, la Loi Pacte, la directive européenne sur le reporting extra-financier et la Loi sur le Devoir de Vigilance. "Trois textes qui font l'association entre performance économique et performance sociétale et qui incitent les achats à identifier les risques mais aussi les opportunités." Trois textes "qui vont structurer la gouvernance achats", comme l'a souligné Bertrand Pouilloux, directeur achats de Enedis. Bruno Frel, référent achats responsables à l'Afnor, a opiné: "ces textes donnent effectivement un cadre aux achats responsables". Et d'insister: "Les contraintes règlementaires doivent être vécues comme des éléments structurants".
Pour Thierry Bellon, faire avancer la cause des achats responsables demande surtout une grosse acculturation en interne. "Les entreprises sont prudentes lorsqu'il s'agit de prendre des engagements. Si les achats sont en pointe, car en interaction avec leur écosystème, il leur faut emmener tout le monde en interne..." Patrick Viallanex a abondé: "Il faut tisser des liens. Promouvoir les achats responsables demande d'adopter une culture du risk management et de travailler en mode projet avec toutes les parties prenantes de l'entreprise : RSE, juridique, risque/contrôle, etc." Sans oublier d'"associer les opérationnels", comme l'a souligné Bertrand Pouilloux "pour ne pas rester stratosphérique". L'acheteur sera le chef d'orchestre, chargé de faire travailler tout le monde ensemble. En amont, il lui faut toutefois avoir "un mandat de la direction générale", a ajouté le directeur achats de Enedis. Et c'est à sa direction achats de le lui obtenir. "Les achats responsables doivent s'inscrire dans une volonté au plus haut niveau", a appuyé Pierre Pelouzet. "C'est indispensable. Et je crois aujourd'hui les achats assez reconnus pour obtenir ce mandat. La notation extra-financière les y aide et les y aidera beaucoup".
La cartographie des risques, a ajouté Bruno Frel, "doit être établie avec les autres directions". Le sujet "cartographie des risques" a d'ailleurs été longuement discuté lors de la présentation du baromètre car "devenue un élément essentiel à la démarche achats responsables." Parmi les répondants à l'étude, 85% de ceux qui ont mis en place une politique achats responsables disposent d'au moins une forme de cartographie ou analyse des risques par "type d'achats", à 57% , par "type de fournisseur", à 24%, par "zone géographique / pays", à 25%. Et sur ces organisations, 20% utilisent deux critères pour analyser les risques. Seules 3% des organisations en utilisent trois. "Il convient de ne pas faire d'amalgame entre les risques et les conséquences des risques", a conseillé Bruno Frel car "pour réagir de façon optimale, il faut bien identifier les risques source". Et d'inviter les acheteurs à rendre visite à leurs fournisseurs pour faire des audits sur site afin de compléter les audits documentaires.
Autre sujet qui doit être commun: les délais de paiement fournisseurs qui, au grand dam de Pierre Pelouzet, ne sont pas une priorité pour les achats. Certainement parce qu'il ne s'agit pas là d'un sujet propre à la fonction. "Ce n'est pas le travail de l'acheteur, c'est celui des métiers", a souligné Bertrand Pouilloux, pour qui il s'agit là d' "un problème de processus de bout en bout". "Le système est complexe, avec de multiples intervenants", a appuyé Thierry Bellon. "Mais les acheteurs, se mobilisent toujours pour essayer de trouver des solutions", a-t-il témoigné.
Le baromètre 2019 de l'Obsar démontre que les achats responsables s'ancrent dans les politiques achats. "Près de 9 organisations sur 10 ont une politique achats responsables en place et c'est une proportion qui reste stable", commente l'Obsar qui détaille:" presque la moitié les a mises en place depuis plus de 5 ans. 14% depuis plus de 10 ans". Le think tank observe que "les politiques achats responsables sont particulièrement mises en place dans le secteur public et depuis longtemps." Et se réjouit de constater que, dans les entreprises ayant mis en place une politique achats responsables, "on n'observe pas d'abandon de la démarche au fil du temps. Au vu des résultats de son baromètre, l'Obsar estime que "l'évolution des compétences en achats responsables a véritablement bondi en moins de 10 ans."
A noter que, sur les répondants, 85% ont une bonne connaissance des achats responsables (constant par rapport à l'an passé) - Et parmi ceux qui ont une bonne connaissance des achats responsables, la Charte et le label "Relations Fournisseurs et Achats Responsables" ainsi que la norme ISO 20400 s'imposent comme les référentiels de choix, "même si un travail de sensibilisation reste à faire auprès des petites structures", admet l'ObsAr.