Devoir de vigilance : Le Sénat "vide le projet de sa substance"
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Le Sénat a modifié et adopté, en deuxième lecture, la proposition de loi relative au Devoir de vigilance. " Les sénateurs, opposés au texte, ont voté majoritairement pour des amendements qui le vident totalement de sa substance", accuse CCFD-Terre Solidaire.
Le projet de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre est passé le 13 octobre en deuxième lecture au Sénat, à la demande du Gouvernement. Et si les sénateurs ne l'ont pas rejeté, ils ont ajouté des amendements qui "vident totalement le projet de sa substance", accusent les organisations qui luttent pour une règlementation sur le devoir de vigilance : Amnesty International, Amis de la Terre, CCFD-Terre solidaire, Collectif Ethique sur l'étiquette, Sherpa, ActionAid-Peuples solidaire.
"S'ils n'ont pas supprimé purement et simplement les trois articles comme ils l'ont fait en première lecture, les sénateurs, opposés au texte, ont voté majoritairement pour des amendements qui le vident totalement de sa substance. Au gouvernement de prendre désormais ses responsabilités pour soutenir et faire adopter rapidement une loi qui doit permettre la protection des droits humains", commente CCFD Terre solidaire
Le texte initial, qui voulait contraindre les entreprises donneuses d'ordres françaises à une obligation de vigilance - l'article 2, qui avait été voté par l'Assemblée Nationale, prévoyait une amende puvant aller jusqu'à 10 millions d'euros pour les entreprises concernées, - a été modifié par la chambre des sénateurs pour devenir une simple recommandation de "reporting" extra-financier, qui consiste, à posteriori, à demander aux entreprises de publier des informations sur l'impact de leurs activités "sur les "principaux risques d'atteintes aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, risques de dommages corporels ou environnementaux graves, risques sanitaires et risques de corruption résultant de son activité". "Or le Sénat a du retard en la matière : cette mesure de transparence, poussée par nos organisations il y a dix ans, existe déjà dans la législation française", commente CCFD-Terre Solidaire.
Il est par contre à noter que les changements apportés par les sénateurs ont élargi le spectre des entreprises concernées. Le projet de loi vise à présent les sociétés qui réalisent "un total de bilan de plus de 20 millions d'euros ou un montant net de chiffre d'affaire de plus de 40 millions d'euros (par an) et emploient au moins 500 salariés permanents". Le texte adopté ce 13 octobre comprend aussi de nouvelles mesures "destinées à prévenir et détecter la commission de faits de corruption".
Le texte doit maintenant être étudié en commission mixte paritaire. Le dernier passage, devant l'Assemblée Nationale devrait avoir lieu fin février, avant la fin de l'exercice parlementaire de la mandature.
"Elle serait totalement inutile si elle était votée en l'état"
Rappelons que cette proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale par Bruno Le Roux, François Brottes, Jean-Paul Chanteguet, Dominique Potier et Philippe Noguès, le 11 février 2015. Selon ses auteurs, "l'objectif de cette proposition de loi est d'instaurer une obligation de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre à l'égard de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Il s'agit de responsabiliser ainsi les sociétés transnationales afin d'empêcher la survenance de drames en France et à l'étranger et d'obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et à l'environnement".
"Cible des pressions du secteur privé, cette proposition de loi suit un véritable parcours du combattant depuis près de trois ans", commente CCFD-Terre Solidaire." Officiellement soutenue par le gouvernement qui l'a inscrite pour examen au Sénat, elle serait totalement inutile si elle était votée en l'état. Nos organisations appellent désormais le gouvernement à sauvegarder l'esprit qui a présidé à l'élaboration de ce texte." Et d'appeler l'exécutif à "tout mettre en oeuvre, comme il en a la prérogative , pour que le processus aboutisse, rédaction du décret inclus, avant la fin de l'année 2016. Faute de quoi, les promesses faites en la matière lors de la campagne présidentielle de 2012 resteront lettre morte, alors que cette demande est soutenue par une grande majorité de Français."
CCFD reconnaît toutefois que ce texte, qui "contient des lacunes, constituerait toutefois "un premier pas historique vers l'obligation d'une prise en compte des droits humains par les entreprises multinationales et contribuerait à prévenir des drames comme ceux de l'effondrement au Bangladesh de l'immeuble du Rana Plaza en 2013, qui a choqué les opinions publiques dans le monde."