Facture électronique : un virage IT à ne pas négliger
Publié par Mathieu Neu le | Mis à jour le
Déjà en vigueur chez les acteurs publics depuis plusieurs années, l'obligation d'évoluer vers la facturation électronique s'élargira bientôt à toutes les entreprises. Un projet de migration des données et d'adoption de nouvelles pratiques prometteur, qui mérite rigueur et vigilance.
Au 1er juillet 2024, la facturation électronique commencera sa phase de généralisation à toutes les entreprises. Dès cette date, toute facture transmise par les grandes entreprises devra se faire sous format électronique. Puis ce sera au tour des ETI (au 1er janvier 2025) et des TPE-PME (au 1er janvier 2026) de se conformer à cette obligation. Selon une enquête que vient de publier OpinionWay pour Quadient, 76 % des entreprises ont déjà mis en place l'e-facturation pour les factures clients et fournisseurs. Mais encore faut-il préciser ce qu'on entend par là. Au-delà de seule utilisation de documents PDF, il s'agit d'une transformation complète des processus, répondant à des normes et un cadre particulier. « Nous nous efforçons d'apporter des explications sur cette réforme dont les contours restent méconnus. Nous accompagnons nos clients sur l'anticipation de ses impacts, sur le rythme et le calendrier à respecter », indique Jean-Charles Labboz, Responsable de Marché chez Cegedim e-business.
Le changement, c'est maintenant
Prévus depuis de nombreuses années, ce nouveau contexte légal vise à limiter au maximum les pertes en matière de TVA. Entre 17 et 24 milliards d'euros échappent aux recettes publiques chaque année dans ce domaine. La facture dématérialisée se retrouve souvent associée à l'EDI ((Echange de Données Informatisé), une solution digitale permettant de remplacer la méthode d'envoi traditionnelle de documents comme les commandes ou les factures. Au sens où l'entend la loi, il s'agit en réalité d'un ensemble de formats répondant à une même norme. Le standard européen Factur-X est le plus répandu. Il ne sera pas nécessaire de privilégier un format en particulier, car l'opérateur de dématérialisation par lequel transite le document assure la production de la facture électronique dans le format attendu par le destinataire. L'entreprise qui émet la facture n'a donc pas à s'en soucier.
Pour Nassim Chiout, consultant senior, cabinet spécialisé dans la transformation numérique mc2i, « il y avait jusque là quelques inquiétudes à avoir quant au rythme d'adoption de la réforme. Seules les grandes entreprises s'étaient véritablement lancées dans les premières phases de cette évolution. Mais ces dernières semaines montrent que d'autres profils d'entreprises entrent désormais dans le vif du sujet. » Un constat que partage Mathias Crottereau, expert Facturation électronique et senior manager conseil au sein du réseau RSM Paris : « cette réforme est engagée depuis près de 10 ans. Elle s'inscrit dans une évolution globale qui dépasse largement les frontières, et n'a donc rien de nouveau. En France, le démarrage a été long, ces projets ne figurant pas dans les principales priorités des entreprises. Mais sous l'impulsion des grands comptes, la transition s'accélère aujourd'hui. »
Donia Tchana, également experte Facturation électronique et senior manager conseil au sein d'RSM Paris, insiste d'ailleurs sur le timing à prendre en compte : « il ne faut plus attendre. Un planning trop serré peut surprendre, car ces projets sont relativement longs. L'accompagnement en amont évite aussi bien les pièges techniques, que les pièges de calendrier. »
Lever les obstacles classiques
Au risque de goulot d'étrangement qui peut survenir du côté des éditeurs s'ajoutent des points de vigilance à prendre en compte absolument. Ne pas assez bien connaître l'existant, sur les factures entrantes et sortantes, peut constituer un obstacle. Mieux vaut être au clair sur la disponibilité et l'accessibilité de toutes les données qui composent la facturation.
Mathias Crottereau appelle par ailleurs les entreprises à la « méfiance à l'égard des acteurs intermédiaires qui se disent PDP, alors qu'ils ne le sont pas. » Pour communiquer avec l'Etat sur ce sujet, les entreprises ont deux options : se connecter directement au PPF (Portail Public de Facturation), ou entrer dans un réseau de partenaires en collaborant avec un intermédiaire certifié PDP (Plateforme de Dématérialisation Partenaire), ce qui peut être préférable pour gérer des modalités comme le contrôle d'informations à la source. « A l'heure actuelle, la liste des PDP certifiée n'est pas connue. Bon nombre de sociétés prétendent qu'elles le seront, alors que ce ne sera pas le cas. L'accréditation des plateformes est ouverte à partir de septembre 2023. Les certifications seront attribuées pour 3 années sur des critères de taille significative et différentes normes à respecter, comme des normes de sécurité numérique des échanges. Ces points ne sont pas toujours bien connus par les responsables », poursuit Mathias.
Un projet technologique qui dépasse le cadre de l'IT
Comme dans d'autres transformations IT, la maturité en termes de digitalisation et la culture de l'organisation a sa part d'importance. « Lorsque la dématérialisation de façon générale est déjà bien initiée, le projet gagne en simplicité », observe Donia Tchana. « Et surtout, il faut être conscient que ce n'est pas qu'une transformation qui concerne l'IT. De nombreux autres acteurs, des directions financières, achats, logistiques ou autres doivent être impliqués, même si ce sont avant tout les DSI qui portent les projets. Le sponsoring apporté par les métiers, avec une personne par service qui fait valoir les intérêts et besoins de son domaine, joue un rôle crucial dans la conduite de la transformation. C'est le schéma que nous défendons. »
Plusieurs étapes sont essentielles dans ce cheminement. « Combien d'outils produisent aujourd'hui ma facture ? Quels sont les systèmes qui interviennent dans ces processus ? Un inventaire technique est souvent envisagé dans un premier temps, avec une volonté de rationalisation des systèmes. Il importe d'établir une liste des données attendues par l'Etat, et de la comparer avec la liste des données traitées par les systèmes déjà en place », indique Jean-Charles Labboz. En second, il faut s'assurer que la solution existante peut produire l'un des 3 formats que demande la réforme. 34 cas de figure particuliers ont été identifiés par la DGFIP, concernant par exemple la gestion des acomptes, l'autofacturation, ou le paiement pour compte de tiers comme dans un syndic immobilier. Ceux-ci doivent être passés au peigne fin pour voir quelles modalités associés doivent être prises en compte.
Jean-Charles Labboz attire l'attention sur le fait sur de nouvelles données doivent désormais intégrer les systèmes d'information : « il faut par exemple mentionner le type de prestation associé à une facture en renseignant s'il s'agit d'un achat de biens, de services, ou les deux. Cette catégorie de données n'était jusque là pas mentionnée. D'autres informations bancaires ou de livraison seront obligatoires, alors qu'elles ne figurent pas dans les bases de données en place actuellement. »
La remontée de statut est un autre point d'achoppement : en cas de litige sur une facture, on fait généralement part de la raison du refus de celle-ci (matériel cassé, livraison trop tardive...). « Mais l'émetteur doit alors envoyer un statut d'encaissement de la facture, ce qui n'est pas fait non plus aujourd'hui. Ces informations ne sont pas forcément traitables en l'état car les bases de données ne sont pas toujours structurées en conséquence », ajoute Jean-Charles Labboz.
Un marchepied vers des gains d'efficacité
L'évolution vers la facturation électronique ouvre souvent la voie à une digitalisation des pratiques aux retombées intéressantes. C'est le cas du groupe Michelin, qui s'est tourné vers Sy by Cegedim pour transformer ses flux comptables, financiers et informationnels. L'entreprise traite quelques 2,5 millions de factures par an sur plusieurs dizaines de pays et a décidé il y a quelques années de remanier son organisation avec différentes exigences, telles qu'un « zéro papier », la prise en compte des préférences de format pour ses interlocuteurs, et bien sûr le respect des réglementations en vigueur dans les pays concernés. Le projet s'est d'ores et déjà traduit par des résultats pertinents : le niveau de déploiement de la facture électronique a dépassé en 2021 les 90 % des échanges réalisés. Le groupe profite d'une diminution du coût du traitement des factures de 80 % et de délais de paiement réduits de 8 jours en moyenne. Les délais de recouvrement des créances sont également plus satisfaisants, avec une amélioration de 8 à 15 jours selon les entreprises. Enfin, il en ressort aussi des relations clients mieux valorisées grâce à une diminution des relances et des litiges.