Sortir de la dépendance aux métaux rares, aussi polluants que stratégiques
Publié par Aude Guesnon le - mis à jour à
"La problématique des métaux rares sur nos chaînes d'approvisionnement et nos industries est un sujet critique aussi bien pour nos activités actuelles que pour accompagner les transitions numérique et écologique", explique Pablo Maniglier, auteur d'un livre sur ce sujet.
En parallèle de ses études à l'IAE Grenoble - Desma, Pablo Maniglier a écrit un ouvrage sur la fonction achat et les enjeux sur l'achat et l'approvisionnement en métaux rares et terres rares, Métaux rares et terres rares : Comment réduire notre dépendance ?, paru aux éditions Campus Ouvert. Rencontre... et explications passionnantes.
Pourquoi vous être intéressé à ce sujet si particulier?
J'ai un jour pioché comme journal de gare le livre de Guillaume Pitron "La guerre de Métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique". La problématique était passionnante, et le sujet largement méconnu du grand public, car assez complexe, mais pourtant essentiel. On y retrouvait des aspects politiques, géopolitiques, industriels, environnementaux, technologiques, sociaux, financiers, historiques, militaires.
En parallèle, j'étais en stage dans le secteur de la défense et plus précisément au sein d'un département travaillant sur des problématiques relatives aux "minerais de conflit". La validation de mon année universitaire étant sanctionnée par la rédaction d'un mémoire de stage, j'ai alors choisi d'écrire sur les questions que soulèvent les métaux et terres rares pour les grands groupes.
À la sortie du stage et une fois mon mémoire fini, j'ai voulu "creuser" le sujet en partant d'un constat assez simple : il s'agissait, et il s'agit toujours, d'un sujet qui n'est pas assez traité en Europe alors que nos "rivaux" (USA / Chine, etc.) font plus que simplement s'y intéresser puisqu'ils ont développé des "doctrines" sur les métaux rares. Il me semblait donc important de modestement participer à la sensibilisation sur ce sujet en écrivant ce livre.
En amont, pouvez-vous nous préciser ce que l'on entend par métaux rares et terres rares ? Où sont-ils majoritairement extraits et pourquoi n'y a-t-il pas plus de gisements ?
Il est essentiel de clairement définir ces termes, car on assiste à beaucoup d'abus de langage et parfois des confusions.
Les métaux rares représentent une quarantaine d'éléments du tableau périodique. Ils sont produits à de faibles tonnages et sont nécessaires à un grand nombre d'industries. Ils sont généralement présents à l'intérieur des minerais classiques. On les extrait, par exemple des mines de zinc, de cuivre ou encore de nickel.
Les terres rares sont une catégorie de métaux rares, elles sont aux nombres de 17. On les regroupe souvent sous cette même dénomination, car elles font partie - pour quinze d'entre elles - de la famille des lanthanides et on les retrouve souvent ensemble dans des gisements. Paradoxalement, ce qu'on entend dire souvent sur les terres rares, c'est qu'elles ne sont pas rares et qu'il y en a partout. Si le constat est vrai, la teneur des gisements en terre rare est souvent très faible et donc difficilement exploitable. De plus, les terres rares sont généralement couplées avec du Thorium, ce qui en complexifie l'extraction. Enfin, les terres rares ne sont pas toutes aussi critiques, certaines sont très courantes comme le cérium d'autres beaucoup moins comme le praséodyme.
Les métaux stratégiques sont des métaux définis comme indispensables par des entreprises ou des États, car leur souveraineté en dépend. Ils concernent des secteurs à enjeux vitaux.
Les métaux critiques sont ainsi nommés par référence à la situation qui serait la nôtre s'ils venaient à manquer. Ils font l'objet d'un suivi et d'une classification pointilleuse de la part du BRGM et de la Commission Européenne.
Enfin, les métaux (ou minerais) de conflits sont des métaux dont une partie -minoritaire- est issue de territoire sous tension. On parle des "3TG" (pour Tantalum, Tungsten, Tin and Gold) auxquels s'ajoute souvent le Cobalt. Ils sont qualifiés de critiques, car leur exploitation peut participer au financement de groupes armés, ou reposer sur le travail d'enfants dans des mines artisanales illégales. La région au centre de l'attention est notamment la République Démocratique du Congo, et tout particulièrement la province du nord Kivu, région frontalière du Rwanda et de l'Ouganda. L'enjeu principal de l'approvisionnement en minerais est de parvenir à mettre en place une traçabilité efficace afin de respecter les règles de conformités internationales.
Bien entendu ces définitions ne sont exclusives les unes des autres et un métal (ou minerai) de conflit peut être un métal stratégique et critique.
La localisation des mines dépend beaucoup de nos connaissances actuelles des sous-sols, surtout des sous-sols profonds, lesquelles ne sont malheureusement pas très bonnes. Géographiquement, les métaux rares ne sont pas répartis uniformément sur la surface de la planète. L'exemple le plus frappant est le monopole de l'Afrique du Sud sur les platinoïdes (excepté pour le palladium qui est aussi largement extrait en Russie). Ce monopole représente un avantage immense à l'heure du développement de l'usage de l'hydrogène et donc des électrolyses, consommatrices de platine ou palladium.
On pourrait aussi citer l'étendue de sel du Salar d'Uyuni en Bolivie pour ses ressources en lithium, ou les gisements de niobium au Brésil.
La Chine, quant à elle, possède de nombreuses exploitations sur son territoire ou dans d'autres pays, notamment africains, pour lesquels elle extrait ou raffine. Elle bénéficie par ailleurs d'une position de monopole sur les terres rares.
Quelles sont les industries qui en consomment le plus et sous quelle forme ? On pense spontanément aux smartphones ou aux batteries des voitures électriques, mais j'imagine qu'il y a des métaux rares dans beaucoup d'autres produits ?
Encore une fois, il faut être rigoureux sur la distinction terminologique entre terres rares et métaux rares. Les "métaux rares", dont font partie les terres rares, sont présents dans toutes les industries. On peut prendre l'exemple du niobium, métal dont la production est dominée par le Brésil, qui sert en grande partie pour la fabrication d'acier ou de superalliages.
D'autres métaux rares ont des utilisations plus technologiques. C'est par exemple le cas pour l'indium, sous-produit du zinc, qui permet la réalisation des écrans à cristaux liquides (écrans dits "LCD"), lesquels se distinguent par leur finesse et sont par ailleurs particulièrement adaptés aux fonctions tactiles. On le retrouve aussi dans les panneaux photovoltaïques. C'est un métal sur lequel la Chine a une position dominante.
Concernant les terres rares à proprement dit, on les retrouve dans l'industrie de pointe et les nouvelles technologies, notamment les aimants permanents, tout comme dans des activités plus "classique" comme le polissage.
En ce qui concerne la présence ou non de terres rares dans les batteries des voitures électriques, il n'y a pas de terres rares, mais d'autres métaux rares (cobalt, nickel, manganèse, cuivre...). Ce sont les moteurs de voitures électriques qui utilisent des terres rares, tout particulièrement dans les aimants permanents. S'il fallait faire une estimation, c'est près de 90% des voitures électriques qui ont des moteurs synchrones à aimants permanents, c'est le cas des e-208, Golf et consorts. Notez cependant que certaines s'en passent, c'est notamment le cas de la Zoé et de son moteur synchrone à rotor bobiné, ou du model S de Tesla et de la Audi e-Tron qui utilisent des moteurs à induction.
La tendance n'est pourtant pas figée et Tesla a récemment décidé d'utiliser des moteurs à aimants permanents pour ses nouveaux modèles. La Tesla Model 3 par exemple est équipée dans tous ses formats d'un moteur à aimant permanent à l'arrière, lequel a un meilleur rendement et est plus compact. Il est possible d'ajouter un moteur à induction à l'avant dans la configuration "Dual Motor" afin de bénéficier de 4 roues motrices.
Il convient de préciser que certains composants des voitures thermiques nécessitaient déjà des terres rares avant l'avènement du véhicule électrique. C'était notamment le cas des moteurs d'essuie-glaces, des haut-parleurs ou indirectement des vitres dont le polissage nécessite d'utiliser des terres rares.