Sous-traitance et crise sanitaire : quels contentieux dans l'aérien ?
Publié par Clément Sabatier, BCTG avocats le | Mis à jour le
Les difficultés subies par les entreprises du fait de la crise sanitaire sont une source nouvelle de contentieux, s'agissant en particulier de la résiliation anticipée des contrats. Le secteur aérien a été l'un des plus durement touchés.
Face aux résiliations décidées par leurs donneurs d'ordres, compagnies aériennes ou prestataires de services de celles-ci, les entreprises sous-traitantes multiplient les moyens de droit, dont celui tiré de l'article 1224-1 du Code du travail. Ces dispositions prévoient, en cas de succession d'entreprises sur un marché, la reprise des contrats de travail y affectés par l'entreprise entrante.
Récemment, la Cour d'appel ainsi a censuré un jugement du Tribunal de commerce de Paris, qui avait considéré que le donneur d'ordre résiliant un contrat de sous-traitance au motif qu'il n'avait plus d'activité à confier (sa propre activité ayant chuté de 70 à 80%), devait appliquer ces dispositions. La relation avait débuté en 2005. Le donneur d'ordre ("DO") confiait au sous-traitant ("ST") une part de son activité de nettoyage de cabines d'avions excédant sa capacité opérationnelle. Le contrat prévoyait que le ST traiterait environ 30 vols long courrier quotidiens d'une compagnie spécifique, soit environ 30% des vols concernés, le DO traitant le reste outre les vols d'autres compagnies.
Le contrat s'est normalement exécuté jusqu'en mars 2020, lorsque le gouvernement a annoncé les mesures restrictives inédites mises en oeuvre pour combattre la pandémie : fermeture des frontières, confinement, restrictions de déplacement. Du jour au lendemain, l'activité du DO liée au vols long courrier chutait de plus de 90% ! Dans les mois suivants, la baisse du trafic restait comprise entre 90 et 65%.
Dans ces conditions, le DO a suspendu en mars 2020 l'exécution du contrat, pour raison de force majeure. En l'absence de perspective de redressement à court ou moyen terme, le DO a appliqué les stipulations contractuelles autorisant résiliation sous préavis de trois mois, en cas de baisse de l'activité de plus de 10% sur un mois.
Le ST a saisi le tribunal afin de voir déclarer la rupture abusive faute d'un préavis suffisant, ordonner la reprise de l'exécution du contrat et, à défaut, le transfert de tous les contrats de travail au DO : Celui-ci soutenait que l'article L.1224-1 ne pouvait s'appliquer, aucune activité n'ayant été transférée à un tiers ni internalisée par le DO, puisque l'activité avait disparu... . Le premier juge, sans pour autant considérer la résiliation abusive, trancha dans le sens du ST et ordonna le transfert des contrats.
La Cour d'appel de Paris censura logiquement cette décision en donnant d'utiles indications sur le traitement judiciaire des contentieux interentreprises liés à la crise.
Un donneur d'ordre ne peut être tenu de sacrifier ses intérêts à ceux de son cocontractant
En premier lieu, la Cour constata que la pandémie et les mesures restrictives ayant entraîné la chute considérable du trafic aérien et donc de l'activité du DO, relevaient de la force majeure et rappela qu'en telle circonstance, l'article L.442-1.II du code de commerce autorisait, même en cas de relation commerciale établie, la résiliation sans préavis.
Elle rappela en outre qu'en cas de difficultés économiques avérées ou crise du secteur, la responsabilité de l'auteur ne pouvait être engagée sur le fondement de l'article précité et qu'en tout état de cause le DO avait respecté les stipulations du contrat.
En deuxième lieu, elle précisa qu'en l'absence de faute de l'auteur de la rupture, la circonstance d'une possible cessation des paiements du ST ne pouvait caractériser un dommage imminent, sauf à ce que l'ensemble des faillites liées à la crise soient qualifiées de dommage imminent.
La Cour indiqua qu'il n'appartenait pas à un cocontractant lui-même confronté à des difficultés liées à la crise, de pallier les conséquences de celle-ci pour son partenaire.
En dernier lieu, la Cour, ayant constaté que l'activité sous-traitée avait disparu en raison de la chute du trafic aérien, décida que l'article L.1224-1 du code du travail ne pouvait s'appliquer.
Le premier juge, considérant sans doute que la crise avait des conséquences plus sévères pour le ST que pour le DO, avait souhaité privilégier les intérêts économiques de ce dernier. Il a ainsi dénaturé les dispositions de l'article L.1224-1, qui n'ont pas vocation à garantir les entreprises des conséquences d'une crise, ni à favoriser les intérêts de telle partie, mais uniquement à préserver les emplois attachés à une activité.
Une telle décision relevait de l'équité. Le droit français est étranger à ces considérations et se fonde sur la responsabilité. La Cour a rappelé la loi, dont les dispositions précitées du code de commerce exonèrent de responsabilité le cocontractant dont des difficultés, qui ne sont pas de son fait, le contraignent à mettre un terme anticipé à une relation contractuelle. De plus fort en cas de force majeure, comme la pandémie et les mesures restrictives adoptées pour la combattre.
A l'impossible nul n'est tenu. Le donneur d'ordre qui n'a plus d'activité à confier à ses sous-traitants du fait de la crise n'est pas responsable de la situation, dont il subi lui-même les conséquences. On ne peut lui reprocher de ne pas respecter un préavis usuel qui n'a plus de sens dans une situation extraordinaire, quelle qu'ait été la durée de la relation ou la situation du sous-traitant. On ne peut davantage lui demander de sacrifier ses propres intérêts à ceux de ses cocontractants
Dans un tel contexte, avec un horizon toujours lointain pour un retour à un trafic aérien comparable à celui d'avant crise (que IATA projette entre 2024 et 2027), il est très probable que se confirme un recentrage du secteur autour de grands acteurs restructurés, tandis que nombre de plus petites structures risquent de disparaître.
Par Clément Sabatier, avocat associé du cabinet BCTG avocats, est expert en droit des sociétés et contentieux des affaires.