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Sécuriser ses approvisionnements grâce aux jumeaux numériques

Publié par Mathieu Neu le - mis à jour à

Les activités des supply chains ont rarement connu autant de tourmentes qu'au cours des dernières années. A la faveur du progrès technologique, les jumeaux numériques se présentent dans ce contexte comme une aubaine pour une maîtrise fine des opérations, y compris à une échelle planétaire.

Mieux prévoir, mieux protéger, tout en répondant à des niveaux d'exigences accrus. Ce triple objectif semble omniprésent à l'heure actuelle dans l'esprit des responsables des chaînes d'approvisionnement. Pour le relever, la solution envisagée est technologique. Dans son étude de 2023, l'éditeur de solutions Coupa Software indique que les entreprises françaises craignent que les difficultés liées à l'approvisionnement se poursuivent à court terme principalement en raison de l'incertitude géopolitique (29 %) et de l'augmentation des prix (22 %). 80 % d'entre elles se disent préoccupées par les perturbations de la supply chain. Face à ces inquiétudes, 25 % des entreprises interrogées prévoient d'investir plus d'un million d'euros dans la digitalisation de leur chaîne d'approvisionnement.

Les jumeaux numériques et le potentiel qu'ils peuvent apporter dans ce domaine s'inscrivent dans la lignée de cette tendance. En 2021, à la sortie de la crise sanitaire du covid-19, Gartner annonçait déjà un déploiement massif de cette innovation dans la supply chain sous 3 à 5 ans, avec des centaines de millions d'objets connectés qui disposeront de leur jumeau numérique. « Il y a effectivement une démocratisation en la matière », constate Guillaume Lechevallier, senior partner et directeur du pôle Impulse au sein du cabinet de conseil Mc2i. « Le covid-19 a remanié les chaînes d'approvisionnement et imposé la nécessité de piloter différemment les activités. Un jumeau numérique est un outil au service de la connaissance supply. Où se trouvent mes wagons, mes colis ? Comment faire si une frontière qui me concerne directement se ferme ? Cette innovation technologique permet de répondre à des questions variées et très concrètes de ce type. »

Vers un nouveau chapitre technologique pour l'efficacité supply

Les jumeaux numériques s'inscrivent dans le prolongement des usages logiciels des dernières années. Les solutions logicielles TMS (Transport Management System) et WMS (Warehouse management system), qui décrivent les données et flux, annonçaient déjà les prémices d'une évolution progressive vers le jumeau numérique, même celles-ci n'étaient pas élaborées dans cet objectif. Il s'agit aujourd'hui de croiser, d'organiser les informations de sources différentes, provenant de capteurs ou d'autres systèmes d'information pour se doter d'une vision globale, explicite, permettant de comprendre ces flux.

« Un jumeau numérique est un logiciel qui encapsule des données provenant de sources diverses dans le but de sécuriser la supply chain, de répondre aux conflits et à leurs conséquences, aux grèves et différentes crises sociales susceptibles de perturber des circuits d'approvisionnement. Le but est de pouvoir prendre, le cas échéant, des décisions alternatives », explique Guillaume Lechevallier. Dans un autre domaine, l'objectif est également d'optimiser les consommations de CO2, afin de mieux faire face aux défis de diminution de l'empreinte carbone.

Sur un plan technologique, il est pertinent de multiplier les jumeaux numériques d'un même objet, afin d'accroître le nombre d'analyses et d'expériences simulées. La vision digitalisée des différentes opérations successives permet alors d'optimiser les actions à réaliser pour chaque partie prenante, qu'il s'agisse des fournisseurs, des transporteurs ou d'autres opérateurs. Alors que les chaînes d'approvisionnement ont plus que jamais la nécessité de se montrer plus robustes, de gagner en qualité de services, en visibilité, de mieux maîtriser les coûts, les jumeaux numériques font figure d'aubaine pour atteindre plusieurs objectifs par une même innovation. Le sourcing stratégique, les lieux d'implantation en vue de projets futurs relatifs aux circuits d'approvisionnement sont autant d'éléments qui peuvent être pris en compte pour déterminer les futures organisations et les choix les plus pertinents.

Des cas d'usage toujours plus réalisables

« Il est aujourd'hui possible de produire une version numérique des informations circulant dans une chaîne d'approvisionnement, pour que les transactions numériques reflètent le mouvement physique des marchandises à mesure qu'elles circulent. En combinant ces flux de transactions avec les données des capteurs IoT, pour obtenir des informations sur l'état et la localisation des expéditions à travers le monde, les équipes peuvent dresser un tableau précis des opérations de la chaîne d'approvisionnement », souligne Sandrine Saintot, Vice-Présidente Europe du Sud, Ventes chez l'éditeur OpenText. « Cette image en 3D peut être visualisée dans un métavers et apporter de nouveaux niveaux de visibilité, de nouvelles capacités de planification et une connectivité sans précédent qui procure de nouvelles opportunités de collaboration. »

« La sécurisation des processus relatifs aux activités supply ainsi que la volonté de gagner en fiabilité dans les relations fournisseurs figurent parmi les premières motivations des entreprises dans le fait d'entreprendre des projets IT d'envergure », remarque Elicia Petit, analyste de contenus chez Gartner Digital Markets. Bon nombre d'industriels ont déjà franchi le pas dans cette optique, à l'image de Schneider Electric qui a investi dès la fin de crise du covid-19 dans un jumeau numérique couvrant 98 % des flux existants, afin d'offrir les meilleures garanties au sourcing, à la production et aux acheminements. Avec cette démarche, le groupe souhaite identifier les points de risque supply chain et de proposer des scénarios alternatifs, par exemple en recourant à une nouvelle usine dans un autre pays si nécessaire.

Renault fait également partie des acteurs de renom à avoir opéré une mutation importante sur ce plan. Signe du caractère stratégique de ces enjeux : la supply chain est désormais rattaché au CEO du groupe, afin d'offrir à la chaîne d'approvisionnement « une certaine neutralité au sein du groupe, notamment pour faire des arbitrages S&OP », expliquait Thierry Blein, directeur de la gestion des risques chez Renault Group, à l'occasion d'une conférence du salon SITL 2024, en mars dernier. « A quels véhicules faut-il affecter des composants en situation de pénurie ? Quelles usines faut-il fermer temporairement pour limiter le stock de véhicules ? Il s'agit de pouvoir répondre le plus pertinemment possible à ces questions. Notre supply offre ainsi une vision globale de ce qui se passe dans l'entreprise, des capacités fournisseurs aux capacités de transport en passant par les matières premières. »

Les prémices d'un nouveau paradigme technologique

Pour Thierry Blein, « jusqu'ici, la démarche d'analyse des risques a souvent été trop cloisonnée. Les achats se penchaient sur le risque financier, la supply sur le risque d'approvisionnement, la stratégie sur le risque géopolitique. Personne ne disposait d'une vue d'ensemble, ce qui fait qu'il était impossible de savoir si un fournisseur cumulait plusieurs facteurs de risque. Un référentiel transparent, partagé par tous, comme celui d'un jumeau numérique, est une clé essentielle pour être efficace sur ce sujet. »

Elicia Petit souligne également une tendance croissante envers une collaboration plus étroite entre les acteurs d'une même chaîne d'approvisionnement, à l'image des plateformes SRM (Supplier Relationship Management) qui connaissent un succès grandissant pour mieux qualifier les fournisseurs, sécuriser ce volet et disposer d'une visibilité plus globale sur tous les aspects essentiels. »

L'IA représente par ailleurs une nouvelle étape corrélée aux jumeaux numériques. Avec les innombrables données en circulation, les supply chains sont souvent confrontées à des temps de latence importants qui posent problème. Un impact important sur un fournisseur de rang 3 peut prendre plusieurs semaines avant d'être connu par le donneur d'ordre principal, avec des conséquences négatives potentiellement importantes sur plusieurs domaines. Grâce à l'IA, il est possible de cartographier l'ensemble du réseau d'approvisionnement en facilitant la détection rapide de signaux faibles. « Les organisations peuvent par ce biais tester des scénarios hypothétiques avant d'appliquer des actions à la chaîne d'approvisionnement physique. Les entreprises peuvent simuler des événements perturbateurs, tels qu'un conflit régional ou une catastrophe naturelle, afin de comprendre l'impact sur le reste de la chaîne d'approvisionnement. Il en va de même lorsqu'il s'agit de simuler le résultat de l'introduction de nouveaux fournisseurs pour remplacer les fournisseurs perturbés et l'impact sur les flux logistiques dans le réseau », explique Sandrine Saintot.

A noter toutefois « qu'il faudra envisager des investissements et des preuves de concept de la part de grandes entreprises pour leur donner un véritable élan. Cette technologie a le potentiel de redéfinir complètement la façon dont les entreprises visualisent les opérations de leur chaîne d'approvisionnement à long terme », poursuit-elle.


Renault : une supply chain au peigne fin, à tout instant

60 000 fournisseurs, 3 500 camions qui sillonnent en permanence les routes vers les usines, 34 sites de production. A la suite d'investissements massifs réalisés au cours des dernières années par le célèbre constructeur automobile français, plus aucun acteur de sa vaste chaîne d'approvisionnement n'échappe aux radars technologiques mis en place. Renault profite désormais d'un jumeau numérique qui lui permet d'avoir une visibilité en quasi temps réel des éléments ayant des répercussions sur ce réseau. Les fournisseurs affectés par un événement climatique, des grèves récurrentes, un accident industriel ou des problèmes de gouvernance ESG sont systématiquement identifiés. Il en va de même pour les transporteurs dont la position en temps réel est toujours connue. Toutes les 15 minutes, leur localisation GPS est remontée, ce qui permet de recalculer en permanence les ETA - les horaires d'arrivée en usine - en fonction des événements qui peuvent survenir sur le trajet. Ces ETA sont croisés avec les niveaux de stocks en usine, pour ensuite prédire des dates de rupture de stocks pour les différents éléments concernés. Face à ces risques de rupture, des fonctionnalités permettant au système de proposer des scénarios alternatifs sont également proposées.

Le jumeau numérique est composé de 3 Digital Control Towers qui couvrent les flux d'approvisionnement de bout en bout et qui ont vocation à fournir aux opérationnels des outils prédisant des risques internes et externes. Ces résultats permettent d'analyser des situations, de prioriser certains flux par rapport à d'autres et d'orienter les décisions rapidement. On évite ainsi que le risque détecté se transforme en crise.