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[Tribune juridique] Faut-il qu'une entreprise soit lésée pour qu'une procédure soit reprise ou annulée ?

Publié par Arnaud Salomon le | Mis à jour le

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De nombreuses jurisprudences consacrent le principe qu'un recours en annulation d'une procédure de marché public ne peut être dûment considéré par le juge que si le candidat démontre avoir été lésé. En d'autres termes, la requête n'est entendue que si le candidat apporte la preuve qu'il aurait pu emporter le marché, nonobstant le problème de procédure soulevé.

Ces jurisprudences sont préjudiciables tant elles ouvrent la porte à des excès et peuvent nourrir un climat de défiance à l'endroit de la commande publique. Climat dont on sait qu'il participe à éloigner les PME de la commande publique.

Une entreprise peut, par exemple, voir son offre très mal notée à l'aune d'un critère d'appréciation des offres sans aucun lien avec l'objet du marché, elle ne pourra pas obtenir l'annulation de la procédure de passation si elle ne démontre pas que sur les autres critères elle est en mesure d'emporter le marché. Le raisonnement des juges est un tantinet simpliste, tant il est évident que si ce critère « irrégulier » n'avait pas été intégré à l'équation de notation des offres, une autre pondération des critères eût certainement été définie, voire un autre critère eût été utilisé.

Le débat placé au mauvais endroit

Aussi grave soit le vice entachant une procédure de passation d'un marché public, l'annulation ou la reprise de celle-ci (référé précontractuel) est aujourd'hui trop souvent conditionnée à l'apport, par le requérant, d'une preuve de lésion certaine. Si le Code de justice administrative prévoit que « Les personnes habilitées à engager les recours sont celles susceptibles d'être lésées par un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence » (Art. L551-10), il ne dit pas que la démonstration d'une lésion certaine conditionne l'acceptation de la requête en annulation formée. De plus, ce même code précise que le juge doit considérer « l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment l'intérêt public ». Une procédure de guingois, parce qu'elle décrédibilise le pouvoir adjudicateur, lèse l'intérêt public.

De la limite des jurisprudences

Une jurisprudence est une source du droit qui permet aux juges de répondre à une même question sans avoir de nouveau à l'explorer. Si les juges restent libres de leurs décisions, ils ne vont que rarement à l'encontre d'une jurisprudence dite « constante ». De façon caricaturale, aussi farfelue une jurisprudence soit-elle, elle peut asseoir durablement de mauvaises décisions parce qu'elle offre aux juges le confort d'une absence de questionnement. Les jurisprudences sont justifiées lorsque l'erreur commise par le pouvoir adjudicateur a été légère et n'a pas contrarié les principes d'égalité de traitement, de liberté d'accès et de transparence. Ces décisions qui font jurisprudences permettent certainement de limiter le nombre des recours intentés pour tout et pour rien. Les jurisprudences sont certainement « excessives » lorsqu'elles sont relatives à des procédures entachées d'erreurs grossières. Valider une procédure biscornue, sous prétexte qu'untel ou untel n'a pas démontré avoir été lésé, n'est pas rendre service aux acheteurs publics tant la confiance avec les citoyens et entreprises peut être abîmée par ce type de décision. De nouvelles jurisprudences, venant pondérer la façon dont les juges exercent leur pouvoir d'injonction et notamment leur capacité à exiger la reprise ou l'annulation d'une procédure, seraient bienvenues...