"Un métier qui se transforme en permance,précurseur en innovation", Pascal Pelon - Directeur des Achats chez AXA France
Publié par Geoffroy Framery le | Mis à jour le
Un engagement social et sociétal et pas seulement environnemental. Pascal Pelon nous brosse le portrait d'un service de plus en plus valorisé en interne et qui jouit finalement d'une position privilégiée pour être vecteur de la transformation, et de l'agilité de l'entreprise.
Comment s'organisent les achats au sein du groupe ?
La spécificité de notre secteur relève des achats assurantiels liés aux contrats d'assurance. Une équipe dédiée rattachée à la direction achats se charge de cette partie. Mon périmètre recouvre les achats de fonctionnement de l'entreprise. Le principal poste de dépense est l'informatique, logiciels comme services. Et après, nous gérons l'ensemble des achats indirects qui concernent la vie de l'entreprise, tant en termes de services que de biens.
Comment vous-êtes vous organisé en termes de ressources humaines ?
Mon équipe se compose aujourd'hui de 25 collaborateurs en interne pour une dépense de 60 millions d'euros. Nous connaissance une vraie bataille des ressources. Recruter fut l'une des grandes priorités en 2022, cela le restera encore en 2023. Nous avons fort à faire pour recruter et fidéliser les talents. Et ce n'est pas qu'une question de salaire. Nous avons de bons arguments pour y répondre, mais les tentations à l'extérieur sont fortes pour nos talents.
Quelle posture recherchez-vous chez vos acheteurs ?
Sans revenir sur le détail de l'actualité qui a bouleversé le quotidien des entreprises, nous recherchons une extrême agilité des équipes. Nos collaborateurs doivent être capable de se remettre tout le temps en question et de travailler dans des conditions de travail très différentes. L'équipe que j'ai en charge à su le faire et s'est adapté en permanence au contexte et aux nouvelles contraintes telles que le travail à distance qui s'est mis en place du jour au lendemain en raison du confinement. Aujourd'hui, il s'agit de réagir et solliciter les fournisseurs dans un contexte inflationniste ou de faire face à des pénuries même si nous demeurons moins impactés que l'industrie.
Comment décririez-vous votre relation avec vos fournisseurs ?
Nous sommes très exigeants sur la formulation de notre demande. C'est un prérequis. Mais nous sommes très à l'écoute de nos fournisseurs. Nous ne sommes pas dans une guerre des tranchées à s'observer dans un contexte d'inflation. Nous sommes persuadés que cette relation repose sur un nécessaire partage de la valeur. Il faut bien se connaître pour mieux se comprendre. Et finalement notre relation fournisseur passe avant tout par l'écoute et la volonté de trouver un terrain d'entente, une plage de recouvrement, pour que de part et d'autre nous soyons satisfaits.
Sur quel type de risque êtes-vous particulièrement attentif ?
Le risque de pénurie est derrière nous. Aujourd'hui, nos regards se portent davantage sur le risque IT et celui des composants électroniques. Nous sommes également attentifs sur les difficultés de recrutement. Il existe une vraie guerre des talents. Nous achetons en grande majorité des services. Et les entreprises avec lesquelles nous travaillons sont parfois en tension au niveau RH et rencontrent des difficultés à garder leurs talents.
Quid de l'inflation dans votre métier ?
Nous ressentons les effets de l'inflation mais en décalé car nos achats sont impactés par les négociations de salaires. Nous avons été en tension sur ce sujet en 2022, mais nous ne pouvons pas comparer les tensions vécues avec les achats directs de matières premières qui ont impacté lourdement certaines industries.
D'après nos projections, l'inflation va s'essouffler en 2023. Après un pic en décembre, la décrue semble se confirmer. Et pour le mois de juin, nous espérons que le niveau des prix sera de nouveau dans des variations raisonnables.
Vous prenez de nombreux engagements RSE, comment cela se concrétise-t-il ?
Face à l'urgence climatique, les entreprises communiquent prioritairement sur la limitation de leurs émissions de CO2. Chez Axa, notre positionnement diffère. Notre souhait est de mettre au même rang notre engagement social et notre engagement en faveur de l'environnement. Nous menons de vastes projets pour répondre aux CSP en grande difficulté. Et aux achats, cela se traduit par la recherche de valeur extra-financière. Axa a poursuivi des objectifs ambitieux pour ses recrutements d'alternants (730 en 2021), de jeunes issus de Quartiers Prioritaires de la Ville (366 jeunes de moins de 26 ans en 2020), ses recrutements de Certificats de Qualification Professionnelle (199), et ses recrutements de personnes en situation de handicap, en travaillant avec CHEOPS, les acteurs de l'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, les écoles, les CapEmplois, la FFA, des prestataires (Défi RH) et via des sites spécifiques : Talents Handicap, Handicap.fr, HelloHandicap. Concrètement, ces objectifs ont permis la diversification des outils de sourcing afin d'attirer des profils d'origine sociale et culturelle variés : 1 jeune, 1 solution ; Diversifiezvostalents.com ; Plateforme Engagements Jeunes...la possibilité pour les équipes RH de s'engager personnellement auprès de jeunes (coaching 100 Chances 100 Emplois, salons Jeunes d'Avenir, Acteurs d'Avenirs) et de partager avec d'autres entreprises engagées en faveur de l'employabilité des jeunes.
Cela a également permis l'engagement d'Axa dans de nouvelles initiatives en faveur de l'employabilité des jeunes, comme le programme Skills, qui permet d'agir pour la réinsertion scolaire et professionnelle de jeunes entre 18 et 30 ans issus des QPV en Île-de-France et éloignés de l'emploi. Enfin soulignons également le développement de programmes de mentorat, comme un partenariat avec « Chemins d'Avenirs » et la poursuite des partenariats existants avec Télémaque, Proxité, Eloquentia. Nous travaillons comme vous pouvez l'observer avec les personnes en situation de handicap mais également avec toutes les population sen difficulté. La promotion des territoires, des TPE et PME est également un de nos crédo et correspond à notre culture. Et ces actions qui sonnent plus social qu'écologie, nous les mettons au même rang. Pour la partie achats inclusifs, nous avons Segmenté notre portefeuille achat et créer une pépinière de fournisseurs inclusifs pour concilier l'urgence d'un besoin de la DSI avec le temps plus long des EA et des ESAT. Une DSI a un besoin auquel il faut répondre rapidement. Or le recours de prestation de services grâce à l'inclusion demande de penser sur le moyen terme. Pour s'adapter aux demandes et être performant sur le long terme comme le court terme, l'assureur a créé une pépinière, en formant et recrutant au sein d'EA et d'ESAT. L'idée est de miser sur le futur en passant des achats inclusifs au recrutement inclusif.
L'énergie est à la fois question d'achat et de comportements, de consommation, quelle a été la politique d'Axa sur le sujet ?
Nous nous sommes professionnalisés sur la partie énergie grâce à notre partenariat de longue date. Notre fournisseur a été force de proposition et de conseil surtout sur le premier semestre 2022. Et nous nous sommes orientés vers davantage d'électricité verte. On achète ainsi des certificats d'origine EDF qui nous garantissent que le volume consommé aura son volume équivalent produit en solaire ou en éolien.
En parallèle, la question de la sobriété a été traité par plusieurs mesures : baisse du chauffage l'hiver, réduction de la climatisation l'été et mise en place d'éclairages LED dans l'ensemble des bureaux. Dans les comportements, nous travaillons à la rationalisation de l'occupation de nos bâtiments. C'est un travail de long terme pour réduire le nombre de mètres carrés par occupant. Nous nous efforçons de lisser les venues. Mais il faut aujourd'hui concilier cela avec le travail hybride et les usages, les équipes venant davantage les mardis et les jeudis. Cette partie Workplace inclut les RH et les managers directs afin de fixer un fonctionnement pour éviter la saturation ou une trop grande vacance.
La direction achats est-elle valorisée face à ces chantiers ?
La Direction Achats est revenue sur le devant de la scène. Cela est très satisfaisant pour la valorisation des équipes, d'autant plus dans un contexte RH où la guerre des talents est une réalité. Nous sommes une fonction engagée qui parfois reste encore trop discrète sur ses victoires et ses réussites.
Justement, pouvez-vous nous préciser vos victoires ?
Notre principale victoire réside dans la capacité des équipes à répondre à des défis d'envergure et à des situations nouvelles sans faillir. En cela les équipes achats ont fait preuve d'une adaptabilité remarquable. En 24h, nous avons permis à l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise à se mettre au télétravail.
L'agilité dont nous faisons preuve avec nos fournisseurs est également à souligner. Nous avons également fait évoluer la façon de travailler de nos fournisseurs qui n'avaient pas mis en place le télétravail avant la covid. Concernant l'inflation, nous avons également réussi à faire évoluer le rapport avec nos fournisseurs dans le bon sens.
Quelle est votre vision de l'innovation aux Achats ?
Nous ne nous attribuons pas le monopole de l'innovation. Toutes les équipes sont concernées et cela passe par des gestes simples : participer à un événement, lire un article, partager un post... Capter l'information. Mais le vrai enjeu est de communiquer sur cette dernière et de comprendre comment la transformer en succès. Et sur cet aspect, nous ne sommes pas encore à l'optimum. Il reste encore des silos à déconstruire. Et ici, le rôle des achats est prégnant. La nature des achats est d'être transversale. Très peu de fonctions ont cette opportunité d'être au contact de l'ensemble des métiers.
La perception de la valeur des Achats est-elle une réalité chez Axa ?
L'image du métier procédurier qui impose les process est en train de changer durablement. Car les crises successives que nous traversons démontrent le rôle des acheteurs et valorisent leur contribution entre les métiers et leurs fournisseurs. Les exigences réglementaires sont également très présentes dans nos métiers. Et notre métier consiste à aider les autres à répondre à ces exigences telles que la lutte contre le blanchiment, la corruption...Concrètement, les achats participent à la simplification de ces contraintes afin que ces dernières soient facilement intégrées par les métiers.
Quid du risque cyber ?
Dans notre service, nous avons développé une approche par la valeur et par le risque. Nous sommes très sélectifs sur les achats et nous ne les traitons pas tous. Les achats sont ainsi très en amont de l'expression du besoin. Et sur la partie risque, nous sommes particulièrement vigilants sur les trois thèmes suivants : le traitement des données critiques et personnelles, le risque d'intrusion et le sujet de la corruption.
Et sur cette typologie de risque, quelle est ici la valeur des achats ?
Tout le monde adore acheter et négocier mais le faire comme nous le faisons est extrêmement complexe. Notre expertise est particulière : il faut négocier certes mais en minimisant les risques et en cherchant l'efficacité et la performance extra-financière. Il faut également répondre de façon satisfaisante et ainsi ne pas fragiliser l'entreprises par les accords extérieurs et s'assurer que cela se réalise en conformité avec nos règles en interne.
Comment voyez vous le métier d'acheteur évoluer ?
Le métier demeure passionnant, atypique. Nous sommes l'interface entre l'interne et l'externe. Nous nous positionnons également sur des sujets d'efficacité et d'innovation. C'est un métier qui se transforme en permanence et qui est souvent précurseur dans de nombreux aspect : le zéro papier chez Axa vient des achats. Le télétravail également.
Et vous concernant, quel regard portez-vous sur votre direction ?
J'ai eu l'impression d'avoir eu neuf vies aux Achats. J'ai mené une carrière dans des projets qui exigeait de l'agilité et ne jamais être dans ma zone de confort. Mais il faut en parallèle, que l'entreprise réunisse des conditions pour aller sereinement hors de cette zone.
Auriez-vous un conseil pour les jeunes acheteurs ?
Nous en faisons part aux organismes de formation mais nous constatons parfois un écart entre le contenu des programmes et la réalité du métier. Bien qu'ayant une appétence digitale, les acheteurs juniors ne sont pas très bien formés à l'analyse de la data, alors qu'il s'agit d'une compétence clé pour le métier. Côté soft skills, la curiosité n'est pas un vilain défaut au contraire. Enfin il faut faire preuve d'engagement et être convaincu des valeurs de l'entreprise pour laquelle on achète. La négociation est une confrontation.