Billet d'humeur - Les achats, premier métier exposé au risque de corruption ?
Publié par Geoffroy Framery le | Mis à jour le
Les négociations commerciales n'ont pas toujours bonne presse. Exercice au coeur de la fonction du métier, la négociation, parfois musclée, peut devenir douteuse. Comment prendre en compte ce risque dans ses pratiques commerciales ?
25e position sur 67 pays. Et 10 places derrière l'Allemagne. La France rend une copie peu élogieuse et perd cinq places dans le classement mondial de l'Indice de Perception de la Corruption. La plus mauvaise notation et la pire position pour la France depuis la création de l'indice en 1995. Le déficit de confiance en les institutions est réel. D'autant plus au regard des derniers scandales sous fond de fausses factures et de bracelet électronique. Mais peut-on transposer ce manque de transparence et de confiance du "marbre du Sénat" aux bureaux clos des entreprises qui taisent le secret des affaires ?
Selon un récent diagnostic national sur les dispositifs publié par l'Agence française anticorruption, les fonctions achats figurent en tête de liste des métiers les plus exposés au risque de corruption - 90 % des répondants le confirment; le trio de tête étant complété par les fonctions commerciales et les directions générales.
On imagine aisément pourquoi les acheteurs ne doivent pas devenir des Tartuffe de la négociation et vouloir d'une main une relation partenariale long terme faite de co-innovation et de transparence, tandis que l'autre ourdit discrètement des pratiques douteuses.
Sapin 2 quel bilan tirer ?
Mettre plus d'éthique semble plein de promesses avec, entre autres, des vertus évidentes comme celles de garder la réputation de l'entreprise intacte, et valoriser en interne ceux qui en sont les gardiens.
Première nuance de gris apportée par le rapport de l'AFA, le sujet du secteur d'activité. Réglementées, la banque, l'assurance, l'industrie pharmaceutique et la construction, se distinguent par le nombre d'entreprises ayant répondu à l'enquête 2022. Un chiffre qui illustre une prise de conscience accrue quant aux risques auxquels ces secteurs sont exposés. À l'inverse, aucune entreprise relevant des secteurs du textile, du plastique, des machines et équipements, de l'automobile et du luxe n'ont daigné répondre...
Autre point à souligner, les progrès réalisés en termes de prévention, d'anticipation et gestion du risque sont notoires. La mise en place de codes de conduite, de dispositifs d'alerte interne, ou encore de cartographies des risques contribue à instaurer un cadre plus rigoureux.
En clair, 92% des entreprises déclarent avoir mis en oeuvre des mesures de prévention et de détection des faits de corruption et de trafic d'influence contre 70 % en 2020. Pas mal.
Le service achats, zone à risque ou tour de guet ?
Comment faire mieux à l'avenir ? Cette question nous pousse à évoquer les ombres au tableau de la lutte anticorruption. Le principal achoppement réside selon le rapport de l'AFA dans « la mise en oeuvre de l'évaluation de l'intégrité des tiers [qui] est perçue comme pouvant nécessiter d'importantes ressources humaines et financières, en raison notamment d'une volumétrie importante de tiers ou d'opérations à évaluer ». Procédure qui, en tant qu'acheteur, vous l'imaginez bien, peut engendrer des difficultés relationnelles avec les tiers.
Les achats peuvent (et doivent) contribuer à cette cartographie des risques de corruption et de trafic d'influence, parce qu'ils incarnent cette tour d'observation des parties prenantes. De fait, la fonction se doit d'anticiper, prévenir son risque éponyme.
À la croisée de la compliance et de la gestion du risque, le rôle des achats se retrouve encore une fois renforcé, élargi. Et finalement ne pourrait-on pas penser à une vision plus holistique du fournisseur, à la croisée du monde économique, de la double matérialité et de l'éthique des affaires. Encore un bel exercice de funambule pour tendre vers des pratiques commerciales qui prennent en compte le fait de ne pas fragiliser la confiance dans l'organisation.