Bruno Crescent, directeur des achats d'EDF : " L'acheteur doit faire preuve d'humilité et de pédagogie "
Publié par Propos recueillis par Charles Cohen le - mis à jour à
Professionnalisation des pratiques achats, collaborations gagnant-gagnant avec les prescripteurs et les fournisseurs, etc., le patron des achats d'EDF, Bruno Crescent, a su asseoir la légitimité de sa direction en interne comme en externe.
En 12 ans d'existence, la direction achats d'EDF a largement su imposer sa marque en interne. Qu'est-ce qui explique un tel succès ?
B. C. : Lorsque j'ai pris la tête des achats d'EDF en 2002, j'avais pour premier objectif de structurer cette direction qui venait tout juste d'être créée. En faisant appel, dès le départ, à un spécialiste des achats, la volonté de la gouvernance d'EDF était d'installer une vraie fonction achats, efficiente et professionnelle, en appui aux différents métiers du groupe. Cela n'allait pas complètement de soi car il y a toujours des résistances quand une direction achats est créée au sein d'une grande entreprise. Aussi, pour assurer la professionnalisation de notre fonction et sa valorisation auprès des clients internes, deux prérequis prévalaient : accorder le temps nécessaire et faire preuve d'humilité.
Qu'entendez-vous par "humilité" ?
Pour s'imposer comme un véritable apporteur de solutions, l'acheteur doit savoir être pédagogue et rester humble. Typiquement, chez EDF, ce n'est certainement pas lui qui va apprendre aux opérationnels les enjeux et les contraintes liés au nucléaire ! Donc, même si des acheteurs, forts d'une expertise technique, sont désignés sur chaque famille d'achats, ils ne prennent en aucun cas la place des prescripteurs dans la définition des besoins. D'autant que ces derniers, en charge de produire et de distribuer l'électricité, assument des impératifs prégnants, notamment techniques, de sûreté ou de continuité de service. D'où la nécessité de comprendre leurs exigences, en étant à leur écoute et en favorisant un dialogue constructif, pour élaborer ensemble des stratégies d'achats ambitieuses, sans s'interdire de repenser les besoins. Une fois qu'une telle approche est intégrée dans les pratiques, on évite toute tension pouvant altérer la relation entre acheteurs et clients internes. Ce qui constitue un facteur de succès non négligeable.
Pourquoi cette relation est-elle si stratégique ?
Pour une raison évidente : dans un groupe industriel à forte culture technique et d'ingénieurs, comme l'est EDF, il est primordial d'instaurer une relation de bonne intelligence avec les prescripteurs, favorisant la compréhension mutuelle et la bonne complémentarité. Cette relation doit reposer sur un travail en binôme avec une parfaite répartition des missions et des tâches. Du côté des prescripteurs, la juste expression des besoins, notamment techniques, et pour les acheteurs, la gestion optimale du processus de contractualisation. Mais encore faut-il que chacun respecte le rôle de l'autre. Pour les acheteurs, il s'agit d'éviter de bouleverser de manière brutale les habitudes ou de remettre en cause les prérogatives des clients internes, sans pour autant se faire raconter des carabistouilles ! Car les exigences des opérationnels (fiabilité, sécurité...) ne doivent pas se transformer en alibis ou en "faux motifs" de leur part. Aussi, il appartient aux acheteurs d'analyser et de savoir faire le tri, de manière subtile mais impartiale, parmi les exigences formulées, en recourant à la pédagogie, à la psychologie et parfois à l'humour, très utile au quotidien !
Quels principaux leviers avez-vous privilégié au cours des dernières années pour professionnaliser la direction des achats ?
Nous avons tout naturellement procédé par étapes. Avec, tout d'abord, la rationalisation des différents panels fournisseurs : suppression des références "dormantes" ou actions de sourcing, afin de disposer, pour chaque famille d'achats, d'un panel adapté à nos besoins et d'une mise en concurrence efficace. Avec, en parallèle, la professionnalisation de la fonction : mise en place de processus robustes et normés - dans le respect de la directive européenne 2004/17-CE qui encadre nos achats -, sans oublier des procédures sous assurance qualité et des cursus de formations.
Nous avons ensuite travaillé à la généralisation de leviers de performance, tels que la "mieux-disance", les synergies groupe, le pricing - qui vise à favoriser une décomposition des coûts transparente - ou le partenariat productivité avec les fournisseurs. Ce dernier s'inspire des pratiques de l'automobile, avec pour objectif de faire gagner en performance les deux parties tout au long de l'exécution d'un contrat, et de se partager les gains générés.
Comment se structurent aujourd'hui les achats d'EDF ?
Notre direction, rattachée à la finance, est organisée en quatre domaines, selon les grands métiers d'EDF : les achats de production et d'ingénierie (construction et entretien des centres de production nucléaires, thermiques et hydrauliques), les achats d'informatique et de télécommunications, les achats de matériels du réseau de distribution d'électricité, et les achats tertiaires et de prestations (achats généraux, immobilier, déchets et produits chimiques, prestations intellectuelles, R & D...). Pour favoriser un dialogue de haut niveau avec les prescripteurs, un responsable stratégie d'achats (RSA) a été nommé pour chaque famille. Chacun de ces RSA élabore, en lien avec les prescripteurs et les acheteurs, des plans stratégiques annuels à court et moyen termes, en associant, le cas échéant, les filiales du groupe.
Par ailleurs, dès 2004, nous avons mis en place des actions de synergies avec nos filiales à l'échelle internationale. Cette coopération de tous les jours - qui est désormais entrée dans nos modes de fonctionnement quotidiens - porte notamment sur les appels d'offres, la mutualisation des panels de fournisseurs, le partage d'outils, la consolidation de données achats dont les savings, etc. J'ai personnellement en charge l'animation de la filière achats au niveau du groupe. Les synergies s'exercent en favorisant la complémentarité des compétences, tout en veillant à préserver une approche locale et de proximité dans les domaines qui s'avèrent pertinents.