La stratégie achats est-elle toujours alignée sur celle de l'entreprise ?
Publié par François Bouttemy le | Mis à jour le
La fonction achats se doit de servir le business. Pour y parvenir, sa stratégie doit s'aligner sur la stratégie globale de l'entreprise. Est-ce couramment le cas ? Le point autour d'une table ronde d'experts et de décideurs achats.
Votre stratégie achats est-elle alignée sur la stratégie de l'entreprise ? La question a été posée à des décideurs achats lors d'une matinée organisée le 2 avril dernier par Determine, Décision Achats, le Conseil National des Achats et Nomination, à l'occasion de la présentation des résultats du "Baromètre des Décideurs Achats 2019".
Oui, pour certains
En ce qui concerne Laurence Laroche , CPO de Rockwool, la fonction achats s'inscrit bel et bien dans la stratégie globale du groupe. Mieux, elle la décline : "Nous sommes partis de la stratégie de l'entreprise, et nous avons défini de quelle manière la stratégie achats allait contribuer aux objectifs de notre direction opérationnelle (R&D, Ingénierie, etc.) selon ses cinq piliers : développement durable, sécurité, croissance, excellence opérationnelle, et usine du futur", observe-t-elle.
Chez Endel Engie, l'alignement des stratégies s'est fait l'an dernier et découle d'une réorganisation du groupe : "Nous sommes passés d'une organisation par métiers à une organisation géographique, par région, ce qui a engendré une organisation achats différente qui s'est adaptée à la stratégie du groupe. Nous les avons adaptées à la stratégie du groupe afin de favoriser la proximité client, en étant au plus proche des opérationnels du terrain et des territoires", relate Gérald Von Euw, son directeur des achats et logistique.
Être aligné sur la stratégie de son groupe, c'est quoi ?
Concourir à la différenciation pour développer le business
Pour Hugues Poissonnier, professeur associé à Grenoble École de Management, également présent à cette table ronde, la fonction achats doit permettre de créer l'avantage concurrentiel de demain : "Ce n'est plus tellement au niveau de la production ou du commercial qu'on arrive à se démarquer des concurrents. Si on arrive à mieux collaborer avec le fournisseur, si on parvient, avec les meilleurs fournisseurs, à créer des nouveaux produits de meilleure qualité technique, sociale, environnementale, etc. on débloque de nouvelles sources d'avantage concurrentiel", explique-t-il
Gérer les risques fournisseurs
Servir les enjeux stratégiques de l'entreprise, comme l'ont souligné les intervenants, c'est notamment, avoir une bonne gestion des risques "que ce soit grâce à la mise en place d'un code de conduite des fournisseurs, à l'estimation des risques de réputation via des grilles d'évaluation, ou encore des audits internes ou externes", commente Laurence Laroche (Rockwool).
"Faire en sorte de devenir le client préféré de nos meilleurs fournisseurs"
Gérer ce type de risque, c'est aussi sécuriser les approvisionnements et trouver les bonnes innovations. Dans ce cadre, l'objectif est de "faire en sorte de devenir le client préféré de nos meilleurs fournisseurs", souligne Hugues Poissonnier. Toutefois, "Ce phénomène reste pour le moment minoritaire", ajoute-t-il, "confinant encore, d'une certaine manière, à de la science-fiction pour de nombreuses organisations, alors même que ce sont les entreprises pour lesquelles cette inversion de la logique traditionnelle représente une réalité quotidienne qui se portent le mieux aujourd'hui".
Encore faut-il que les fournisseurs soient encore aptes à délivrer leurs services, rappelle Hugues Poissonnier, pointant le taux de survie des fournisseurs en période de difficulté économique. Pour limiter des pertes plus importantes en cas de rupture d'une relation fournisseur stratégique, les entreprises peuvent ainsi être amenées à soutenir l'un de leurs fournisseurs en péril. C'est ce qu'a fait Rockwool, témoigne Laurence Laroche. Après communication en interne, en plus haut lieu, sur les difficultés rencontrées par un fournisseur stratégique dont la perte aurait pu nuire aux intérêts du groupe, il a été décidé de lui apporter des facilités de trésorerie, des affaires et des conditions plus avantageuses de manière temporaire, jusqu'à ce qu'il sorte de la procédure de banqueroute.
Il est également important de garder un oeil sur le risque d'image, comme le rappelle Jérôme Sallier président du CNA de la région Hauts-de-France : "À la croisée des chemins entre RSE et gestion du risque, il y a le pilotage de la performance des fournisseurs, mais aussi le changement stratégique vers un désengagement lorsqu'il [existe] un risque d'image vraiment important pour l'entreprise."
Non... pour d'autres
Si les grands groupes ont plus de facilité à impliquer leurs équipes à l'heure d'aligner la stratégie achats sur celle de l'entreprise, les petites structures ont encore du chemin à parcourir, commente Quentin Mirablon, coach en achats (The Buyer's Lab) : "En réalité, c'est un peu compliqué, parce qu'en dehors des grands groupes, on ne connaît pas ou peu le rôle de la fonction achats en interne. Dans certains cas, il n'y a déjà pas de KPI sur les coûts, donc encore moins sur les risques fournisseurs, par exemple. La première étape passe donc par la communication interne."
"90% de notre job, c'est de la communication interne "
Réflexion partagée par Jérôme Sallier, qui y voit un avantage : "La fonction (achats) n'est pas toujours bien connue. L'un des bons côtés, c'est que ça peut laisser une certaine marge de manoeuvre pour mettre en place des solutions innovantes. La direction générale peut exiger des savings, mais ne sait pas toujours comment faire". Même sentiment pour Laurence Laroche de chez Rockwool : "90% de notre job, c'est de la communication interne".
Communication qui s'avère encore plus nécessaire lorsque métiers et achats ne sont pas sur la même longueur d'onde : "On peut parfois avoir une stratégie achats qui ne correspond pas à celle de notre client interne, qui veut un fournisseur qui n'est pas dans notre panel. En général, on arrive à trouver un accord, via négociation. C'est là où les plus grandes économies se font" , souligne Gérald Von Euw (Endel Engie).
Enfin, pour bien servir les enjeux stratégiques de l'entreprise, il apparaît nécessaire que la fonction soit représentée au sein des les plus hautes instances de l'entreprise. "Plus la direction des achats occupe une place importante dans l'organigramme, plus la prise de décision se trouve facilitée", remarque, depuis le public, Rémy Peltier, acheteur leader chez CNP Assurances. Ce qui n'est pas encore une généralité. En effet, selon l'édition 2019 de l'étude Agile Buyer-CNA sur les "Tendances et priorités des départements achats", seule un peu plus de la moitié des directeurs achats siège au Codir ou au Comex de leur entreprise.