Respect des droits humains : les acheteurs doivent muscler leur jeu
Publié par Geoffroy Framery le | Mis à jour le
Le respect des droits humains, un risque peu ou pas pris en compte malgré un contexte légal qui se durcit. La rédaction vous brosse les enjeux à venir.
Respect du droit social, des populations autochtones, lutte contre le travail des enfants, égalité homme/femme... Les droits humains sont pléthores, leurs contours poreux. Leur respect pourtant ne fait pas l'unanimité. Vigeo-Eiris, agence de notation extra-financière écrit en 2018 : "ce domaine reste un des thèmes de responsabilité sociale et un champ de risques parmi les moins pris en considération par les entreprises". Un constat qui ne change guère depuis lors. Mais la France, meilleur élève mondial sur le sujet, se détache par un contexte légal qui a fait depuis des petits en Europe. Rappelons que depuis mars 2017, la loi française oblige les grandes entreprises à identifier et prévenir les risques sociaux, environnementaux et de gouvernance liés à leurs opérations, celles de leurs filiales ainsi que de leurs partenaires commerciaux (sous-traitants et fournisseurs). Une manière finalement de rendre la mondialisation plus durable et souhaitable pour toutes les parties prenantes.
Un devoir de vigilance étendu dès 2023 qui change le paradigme du processus achats
La donne change. Et après des ersatz mis en vigueur ces dernières années aux Pays Bas, en Allemagne et en Norvège, ce devoir de vigilance se démocratise et s'élargit dans son périmètre d'action. « Le devoir de vigilance est une obligation critériée selon des seuils d'effectifs et de chiffres d'affaires. Aujourd'hui, 5 000 salariés en France contre 10 000 en Europe. Ces seuils vont être drastiquement abaissés », relate Guillaume Morelli, fondateur d'Anoti, plateforme de Due Dillenge et d'aide à la décision pour les acheteurs. Dit autrement, en 2023, la directive sur ce devoir de vigilance va concerner toutes les sociétés de plus de 500 salariés et de plus de 150 millions de CA, mais également des entreprises plus modestes, mais cotées. La directive européenne pallierait aussi les carences de la loi française en prévoyant notamment à l'image de la création de l'AFA pour Sapin II, une agence européenne dédiée à ce nouveau devoir. Cet approfondissement de la loi serait l'arbre qui cache la forêt. La commission européenne planche dès à présent sur la possibilité d'interdire aux frontières de Schengen les produits issus d'une production qui ne respecte pas les droits humains... et d'en donner la prérogative aux douanes.
Une évolution du cadre légal qui oblige à repenser la manière de cogiter des acheteurs
« Le principal changement à opérer est aujourd'hui celui de sensibiliser sur ces sujets. La loi Sapin 2 rentre doucement dans les habitudes et augure d'un changement d'état d'esprit. Le même travail est à mener chez les acheteurs sur le sujet de la due diligence. Certes, ils ne sont pas risk manager mais ils doivent prendre ces nouveaux risques en compte en étant notamment, formés et objectivés sur ces nouveaux critères. L'objectif est ainsi de passer d'une attitude passive à une meilleure compréhension du lien entre l'intérêt propre des entreprises et le respect des droits humains », explique Guillaume Morelli. In fine, les Achats vont devoir resserrer et accélérer leur collaboration avec les services juridiques et conformité. « Le travail de cartographie des risques doit se réaliser de concert, main dans la main et doivent impliquer les achats le plus en amont possible », détaille le fondateur d'Anoti.
Le terrain, un impératif à ne pas négliger
« Le développement du travail à distance a augmenté les pratiques occultes. C'est un des revers de la médaille qui est très peu évoqué. In fine, c'est toute une partie de la chaîne d'approvisionnement qui se rencontre moins voire qui ne se rencontre plus. Il importe de ne pas se baser que sur du déclaratif. Il faut enquêter sur la mise en oeuvre des contrats et rectifier le tir si besoin », précise Myriam de Gauddusson, associé au cabinet Franklin, cabinet spécialisé dans le droit des affaires. L'observation sur le terrain demeure essentielle surtout lorsqu'un plan d'actions correctives a été décidé pour faire progresser le fournisseur sur le sujet. Autre sujet à surveiller comme le lait sur le feu, celui de la responsabilité fournisseur à l'international. Me de Gauddusson précise : « Dans ce contexte, il faut être particulièrement vigilant sur la délégation. Délégation hiérarchique, géographique et fonctionnelle peuvent s'entrechoquer. Les relations fournisseurs peuvent alors comporter des zones grises sur l'exécution du contrat en termes de responsabilité pénale. » En bref, une chaîne de délégation claire qui conjugue responsabilité hiérarchique, fonctionnelle et géographique est un des piliers centraux de votre relation fournisseur.
Creuser le multi-sourcing et les décisions de justice
Du point de vue opérationnel se pose inéluctablement la question de la traçabilité. « Sur le coton blanchi au Bangladesh, il est presque impossible de tracer les origines de ce dernier après transformation, illustre Guillaume Anoti. Pour rentrer dans une démarche réussie de Due Diligence, il importe de considérer la chaîne d'approvisionnement dans la globalité de sa chaîne de valeurs. La démarche est complexe et chronophage. » Effectivement, opérer une nomenclature produit de toute la chaîne d'approvisionnement et d'en identifier le multisourcing relève de la gageure. Le meilleur raccourci semble être à l'heure du SaaS et des solutions automatisées de collecte l'information et d'arbitrer son sourcing en fonction des recherches effectuées en termes d'intelligence économique. C'est d'ailleurs l'une des promesses d'Anoti qui recense décisions de justices, analyses fournisseurs et informations sur la e-reputation pour aider les acheteurs à moins s'exposer au risque.