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L'acheteur, architecte de l'économie circulaire ?

Publié par Denica Tacheva le | Mis à jour le

Nourrir une vision ambitieuse et agir en entrepreneur, telle est la vision d'Hervé Legenvre, Directeur des études à l'EIPM, qui nous éclaire sur les nouveaux défis que soulèvent les pratiques durables dans les achats.

Qu'entendons-nous par circularité ?

Hervé Legenvre : Aujourd'hui, la situation économique mondiale est préoccupante. Chaque année, un cinquième des ressources extraites finit à la poubelle. On jette trop vite les objets, après seulement cinq ans d'utilisation en moyenne. La circularité vise à garder ces ressources le plus longtemps possible dans l'économie. Cela repose sur trois axes : réduire, ralentir et fermer les flux de ressources. Réduire signifie consommer moins (par exemple, utiliser une fontaine à eau au lieu de bouteilles). Ralentir concerne la réutilisation ou la réparation, et enfin, recycler est la dernière option, mais moins efficace que les deux premières.

Quels sont les défis à relever pour intégrer ces nouveaux modèles dans les services achats ?

H.L. : La réduction des ressources est bien connue des entreprises, souvent liée à une nouvelle conception des produits ou à la recherche d'alternatives. Pour ralentir ou fermer les flux de ressources, il faut comprendre l'architecture future de l'industrie. Prenons l'exemple de l'industrie automobile : les fabricants de batteries deviennent des acteurs centraux de cette nouvelle économie circulaire. D'autres industries, comme celle des petits équipements, fonctionneront avec une architecture plus distribuée. Les acheteurs doivent développer des compétences en anticipation, en gestion des parties prenantes et surtout en curiosité pour bien appréhender ces évolutions.

Comment concilier la performance économique traditionnelle des achats avec ces nouveaux modèles circulaires ?

H.L. : Il ne faut pas partir du principe que la circularité coûte forcément plus cher. En repensant les marchés sous l'angle environnemental, on peut même trouver des opportunités de réduction de coûts. Une de mes étudiantes a proposé de recalibrer des instruments de mesure au lieu de les acheter neufs, économisant ainsi 85 % du budget. Il faut revenir à une analyse du coût total (TCO), en intégrant les coûts complets sur l'ensemble du cycle de vie des produits. Cela a permis, dans le secteur des imprimantes, de relocaliser en Europe la production de cartouches, avec un processus de remanufacturing économiquement et écologiquement rentable.

Comment impliquer concrètement les fournisseurs dans cette démarche de circularité ?

H.L. : Une entreprise de l'agroalimentaire, par exemple, a systématiquement demandé à ses fournisseurs des alternatives pour tous ses packagings, plutôt que de traiter chaque projet isolément. Cela a changé leur façon d'aborder le marché. Dans le secteur du bâtiment, certains groupes travaillent avec plusieurs fournisseurs pour organiser la revalorisation des matériaux lors de la rénovation des bâtiments, ces projes nécessitent une approche collaborative et systémique.

Quelles sont les erreurs à éviter et les bonnes pratiques à adopter pour généraliser ces modèles dans les services achats ?

H.L. : Pour généraliser les modèles d'achat durable,il est essentiel de former rapidement les équipes afin qu'elles puissent intégrer les principes de circularité dans leurs processus d'achat. Il faut passer à l'action rapidement, sans se limiter à de petits projets pilotes. Ces derniers ne permettent pas vraiment de développer les compétences nécessaires pour des initiatives plus ambitieuses et à fort impact.

Viser des projets plus larges et d'adopter une véritable approche entrepreneuriale reste primordiale. Il est important de ne pas perdre trop de temps sur des tests à petite échelle. Il est crucial de créer une communauté d'acheteurs où chacun peut s'enrichir des expériences des autres, qu'il s'agisse d'acquisitions de services ou d'équipements.

La démarche doit être très pratique et concrète. Il faut aller rapidement sur le terrain, tester avec les fournisseurs et les parties prenantes pour faire évoluer les pratiques, plutôt que de se perdre dans des réflexions trop théoriques.

Que doivent retenir les acheteurs ?

H.L. : Les acheteurs ont aujourd'hui l'opportunité de devenir les architectes de cette transformation vers l'économie circulaire. Ils ont une vue unique sur les marchés et peuvent combiner les compétences de multiples fournisseurs pour impulser des changements. Il ne faut pas attendre que d'autres prennent l'initiative : c'est une chance à saisir.