Le secteur de la santé professionnalise ses achats à grand train
Publié par Luc Périn le | Mis à jour le
Après avoir professionnalisé et mutualisé leurs achats, les hôpitaux publics relèvent aujourd'hui de nombreux défis : mise en place d'un système d'information achat, achats responsables, sécurisation des approvisionnements...
Fin 2011, la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) du Ministère de la santé et de la prévention lançait son programme PHARE. Avec Performance Hospitalière pour des Achats REsponsables, elle voulait aider les hôpitaux à faire des économies tout en préservant la qualité des soins. En 2016, la loi de santé a ensuite créé les groupements hospitaliers de territoire (GHT) pour favoriser la coopération entre établissements publics de santé, autour d'un projet médical partagé, à l'échelle d'un territoire. Là encore, l'objectif était de soigner mieux à moindre coût. Le 1er janvier 2018, cette nouvelle organisation s'est notamment traduite par la mise en place d'une fonction achat au niveau des GHT.
Arrivée d'un système d'informations achats
Avec cette mutualisation des achats, les hôpitaux publics ont rapidement ressenti le besoin d'un système d'information achat commun. C'est pourquoi, toujours dans le cadre de son programme PHARE, la DGOS a lancé le projet SEMAPHORE (SystEMe d'information Achats pour des HOpitaux aux achats REsponsables). « Cet outil, très attendu, va permettre de franchir un nouveau palier de coopération et de maturité », explique François Collineau, associé chez CKS, le cabinet de conseil qui en assure l'intégration technique. Il comprend quatre premiers modules : le pilotage des plans d'actions d'achats de territoire, pour élaborer et suivre la feuille de route annuelle d'amélioration de la performance ; la planification des achats, pour programmer et préparer les consultations ; la gestion du cycle de vie, pour assurer l'unicité et la diffusion des données de marché ; et, enfin, le pilotage des indicateurs achats, pour faciliter l'analyse de l'atteinte des objectifs. D'autres modules liés au sourcing, à la gestion des fournisseurs et à la gestion des approvisionnements sont prévus. « Chaque région devait choisir son système d'information achat, poursuit François Collineau. 12 régions ont choisi la solution proposée par l'éditeur Ivalua. » Le pilote national du projet, le GHT Hainaut Cambrésis, a commencé à utiliser cet outil en mars 2023 (voir encadré). Il est maintenant suivi par des GHT pilotes au niveau régional.
L'autre nouveau défi ? Elaborer et mettre en oeuvre de véritables politiques d'achats responsables. L'enjeu est de taille car la santé représente près de 8 % de l'empreinte carbone de la France, d'après The Shift Project. « Les achats responsables sont enfin devenus un axe stratégique qui s'impose dans le monde de la santé et en particulier des hôpitaux publics, se réjouit Vincent Dagnas, consultant achats et formateur, notamment chez ACP Formation. D'une manière générale, le secteur était en retard sur la question des impacts environnementaux et sociaux des achats, par rapport aux collectivités territoriales de taille importante comme les régions, les conseils départementaux et certaines métropoles. » Les grandes centrales d'achat hospitalières et les directions achats des hôpitaux publics mettent donc les bouchées doubles pour rattraper ce retard. « Pour certains dispositifs médicaux, nous avons choisi des fournisseurs européens dont l'empreinte carbone est moins forte, témoigne Walid Ben Brahim, directeur général d'UniHA, l'une des trois grandes centrales d'achat nationales du secteur, avec le Resah et l'Ugap. Nous mettons des critères environnementaux dans les critères d'attribution de nos marchés publics. » Au niveau de son territoire, le GHT Rouen Coeur de Seine a quant à lui intégré un volet achats responsables à sa politique achat. Avec le CHU de Rouen-Normandie, signataire, il s'engage maintenant dans le respect de la Charte relations fournisseurs et achats responsables pilotée par le Médiateur des entreprises et le Conseil national des achats.
Vers des achats complexes
Dans son programme PHARE, la Direction générale de l'offre de soins pousse un autre sujet d'avenir : les achats complexes. « Il s'agit de promouvoir davantage le raisonnement en coût global, en prenant en compte les effets externes des achats, explique François Collineau. On mesurera par exemple leur impact en termes de réduction de la durée de séjour à l'hôpital ou de réduction des risques d'infections post-opératoires. Sur certains segments, il s'agit de passer d'un achat de fourniture à l'achat d'un service complet intégrant les bonnes pratiques d'usage. » Plusieurs hôpitaux sont aujourd'hui pilotes dans ces achats complexes. Auparavant, le CHU de Rouen-Normandie est l'un des premiers à les avoir expérimentés. Il a ainsi acheté une solution globale comprenant la fourniture d'une salle d'imagerie cardiaque, la fourniture de dispositifs implantables mais aussi un accompagnement, du conseil, pour l'optimisation du plateau technique et le développement de l'activité d'hospitalisation, avec des objectifs de performance mesurables. Un contrat qui prévoyait un partage de risques et de bénéfices entre le CHU et l'industriel.
S'ils innovent, les acheteurs publics hospitaliers sont toujours mobilisés sur un sujet devenu récurrent : la sécurisation des approvisionnements en médicaments et en dispositifs médicaux. « Les hôpitaux sont confrontés à des enjeux conjoncturels d'inflation massive et de pénuries, comme leurs homologues des collectivités territoriales et de la fonction publique d'Etat, souligne Vincent Dagnas. Plus de trois ans après le début de la pandémie, les équipes achats sont encore régulièrement sollicitées pour sécuriser les approvisionnements, pour donner un coup de main aux approvisionneurs afin d'obtenir les livraisons de la part des fournisseurs. » Mais les difficultés d'approvisionnement ne sont pas nouvelles. « Elles ont commencé bien avant la pandémie, ajoute Walid Ben Brahim. Le nombre de produits concernés est cependant plus important aujourd'hui. » D'où les récentes annonces d'Emmanuel Macron, le 13 juin 2023, à l'occasion de sa visite de l'usine du laboratoire Aguettant à Champagne, en Ardèche. Le président de la République y a annoncé la relocalisation ou l'augmentation significative de la production en France de 50 médicaments essentiels, dont 25 d'ici cinq ans. Car 80 % des principes actifs sont aujourd'hui produits en Chine ou en Inde... Le même jour, François Braun, ministre de la santé, dévoilait une liste de 450 médicaments essentiels pour lesquels les industriels devront avoir quatre mois de stocks.
Logistique d'étage
Dans ce contexte, les questions de logistique sont toujours d'une grande actualité. Le CHU de Rouen-Normandie vient d'ouvrir une nouvelle plate-forme pharmaco-logistique. Il travaille aussi sur la logistique d'étage. « L'objectif est de libérer les soignants des tâches logistiques, pour se recentrer sur le soin, leur coeur de métier, explique Ronan Talec, directeur des achats, de l'hôtellerie, de la logistique et de l'ingénierie biomédicale. Nous déployons actuellement des logisticiens de soin qui sont le prolongement de la supply chain dans le service de soin. »
Pour gérer toutes ces priorités, les directeurs achats en ont une autre : le recrutement des acheteurs. « Le recrutement est très difficile pour les postes d'achats, fait remarquer Vincent Dagnas. Une fois les acheteurs recrutés, il faut aussi les retenir, les faire grandir, les fidéliser. » Vous l'avez compris, les acheteurs sont très recherchés dans le secteur hospitalier.
Margaux Fauquet, directrice technique des achats du GHT Hainaut Cambrésis (Nord)
« Notre système d'information achat nous aide à piloter notre activité »
« Jusqu'ici nous étions sur la professionnalisation de la fonction achats. Aujourd'hui on attend plus de nous. Nous abordons notamment les achats innovants, pour travailler avec des start-up, par exemple sur la télésurveillance d'une spécialité. Dans le domaine logistique, le Centre hospitalier de Valenciennes, l'établissement support de notre GHT, a été certifié ISO 9001. Nous avons bénéficié du retour d'expérience de la pandémie de Covid-19, au cours de laquelle nos acheteurs ont démontré leur plus-value. La RSE, inscrite dans le projet de notre établissement, les poussent à aller au-delà d'un simple achat, à créer de la valeur. Pour gagner en efficience, nous entrons aussi dans une logique de coûts complets, en regardant le cycle de vie du produit. L'une de nos priorités actuelles est la mise en oeuvre de notre système d'information achat dans le cadre du projet SEMAPHORE de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS). Comme pilote national, nous avons coconstruit cet outil que nous utilisons depuis fin mars 2023. C'est un outil collaboratif qui nous apporte des données viables à un instant t et nous aide à piloter l'activité. »