Maîtrise des risques professionnels : osez investir
Publié par Charlotte Marchalant le | Mis à jour le
Légalement tenues de veiller sur la santé et la sécurité des employés, les entreprises sont, pourtant, souvent sous-équipées en solutions de maîtrise des risques professionnels. Raisons et solutions.
Risques techniques, technologiques, psychosociaux, biologiques... Les risques guettent le salarié en entreprise. S'ils varient selon le secteur d'activité, il n'en existe pas moins un "socle commun" de risques ordinaires partagé par l'ensemble des entreprises, d'autant plus dangereux qu'ils sont souvent "ignorés".
"Le fait de se mouvoir et d'être tout simplement en activité constitue une menace", souligne, Philippe Spach, responsable du pôle management et ressources humaines à l'École de management de La Défense (EMLV). Face à cette menace constante, ce spécialiste de la gestion des risques rappelle que le Code du travail oblige les entreprises à prendre des mesures, tant organisationnelles qu'informationnelles, concrètes. Objectif : supprimer purement et simplement les risques ou, dans la mesure où ces derniers sont inévitables, en protéger au maximum le salarié. Une distinction qui structure le marché des solutions de maîtrise du risque professionnel. Regroupant équipements de protection individuelle, solutions technologiques et humaines, ce dernier devrait représenter une des lignes achats les plus stratégiques des entreprises. Et pourtant.
"Un coût subi"
De la théorie à la pratique, il y a un fossé que les entreprises ont depuis longtemps creusé, parfois au péril de la vie de leurs salariés. "Nous sommes un coût subi", commente Frédéric Sabatier. L'aveu, étonnant, du directeur de Securitas Corporate, spécialiste de la sécurité en entreprise, est de fait en phase avec la tendance générale du marché. Seules 64 % des entreprises de sécurité ont affiché des bénéfices en 2014, selon les chiffres dévoilés dans l'Atlas 2015 - une étude reconduite chaque année depuis 1991 par l'expert de l'information stratégique En Toute Sécurité. Un résultat en chute de 9 % par rapport à 2013. Si les drones, dont le succès est attesté par une croissance "verticale" - dixit l'étude - dynamisent le marché, ils ne suffisent pas, pour autant, à le sauver de la morosité. Pour preuve, en ayant fait gonfler leur chiffre d'affaires de 3,2 % entre 2013 et 2014, les acteurs de la sûreté/sécurité constituent la "famille" la plus performante du secteur. Les deux autres familles recensées par l'étude - la protection de l'homme au travail et la sécurité incendie - signent de moins bonnes performance en ayant, sur la même période, fait croître leur chiffre d'affaires de respectivement 1,7 % et... 0 %. Autant de chiffres dans lesquels il est difficile de ne pas lire un certain désintérêt de la part des entreprises. Jusqu'à nouvel ordre. Les solutions de maîtrise des risques représentent, en effet, une famille d'achats "émotionnels", explique Philippe Spach (EMLV). Comprendre : une source de dépenses jugées inutiles jusqu'à ce qu'un événement, traumatisant, apporte la preuve du contraire.
Frédéric Sabatier, qui a pris de plein fouet ce qu'il appelle " l'effet post-Charlie " - pour Charlie Hebdo -, se souvient de demandes irrationnelles de la part des entreprises au lendemain des attentats qui ont secoué le pays en début d'année. Exemple : " Pouvez-vous mettre 20 agents de sécurité devant une porte ? " Une réaction violente à une pénurie sécuritaire qui pointe du doigt les limites du cost-cutting.
Faillite morale
"Il en va des achats de maîtrise des risques comme de la mutuelle, avance le directeur de Securitas Corporate. Tant que tout va bien, on ne voit aucune justification pour payer tous les mois." Sauf qu'à rechigner à la dépense en ce qui concerne la maîtrise des risques, on risque d'en payer le prix... " L'entreprise, en général, est toujours tenue pour responsable", confirme le président de l'Association française des travel managers (AFTM), Michel Dieleman [lire l'interview en page suivante]. Spécialiste des questions de sécurité des employés en déplacement, il rappelle que le montant éventuel d'économies réalisées par l'entreprise au détriment de mesures sécuritaires auxquelles elle est tenue doit être pesé contre le coût, global, de sa faillite morale. "L'entreprise peut être passible de recours juridiques qui pénalisent dramatiquement son image. "
Contre le bad buzz, Frédéric Sabatier préconise un rapprochement entre services achats et directions sécuritaires, pour un pilotage de la sécurité stratégique, pensé sur du long terme et au global.
Inutile, cependant, de basculer dans l'attitude inverse - dépenser sans compter ou, pire encore, sans réfléchir. Un principe qu'Éric Davoine, le président de l'association des professionnels de la sécurité Asis France, illustre, non sans ironie, d'une anecdote.
"Il m'a été demandé, un jour, d'installer des sas de détection d'armes à l'entrée de l'ensemble des sites d'une entreprise. Je n'ai rien contre, c'est une grosse commande qui fera du bien à l'industrie, mais une fois que je détecte que quelqu'un a une arme, que puis-je faire ?"
"Rien ne sert de dépenser des fortunes s'il n'y a pas de travail derrière"
Dialogue et innovation
Pour élaborer la bonne solution, celle adaptée à la problématique spécifique de l'entreprise, une seule voie : le travail en binôme donneur d'ordre-fournisseur. Et ce, quelle que soit la taille du fournisseur. 3M, le géant américain très présent sur le marché des protections individuelles (masques, protections auditives, respiratoires, des yeux et de la tête, du corps et, enfin, antichute), fait de ce travail de proximité une clé de son succès. "Nous travaillons beaucoup en amont sur l'éducation, la formation et l'information auprès de l'ensemble des décideurs et des prescripteurs de la chaîne de valeur", indique Frédérique Engel, responsable marketing de la division sécurité de la personne de 3M France. Un travail de sensibilisation qui porte ses fruits. Au coeur de la stratégie du groupe, l'innovation joue aussi un rôle dans l'amélioration de la sécurité des employés en favorisant, notamment, l'acceptation des équipements. Côté acheteurs, évidemment, mais aussi - chose non moins importante - côté utilisateurs. "Nos gammes de lunettes sont, par exemple, renouvelées très régulièrement pour intégrer de nouveaux designs. Les générations Y et Z, en particulier, y attachent une réelle importance", explique Frédérique Engel.
Un fait loin d'être anodin, comme le montre l'exemple édifiant rapporté par Philippe Spach, d'un site industriel où l'achat de chaussures de protection, guidé essentiellement par un principe d'optimisation des coûts, a conduit à plusieurs accidents de salariés qu'il aurait été facile d'éviter. La cause ? " Peu appréciées des salariés, elles n'étaient tout simplement pas portées."
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