Les défis de la filière énergie
Publié par Magdalena Saczawa le | Mis à jour le
Décision Achats était partenaire média du congrès Gazelec consacré à la stratégie d'achats d'énergie. L'occasion de revenir sur les enjeux de la filière avec les éclairages de quatre experts, Ebarhard Rohm Malcotti, directeur des affaires publiques européennes d'énergie chez AXPO, Marc- Antoine Eyl- Mazzega, directeur du centre énergie et climat à l'IFRI, Fabien Roques, executive vice president and head of energy practice chez Compass Lexecon et Grégoire Fourcade, directeur général adjoint développement et prospective chez Sipperec qui nous ont décryptés les actualités réglementaires énergétiques européennes et les enjeux actuels de cette industrie.
La politique énergétique européenne est actuellement à un carrefour, confrontée à des défis majeurs et des opportunités cruciales. La réunion informelle des ministres de l'énergie des 11 et 12 juillet 2023, devait ainsi aborder le développement des interconnexions électriques et encourager l'adoption de la sixième liste de projets d'intérêt commun dans le domaine de l'énergie. Celle-ci a mis en lumière l'urgence d'une approche collaborative face aux nouveaux défis politiques, économiques et environnementaux. Marc-Antoine Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie et climat à l'IFRI (Institut Français des Relations Internationales) souligne le changement de configuration : "Nous n'avons jamais autant remis la politique énergétique au coeur de l'équation européenne. Il est facile de fixer des objectifs de décarbonation très ambitieux quand les prix sont bas, quand la facture des hydrocarbures est basse, quand il n'y a pas de problème de sécurité des approvisionnements." Aujourd'hui, avec l'augmentation des coûts énergétiques et des préoccupations croissantes pour la sécurité des approvisionnements, l'équilibre entre compétitivité, décarbonation, acceptabilité sociale et maîtrise des coûts devient un véritable défi.
La complexité de la sécurisation : au-delà de la question du stockage
Au-delà de la question du stockage persiste la question de la scalabilité des projets et de l'intervention de l'État. Dans un paysage énergétique de plus en plus intermittent et interconnecté, la question de la prévisibilité et de la stabilité devient cruciale. La scalabilité des énergies renouvelables et de nouvelles technologies comme l'hydrogène et le nouveau nucléaire est entravée par des doubles contraintes, technologiques d'une part et de capacité d'autre part. La pression accrue due à l'inflation ajoute une couche d'urgence supplémentaire, poussant les États à accélérer leurs politiques énergétiques, mais avec des marges de manoeuvre limitées. Marc-Antoine Eyl-Mazzega indique : " La scalabilité de l'éolien, du photovoltaïque, de l'hydrogène, du nucléaire, etc. est le grand défi auquel nous sommes confrontés. Les gouvernements ont compris qu'ils sont une partie du problème. Cela est une bonne nouvelle pour faciliter l'obtention de permis et fluidifier les procédures administratives."
La question du gaz : entre souveraineté et recherche et développement
Les alternatives énergétiques, notamment les énergies renouvelables et le nucléaire peuvent permettre à la France de trouver une marge de compétitivité. Historiquement dépendante du gaz russe, l'Europe se tourne désormais vers d'autres zones géographiques, dont les États-Unis. Cependant, cette transition n'est pas sans risque, car les Américains sont devenus d'importants concurrents. L'énergie, qui était autrefois un enjeu économique, est devenue un enjeu géopolitique majeur. La nécessité de produire en Europe, afin de garantir une indépendance énergétique. Cette quête d'autosuffisance doit être guidée par une coopération internationale intelligente, favorisant le partage des ressources et des connaissances. La compétition pour la production primaire et les technologies avancées s'intensifie, obligeant l'Europe à repenser sa position et à investir massivement dans la recherche et le développement.
Fabien Roques, executive vice president and head of energy practice chez Compass Lexecon, souligne cependant un aspect positif des interrogations autour des énergies en France : "En janvier 2023 nous nous demandions si nous allions réussir à remplir les stockages de gaz. Le discours national était que l'hiver 2023-2024 serait pire que l'hiver 2022-2023. Nous ne sommes toujours pas dans une situation sereine, cependant le risque de black-out sur lequel nous avons sensibilisé l'an dernier s'est réduit. Le risque existe toujours, celui-ci reste cependant nettement plus faible que l'an dernier."
Défis énergétiques : vers une vision stratégique européenne
Marc-Antoine Eyl-Mazzega explore la piste des ressources gazières locales l'importance de ne pas fermer les gisements existants. Les leçons tirées des récentes crises ont montré l'importance de maintenir des options ouvertes pour faire face à l'imprévu. "Il faut que l'on mette en place un agenda de sécurité économique. Des normes "Made in Europe" doivent être mises en place sur les équipements éoliens afin d'encourager les investisseurs à s'engager dans des projets énergétiques durables. L'État doit garantir des connexions électriques efficaces et, surtout, s'attaquer à la question de la fiscalité des entreprises." indique Marc-Antoine Eyl-Mazzega.
De nombreux changements sont en cours sur le continent européen comme le souligne Eberhard Rohm-Malcotti, Directeur des affaires publiques européennes d'énergie chez AXPO : " En 2019, le parti pris pour l'Europe selon la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, était de devenir le premier continent neutre à niveau climatique". Il s'agissait de sa promesse électorale. Dans cette optique, la présidente de la Commission européenne a proposé une cinquantaine de mesures toutes faisant partie du Green Deal. Une vingtaine de mesures du package "Fit for 55" affecte le secteur énergétique. Ces objectifs montrent une envie de lutter contre le réchauffement climatique et le désir d'introduire la durabilité dans l'industrie. Cependant ces objectifs ne sont pas toujours alignés avec la réalité des gouvernements comme le souligne Eberhard Rohm-Malcotti : "Deux questions fondamentales se posent : est-ce que ce système fonctionne ? Quelles répercussions auront les prochains rendez-vous électoraux ? Nous aurons des élections européennes en juin de l'année prochaine, où certains affirment que la majorité au Parlement va changer, que nous allons passer d'une majorité centre gauche à une majorité centre droite avec des conséquences sur la potentielle direction politique que va prendre la Commission européenne. En dehors de l'Europe, les élections aux États-Unis de 2024 peuvent avoir un impact. Malgré une feuille de route tournée vers la durabilité depuis 2019, nous pouvons nous attendre à un potentiel revirement politique dans les 12 prochains mois."
La diversification des ressources et les nouvelles mesures : un espoir pour de développement européen
Face à la concurrence des régions où la production d'électricité est moins chère, l'Europe est tenu de trouver des solutions compétitives. " Si vous regardez les coûts de la production solaire au Moyen Orient, on est entre 15 et 20 € du MWh. En Espagne, la fourchette se situe entre 20 et 30 €. En France les prix se situent plutôt aux alentours de 140 €. La production domestique n'est donc pas la seule solution. Il va falloir réfléchir à des filières d'import", exprime Fabien Roques.
La diversification des ressources énergétiques est cruciale, cependant de nombreux pays européens souffrent d'un déficit d'infrastructures, cela affecte leur capacité à acheminer efficacement l'énergie renouvelable. Par exemple, l'Allemagne se tourne massivement vers l'importation d'hydrogène en raison de problèmes liés à son réseau électrique. En revanche, la France jouit d'un avantage concurrentiel grâce à ses réseaux électriques bien dimensionnés, ce qui la place en bonne position pour gérer les fluctuations d'énergie.
Une question centrale demeure : "qui devrait supporter les coûts, comme l'indique Fabien Roques, Pendant longtemps, nous nous sommes menti en disant que la transition énergétique se ferait à coût constant, voire que les coûts allaient baisser. Cependant cette transition énergétique participe à l'inflation. L'enjeu énergétique est de maintenir l'industrie en France et en Europe. Des décisions politiques fortes sont attendues pour ce faire."