"Il est possible d'acheter bien, tout en respectant les agriculteurs !"
Publié par Aude Guesnon le | Mis à jour le
Michel Biero, directeur exécutif des achats de Lidl France, est un acheteur engagé qui défend la cause des agriculteurs français pour lesquels il veut imposer les négociations tripartites dans l'Hexagone. Rencontre avec un grand pragmatique qui a fait monter en gamme les produits de Lidl.
On vous a beaucoup vu dans les médias, récemment... Avez-vous décidé de briser le silence habituel des acheteurs de la grande distribution ?
Nous aurons toujours des secrets, car nous sommes dans un monde très concurrencé et il est impossible de tout dire, mais il faut un minimum de transparence. Moi, je défends une cause, celle du monde agricole, probablement parce que je suis alsacien, issu d'une famille de "choucroutiers". J'ai peut-être une sensibilité un peu différente. Je ne suis pas philanthrope pour autant, une entreprise doit générer des profits, mais il est possible de concilier les deux : acheter bien et faire profiter aux consommateurs de bons produits à de bons prix, tout en aidant le monde agricole qui, finalement, ne demande que des centimes ! Sur le lait, par exemple, on ne parle que de 2 centimes... Je ne comprends pas certains distributeurs qui veulent le "prix à tout prix". Si, demain, nous faisons mourir nos agriculteurs, alors que les Français demandent des produits français, ils seront déçus. Aujourd'hui, nous avons passé un cap : le consommateur français veut manger français.
Les consommateurs sont-ils prêts pour autant à payer plus cher ? C'est le corollaire...
Non. Ils ne sont pas prêts à payer plus cher et ce n'est pas une obligation. J'ai 80 % de volaille française, et 20 % de volaille danoise que je paie, à l'achat, plus cher que la française. J'aimerais proposer 100 % de volaille française mais la production n'est pas suffisante. Nous travaillons à changer cet état de fait.
Les négociations commerciales sont un sujet qui vous fait sortir de vos gonds. Quelles évolutions proposez-vous ?
Nous ne sommes que peu contraints par la LME [Loi de modernisation de l'économie, NDLR] car Lidl, c'est 88 % de MDD [marque de distributeur, NDLR] contre 12 % de marques nationales. La LME ne concerne donc que 12 % de notre assortiment. Une MDD suit un calendrier agricole : nous négocions le lait quand les industriels nous demandent de le faire ; le blé se récolte l'été, c'est à ce moment-là que nous le négocions ; les vendanges se font en septembre, nous négocions après. Nos négociations suivent les saisonnalités des produits et la variation des prix des matières premières. Lorsqu'en novembre, le monde de la volaille nous dit que le prix de l'alimentation a augmenté, que c'est la catastrophe pour les éleveurs, et qu'il faut payer plus cher, nous payons plus cher... quand d'autres les renvoient à la date butoir du 1er mars, sans prendre en compte leurs besoins. C'est ce que j'ai expliqué récemment à notre président, Emmanuel Macron, lors d'une table ronde. Entre 75 et 80 % de l'alimentaire vendu en GMS (sauf pour nous) concerne des marques nationales qui sont régies par deux lois. La LME de 2008 impose aux distributeurs un socle de négociations qui est le tarif de l'industriel - lequel n'a, à aucun moment, à la justifier. Il faut ensuite négocier la descente tarifaire à coups de services. Mais à quel moment parle-t-on du produit ? D'où la création de centrales internationales de négociation de services dans la grande distribution. Nous sommes le seul pays du monde à fonctionner ainsi.
La LME impose la date du 1er mars à minuit... pour quelle raison ? Il n'y a pas de logique avec le monde agricole. On ne suit alors aucun calendrier, à part celui, peut-être, de Salon de l'Agriculture... Ensuite, il y a la loi Egalim de 2019, qui est en opposition avec la LME. La loi dit : prenez en compte le prix de production de l'éleveur. Or, on ne peut pas le faire, si on considère la LME. Je l'ai dit à Emmanuel Macron : les deux lois sont antinomiques et ne peuvent coexister. Il faut très rapidement dépoussiérer la LME ou bien faire une Egalim 2. Ma proposition : LME ne pose pas de souci sur les produits qui ne contiennent pas de denrées agricoles mais il faut qu'on y intègre un secteur privilégié pour tout ce qui contient un produit agricole. Et sur ce secteur privilégié, on fait un test sur deux ou trois ans : on part du prix de production et on construit un prix avec l'éleveur/l'agriculteur et l'industriel. Je me doute que les industriels vont s'y opposer, comme certains distributeurs auxquels la LME convient. Enfin, on pourrait inscrire, dans Egalim, l'obligation de tripartites.
C'est la négociation tripartite dont vous avez fait votre cheval de bataille...
Absolument. C'est un contrat de confiance et de transparence conclu entre le distributeur, l'industriel et le producteur. La transparence est la clé. J'ai récemment été en contact avec un industriel qui se disait prêt à s'engager dans cette relation avec nous, mais quand j'ai demandé à rencontrer, seul, les producteurs, il a refusé. Il y a un manque de transparence. Beaucoup affirment réaliser des négociations tripartites depuis 25 ans, c'est vrai, mais pas comme je l'entends et comme nous les pratiquons depuis 2015. Une tripartite, c'est s'engager sur 100 % de l'équilibre. On prend tout le produit et on paie le même prix pour tout. Sur une vache - prenons l'Aquitaine, par exemple -, certains ne prennent que 30 %, les pièces qui les intéressent, et paient le reste à bas prix à l'éleveur. Pour le lait, c'est pareil, on doit parler du prix de base ; on ne parle pas d'un prix sans parler de volume. Tout le monde essaie de noyer le poisson et de faire bonne figure. Sans transparence, aucune loi ne fonctionnera.