Comment les producteurs de rhum composent-ils avec leur insularité ?
Publié par Fabien Humbert le | Mis à jour le
À part la matière première, les rhumiers des DOM sont obligés d'importer (de fort loin), tout ce qui leur sert à produire et à vendre leurs rhums.
Le travail d'un responsable des achats dans une entreprise qui fabrique et commercialise des produits finis peut être un véritable casse-tête : trouver les matières premières, négocier les prix, jongler avec les fournisseurs dans différents pays, avec différents fuseaux horaires, mettre en place la chaîne logistique pour acheminer les produits jusqu'à leurs marchés de destination... C'est compliqué, mais, la plupart du temps, faisable lorsque l'entreprise peut trouver la plupart des produits, des savoir-faire, des fournisseurs dans un environnement raisonnablement proche. Mais que se passe-t-il quand le seul élément dont l'entreprise dispose à proximité est la matière première et qu'elle doit tout importer, oui, tout le reste, avec des distances qui se comptent en milliers de kilomètres ? C'est la problématique que doivent résoudre tous les jours les producteurs de rhum des départements d'outre-mer, en particulier ceux qui sont situés sur des îles !
Le rhum cartonne actuellement (voir notre encadré en page 2 de cet article), et les ventes explosent sur le marché local, mais surtout sur leur marché principal, la métropole, qui se situe à des milliers de kilomètres du lieu de production. Plus 6 700 km pour la Martinique, un peu moins pour la Guadeloupe et 9 200 km pour La Réunion (à vol d'oiseau)... Fort heureusement, les matières premières se trouvent sur place.
Dans le cas de la Guadeloupe, cela pourra être de la mélasse ou du jus de canne à sucre, et pour La Réunion, à 95% de la mélasse. L'eau est aussi à disposition des producteurs de rhums, même si les deux îles ont récemment connu de graves épisodes de sécheresse. Mais, à part cela, tout doit être importé. Des machines-outils qui servent à traiter et récolter la canne à sucre, aux cuves de stockage en passant par les colonnes de distillation ou les alambics... tout ce qui est conçu par une industrie lourde doit être importé, car ni La Réunion, ni la Martinique, ni la Guyane, ni la Guadeloupe n'en disposent sur leur sol. Et ce n'est pas tout. "Nous manquons aussi de bons techniciens, capables de faire de la maintenance ou de la réparation, aussi, lorsque nous en avons un sous la main nous faisons tout pour le garder, explique Nicolas Legendre qui représente la marque Damoiseau en métropole. Et quand il faut changer une machine, il y a un rapport de un à trois par rapport à la métropole en termes de délais." Si les deux îles produisent de l'énergie grâce à l'éolien, au solaire, et parfois grâce à la bonification des déchets de l'industrie du rhum (bagasse, vinasses...), les cuves en inox où le rhum se repose après sa distillation ont, elles aussi, été importées, de même que les tonneaux de vieillissement qui accueillent pendant plusieurs années les rhums âgés.
Le choix de l'embouteillage local
Lorsque le producteur prend le parti d'embouteiller lui-même ses produits, il doit aussi importer la chaîne de montage et les bouteilles qui arrivent vides par conteneurs depuis l'Europe, où il ne reste plus que quelques verriers. "Chez Damoiseau, nous avons choisi de commercialiser un rhum qui a été intégralement élaboré dans l'aire de production, argumente Nicolas Legendre. Malheureusement, cela a un coût économique, car, ensuite, les bouteilles retournent pleines, en métropole. D'autres préfèrent envoyer leur rhum en vrac, mais cela revient au même, car les cuves aussi arrivent vides en Guadeloupe."
Mais ce n'est pas tout, car, faute de trouver des fournisseurs sur place, Damoiseau doit aussi importer les bouchons (à vis, en plastique, en liège), les surcapsules en plastique ou en étain, et même les étiquettes ! "Concernant les étiquettes, nous ne pouvons pas faire de stocks trop importants, car ce sont des produits qui se conservent mal sous les tropiques (fortes chaleurs et humidité) et les rouleaux finissent par s'altérer au bout de plusieurs années", prévient Nicolas Legendre. Et une fois les bouteilles dument remplies, étiquetées, bouchées rassemblées dans des cartons (le seul élément avec le rhum qui est produit sur place), elles sont envoyées en métropole via la ligne Pointe-à-Pitre/Le Havre, puis elles sont convoyées à Valenton, dans le Val-de-Marne. De cet entrepôt, les volumes sont redispatchés en France et à l'international, y compris les États-Unis, alors qu'ils sont assez proches de la Guadeloupe. Car, d'une part, il n'y a pas de liaison maritime régulière avec les États-Unis et, d'autre part, il n'y a souvent pas la volumétrie suffisante pour remplir un conteneur complet en Guadeloupe. Malgré ces obstacles, la marque guadeloupéenne continue d'embouteiller ses rhums sur place : les clients donnent une prime aux produits élaborés à 100 % dans l'aire de production, et cela lui permet aussi de mieux maîtriser sa production.
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