" Favoriser l'influence sociale et contribuer au tissu économique local des territoires via nos achats responsables" Laurence Laroche, Directrice Achats Le Groupe La Poste
Publié par Geoffroy Framery le - mis à jour à
Comment harmoniser les achats entre filiales du groupe, comment aligner la stratégie globale, les priorités métiers et les décliner en plan d'action achats. Surtout comment rendre la profession attractive et en faire un fer de lance de la RSE et de l'innovation ? Trois "how" auquels répond Laurence Laroche, la directrice achats du groupe.
Quelle est la place des achats au sein de votre groupe ?
Le groupe la Poste représente aujourd'hui 250 000 personnes, quatre activités, plus précisément, la partie historique, celle du courrier colis, la branche grand public et numérique, l'activité de Geopost avec la distribution en France et à l'international de colis avec des marques telles que Chronopost ou DPD et la Banque postale. Sur les 35,4 milliards d'euros réalisés, les achats représentent 15 milliards pour un portefeuille de 150 000 fournisseurs. Les achats internationaux représentent 6 milliards d'euros.
Quelle est votre politique achats ?
Notre stratégie repose sur plusieurs piliers : proposer aux métiers une offre adaptée aux besoins, incarner un levier majeur de l'innovation et la capter, garantir la compliance, intégrer la RSE aux enjeux achats. En termes de stratégie, nous avons identifié sept priorités pour 2030. Le Groupe La Poste est entrepris à mission. En ce sens, plusieurs ambitions en découlent, démonter que nous sommes une entreprise du lien en fait partie. En outre, la priorité client, la présence, le numérique, le vert, l'ambition sociale, l'internationale, le pacte social et la culture managériale sont autant d'ambitions pour le groupe. Les achats répondent de façon concrète à l'ensemble de ces ambitions à l'exception de l'international.
Quelles sont vos priorités ?
Cinq priorités ont été identifiées. Bien évidemment, anticiper les pénuries ou bien trouver des alternatives et maîtriser l'inflation ; répondre aux enjeux de conformité réglementaire et de réputation, développer les achats responsables, mieux planifier nos dossiers pour allouer nos ressources et optimiser les synergies avec nos filiales. Mon périmètre représente 6 milliards d'euros et comprend l'activité courrier colis, et l'immobilier. Il importe donc que les filiales bénéficient d'une animation achats et de prix qui sont ceux des contrats-cadres du groupe.
Concrètement qu'avez-vous mis en place pour maîtriser l'inflation ?
Cela exige un suivi plus fin. Nous étions davantage dans une logique de commande « ferme » et mensuelle ». Aujourd'hui, catégorie par catégorie, nous pilotons de façon hebdomadaire nos besoins et sommes particulièrement attentifs du « comment » le fournisseur peut y répondre. Et pour contenir l'inflation, nous redemandons une décomposition des coûts, de façon transparente, qui nous permettent de les confronter avec des indices acceptables et « connus sur la place ». La cas par cas est la règle finalement. Mais plus généralement, nous jouissons d'une relation long terme et d'un volume d'achat qui permettent souvent d'activité certains leviers face à l'opportunisme de certains fournisseurs.
La fonction achats participe à un vaste sujet data de cotation de vos 15000 fournisseurs, pouvez-vous nous en préciser les tenants et aboutissants ?
Nous sommes en train de mettre en place un système de collecte d'informations entre différentes base données. L'objectif est de les agréger et d'en tirer de la business intelligence. Plusieurs types de données seront ainsi exploités. Elles concernent les achats responsables, la santé financière, les attestations réglementaires, la réputation des fournisseurs. Toute cette donnée va nous permettre d'obtenir une cotation fournisseur. La phase de POC a débuté en mars et nous déploierons la solution au niveau du groupe sur l'année 2024. Sur le choix de la solution, nous avons fait appel à un groupement de fournisseurs, la solution que nous souhaitions, n'existant pas pour l'instant sur le marché. L'un des objectifs de ce projet est d'avoir une information précise et à jour de nos fournisseurs pour ainsi être réactifs notamment sur les sujets d'anticorruption et de devoir de précaution.
Quid des achats responsables ?
Nous avons redéfini la politique il y a 2 ans avec la direction de l'engagement sociétal. Cette dernière repose sur quatre piliers : faire respecter les droits fondamentaux et les promouvoir sur chaque chaînon des chaînes d'approvisionnement, diminuer l'impact négatif de nos achats et ceux de nos fournisseurs et encourager les impacts positifs, favoriser l'influence sociale et contribuer au tissu économique local des territoires via nos achats responsables et enfin consolider les relations responsables et éthiques. Des objectifs pour répondre à ces piliers figurent dans la politique achats avec des objectifs fixés à 2023, 2025 et 2030 avec la même optique déclinée pour chaque projet. Sur les 4 piliers, s'applique la même logique : définition d'une politique de conformité, puis mise en place du plan d'action attenant et finalement mise en oeuvre d'un accompagnement pour l'effectuation de ces plans d'action Par exemple, en matière de droits fondamentaux, en 2023, au moins 95 % des achats priorisés doivent s'inscrire dans une démarche responsable. En 2025, nous devons avoir mis en place et piloté des plans de progrès social et les avoir contractualisés. Dit autrement, 95 % des fournisseurs doivent bénéficier d'un accompagnement social. Rappelons que nous avons signé la charte RFAR en 2020 avec une dizaine de nos filiales. Nous visons l'obtention du label cette année pour une très grande partie du noyau des achats.
Quels sont vos achats prioritaires et comment palliez-vous les risques ?
En volume, ce sont nos achats de transports qui ont le plus d'importance. Il existe structurellement un problème de sourcing dans le transport qui s'est accru avec le conflit en Ukraine. Mais cela ne nous empêche pas d'aider nos fournisseurs à transiter dans des activités moins polluantes. Aujourd'hui on essaie de faire passer nos fournisseurs pour des activités moins polluantes. Nous pouvons par exemple prendre en charge le surcoût qu'occasionne le passage vers le biogaz. Nos appels d'offres intègrent des enjeux de proximité avec nos plateformes, en particulier sur le sujet des bornes électriques. D'autant que nous possédons la première flotte électrique en France avec près de 29 000 véhicules.
Quelle est la « part » de RSE dans vos consultations ?
Dans nos consultations (marché qui respecte les directives européennes), 10 % de critères RSE y figurent. Il y a quelques années nous étions à 3 %. Il s'agissait d'un « nice to have ». Aujourd'hui, ce seuil peut déjà discriminer un fournisseur. Et selon la catégorie d'achat, ce pourcentage peut attendre 20 % à 25 %.
En quoi consiste l'animation achats au sein de vos filiales ?
L'idée est de faire bénéficier aux filiales, bien que relevant du droit privé, des prix négociés dans le contexte de nos accords cadres et de multiplier ainsi les synergies sur la partie achats. Cela profite aux filiales par exemple sur la partie téléphonie. Autre exemple, celui du FM et du nettoyage en particulier, nous achetons pour 100 millions d'euros. Dans cette optique de synergie, Docaposte bénéficie d'un discount de 15 % sans pour autant changer de fournisseur. Les opportunités et les synergies achats sont nombreuses, encore faut-il les faire connaître de nos filiales. Pour ce faire, une nouvelle direction ad hoc a été créée pour identifier les filiales, entretenir des relations régulières, faire remonter leurs besoins et réaliser le go between entre la filiale et l'acheteur. L'intérêt du dispositif est également d'être le plus efficace et performant côté achats et de ne pas se noyer dans des achats pour des petites filiales.
Quels sont vos objectifs à court terme ?
Nous avons un objectif global d'améliorer la satisfaction globale et ainsi faire grimper le NPS de la filière. L'idée est d'atteindre 20 contre 14 pour l'année dernière tout en apportant la même satisfaction à nos clients internes. Notre ambition « présence » se concrétise par la structuration de notre animation qui s'adapte au périmètre d'action et aux territoires de nos partenaires et de nos clients. Ces derniers sont regroupés par marché fournisseurs mais il importe de garder une stature de business partner en demeurant leur interlocuteur de haut niveau. Notre ambition citoyenne se concentre sur des actions à destination du secteur adapté. Au sujet du numérique, les efforts se concentrent sur l'adoption d'outils simples et contributeurs des projets de transformation de la donnée. Nous avons mis en place une solution de sourcing to contract en 2018. Sur la partie P2P, l'ensemble du groupe, à l'exception de La Poste Immobilier, jouit de cette solution, qui a impliqué la formation de 8000 utilisateurs. Enfin le pacte social et la culture managériale s'incarnent dans la formation des collaborateurs et dans les politiques réalisées pour attirer des talents en dehors de la filière.
Comment s'organise votre service achats ?
Nous sommes organisés en centre de services partagés, un premier se concentre sur le marketing, l'intérim et la communication, un second sur les achats IT et de prestations intellectuelles, un autre se concentre sur les achats industriels et logistiques. Un dernier pilote les achats en territoire, les approvisionnements, le support ainsi que les achats responsables et la conformité.
Avez-vous des exemples d'innovations qui ont été impulsés par les Achats ?
Nous avons développé une plateforme logistique fluviale décarbonée en Seine-Saint-Denis. La plateforme colis se situe sur une barge au lieu d'être sur un hangar. Ce projet, lauréat de l'appel à innovations mobilités Jeux olympiques et paralympiques 2024 du ministère des transports, permet d'intégrer dans les livraisons du dernier kilomètre le fleuve et des bateaux cargos électriques. Autre façon d'innover, celle d'y allouer des ressources. Concrètement, sur la partie RFA et pénalités, nous en dédions une partie à un fond d'innovation. Aujourd'hui, la démarche d'innovation est incrémentale. Nous identifions les opportunités avec nos partenaires, expérimentons et tirons des enseignements et réussites pour la suite.
Quels sont vos sujets en termes de culture managériale ?
Nos quatre métiers ont été créés avec quatre ADN différents. Le noyau historique avec l'influence de l'administration et de service pour la poste et son activité courrier colis d'une part, ensuite La Banque Postale qui s'est construite en spin-off de l'activité historique, ou encore d'autre part, Geopost qui est né avec un ADN BtoB et dont l'agilité était mise en avant... Un programme RH a été mis en place autour de la coopération. Le Comex et les 140 N-1 y ont été sensibilisés.
300 acheteurs composent votre équipe, qu'en est-il de la fidélisation des talents ?
Nous avons connu des pénuries de talents, mais aujourd'hui cela s'est résorbé. Quand j'ai pris mes fonctions, il manquait 30 personnes sur 300. Nous avons développé des « itinéraires balisés ». Et nous pouvons recruter dans les autres métiers sur la base des soft skills. En gros, nous leur disons, certes vous ne connaissez pas les achats mais vous avez les qualités pour y travailler. Depuis deux ans, nous avons intégré 16 acheteurs, c'est une bonne voie de recrutement car ce sont des personnes qui comprennent l'entreprise.
Qu'avez-vous entrepris pour développer l'attractivité des achats ?
On a développé l'attractivité des achats, notamment par le biais d'une communication cohérente entre l'alignement avec la stratégie de l'entreprise, notre politique achats et les grands enjeux de transformations. Une personne est dédiée à la communication au sein de la filière. Nous tenons également à partager sur la conduite du changement également et sur l'innovation.
Et côté management ?
Sur le management, sans pour autant que cela soit structuré, nous mettons en place, même si le terme est galvaudé, un management bienveillant. Nous tenons à comprendre et tentons d'aider les gens dans les sphères professionnelle et privée. Surtout, nous construisons des environnements de confiance. Certes cela exige un peu plus de travail pour le manager mais cela permet de créer de la solidarité chez le managé. Auparavant, il existait des micro-équipes de 2-3 personnes. Nous avons choisi de réorganiser les services avec la création de plus grandes équipes qui en cas de turnover peuvent absorber plus facilement en attendant le recrutement. Ce dimensionnement d'équipes permet également de travailler sur la polyvalence des acheteurs et cela permet finalement de sécuriser les équipes. Venant du milieu industriel, je n'étais pas accoutumée à cette vision du management, d'autant plus que cette vision fait baisser le nombre de managers. Mais en fait, il faut comprendre que cela « défragilise » d'avoir des équipes plus grandes. Nous avons aussi harmonisé le parcours collaborateur et les process, ce qui permet lors d'un changement d'équipe, d'amener plus de confort pour l'onboarding des collaborateurs. Toutes ces actions tendent à rendre la filière plus active.
Quid en termes de mobilité ?
SI je dois poursuivre, j'encourage la mobilité à l'intérieur de la filière. Je suis toujours un peu attristé lorsque des talents partent de la filière mais finalement ils deviennent de très bons ambassadeurs et surtout, nous avons de belles success stories et certains acheteurs ont connu de très belles évolutions en dehors du métier. Surtout, parfois nous assistons à un effet boomerang où les talents reviennent après une autre expérience dans le Groupe. Ce qui est intéressant à observer c'est la réciprocité des mouvements en termes de mobilité.
Et cela repose donc sur une marque employeur forte ?
Plus globalement, notre marque employeur repose sur la mobilité et la formation. Tous nos acheteurs confirmés ont participé à nos programmes de formation, y compris les managers et les approvisionneurs. En 2023, on aura formé tous les acheteurs aux achats durables. Et enfin sur la marque employeur, la composante essentielle est celle d'autant faire savoir que de faire. Être présent sur les réseaux sociaux, et porter de la voix importe comme créer des temps forts par exemple, en créant un événement, à l'occasion de la signature de la charte RFAR. Les équipes ont éprouvé pas mal de fierté lorsque Philippe Wahl a signé la charte.
*NPS : Cet indicateur est un pourcentage qui évalue la probabilité d'un client de recommander l'entreprise, un produit, un service à un son cercle privé ou professionnel par rapport à un échantillon représentatif. Sur une échelle de 0 à 10, les ambassadeurs se situent au-delà de 8. Moins de 6/10 correspond à un score de détracteur. 7/10 et 8/10 correspondent aux profils passifs.