"Nous n'excluons pas que le baril renoue avec la zone des 60-65 dollars au cours de l'été"
Publié par Marie-Amélie Fenoll le - mis à jour à
À retrouver chaque lundi matin sur le site de Décision Achats, un point sur les achats de matières premières avec une interview exclusive d'Olivier Lechevalier, cofondateur de DeftHedge.
Qu'observe-t-on sur les marchés ?
L'ajustement sur le marché des matières premières continue. Les analystes n'anticipent plus que la reprise économique chinoise va entraîner durablement les prix à la hausse à court terme. Cela ne remet pas en cause le scénario d'un super-cycle des matières premières. Mais c'est une vision à long terme et qui reflète plus l'influence de la transition énergétique sur le marché des matières premières que l'assise éventuelle de la Chine. Les statistiques chinoises publiées ces dernières séances étaient loin des attentes. Le secteur manufacturier est en contraction, avec un niveau d'activité au plus bas depuis décembre 2022 (lorsque la stratégie zéro Covid était encore en place). L'activité recule également dans les secteurs des services et de la construction. Le chiffre de l'activité dans l'industrie de l'acier est certainement le plus révélateur de la réalité économique chinoise. En mai, la contraction de l'activité s'est fortement accentuée. L'indice PMI a chuté de 9,8 points en un seul mois à 35,2. C'est le troisième mois consécutif de contraction. Cela relève que le boom attendu des infrastructures, en lien avec la relance chinoise, ne se matérialise pas. Il semble de plus en plus évident que la reprise en Chine va être molle cette année et surtout loin des attentes. Cela a entraîné à la baisse le segment des matières premières. Le baril de pétrole a par exemple chuté sous 70 dollars. Beaucoup d'analystes s'attendent à ce qu'il finisse l'année autour de 90-100 dollars. Peut-être. Mais il faudra vraisemblablement passer par une phase de baisse plus accentuée avant. Nous n'excluons pas que le baril renoue avec la zone des 60-65 dollars au cours de l'été. A la déprime chinoise s'ajoute également une dynamique encore morose du commerce international. Les exportations en Corée du Sud (pays qui sert de baromètre du commerce mondial) ont chuté de 16,1% sur les vingt premiers jours du mois de mai et les importations ont chuté d'autant (15,3%) sur la même période. Il est encore trop tôt pour savoir si nous allons vers une récession mondiale. En revanche, le ralentissement économique est bien là et il est plus marqué qu'anticipé.
Quelles sont les conséquences pour les entreprises ?
La baisse du prix des matières premières est plutôt une bonne nouvelle au premier abord. C'est un facteur désinflationniste et cela va se refléter dans l'évolution des prix à la production dans les prochains mois. Pour l'instant, la baisse qu'on observe dans de nombreux pays s'explique essentiellement par l'effet de base. Toutefois, ne soyons pas naïfs, cela souligne aussi un ralentissement de la demande au niveau mondial. Les entreprises commencent à revoir à la baisse leurs anticipations de vente, ce qui va avoir un effet négatif sur leurs résultats. Dans un contexte de demande faible, le pricing power de beaucoup d'entreprises va se réduire également. On constate par exemple une baisse accentuée de la consommation de biens alimentaires en France (en volumes). Les distributeurs ne vont donc pas avoir d'autre choix que de baisser les prix et de rogner sur leurs marges (c'est ce qui se passe déjà en Suède, par exemple).
Quels sont selon vous les points de vigilance à surveiller ?
Il y a deux enjeux économiques à court terme pour les entreprises : 1) est-ce que les Etats-Unis se dirigent vers une récession et 2) la reprise chinoise va-t-elle prendre de l'ampleur à partir du deuxième semestre comme l'annoncent les analystes. Dans les deux cas, il va falloir avoir plus de statistiques pour se prononcer. En économie, il faut systématiquement s'abstenir de surinterpréter les dernières données. C'est un travers fréquent. Ce qui compte, c'est la tendance.