[Tribune] Brexit: les conséquences sur la supply chain
Publié par Guy Courtin, GT Nexus le - mis à jour à
La tourmente déclenchée par le Brexit, met en évidence l'importance d'avoir une vision beaucoup plus solide et claire du réseau étendu de nos supply chains. Il convient d'anticiper de tels facteurs de disruption qui continueront à interférer avec les standards de gestion de nos supply chains.
La semaine dernière au Royaume-Uni, la nouvelle est tombée : le peuple anglais a voté en faveur du "oui" pour quitter l'Union Européenne. Le résultat final du vote était de 48,1 % pour rester contre 51,9% pour quitter - l'impact sur les marchés financiers a été immédiat et, comme on pouvait s'y attendre, il s'est avéré particulièrement négatif avec une chute vertigineuse de la livre sterling atteignant son plus bas niveau depuis 1985 face au dollar américain.
Les marchés boursiers du monde entier ont rapidement perdu de la valeur et les entreprises britanniques ont également subi d'importantes pertes au niveau commercial. Des enseignes britanniques parmi les plus en vue telles que Marks & Spencer, Sports Direct ou encore Tesco ont subi des pertes à deux chiffres - en pourcentage - sur les marchés libres. Les entreprises françaises sont également touchées comme le constructeur automobile PSA qui a subi un recul vendredi de près de 18 % et a poursuivi sa chute lundi avec un repli de 9,1 %.
Dans le contexte du commerce extérieur hexagonal avec le Royaume-Uni, les entreprises françaises pourraient enregistrer jusqu'à 3,2 milliards d'euros de pertes additionnelles à l'export d'ici 2019 dans le pire des cas, soit 0,5 % du total des exportations de biens et services. Et les répercussions commencent seulement à se faire sentir au niveau de l'ensemble de l'économie mondiale. Jetons un rapide coup d'oeil sur certains aspects les plus impactés.
Les disruptions au sein de nos supply chain prennent de nombreuses formes
Un point commun à toutes les supply chains réside dans la crainte et l'aversion à l'égard d'éventuelles perturbations et d'inconnues. Les inquiétudes les plus fréquentes concernent les perturbations liées aux fluctuations du prix des matières premières, à la nature changeante de la demande ou encore aux coûts de transport, pour n'en citer que quelques-unes, mais le Brexit nous rappelle également que les facteurs géo-politiques peuvent constituer des éléments perturbateurs.
La suppression des liens vers le marché libre aura un impact sur les supply chains, notamment en matière de tarifs, d'accords commerciaux, de liberté de mouvement pour la main-d'oeuvre, ou encore d'accès au capital par exemple. La manière dont les supply chains réagissent à ces perturbateurs dépend grandement de l'agilité et de la flexibilité avec lesquelles le réseau supply chain a été conçu. Aucune supply chain n'est préparée à tous les cas de disruption pouvant survenir, mais la rapidité avec laquelle la supply chain peut regarder le miroir virtuel de sa supply chain physique afin de réagir rapidement marquera une nette différence entre les systèmes logistiques qui survivent simplement et ceux qui prospèrent, même dans des situations de chaos.
Les supply chains doivent être suffisamment maniables afin de réagir aux changements - quels marchés deviendront plus rentables, où l'émergence de nouveaux prix pourra-t-elle avoir un impact sur les profits, quelles répercussions sur les coûts de main-d'oeuvre. Voilà une série de questions que les supply chains doivent être en mesure d'adresser afin de pouvoir survivre et prospérer dans cet environnement.
Les impacts sur le Royaume-Uni
Comme nous venons de l'écrire, les entreprises basées au Royaume-Uni, et la monnaie du pays, sont déjà impactées par le vote. Et ce n'est évidemment que le début... En ce qui concerne les supply chains dédiées au retail, des questions vont se poser au niveau de l'accès au travail, ainsi que pour les marchés libres. Selon le Wall Street Journal, la vente au détail, qui constitue le secteur privé le plus important en Grande-Bretagne, s'est construite à partir d'une main-d'oeuvre provenant majoritairement de pays de l'Union européenne.
D'un point de vue économique, il est plus intéressant d'embaucher dans certains de ces pays que localement. L'un de ces pays, la Pologne, compte, si l'on en croît certaines études, près d'1 million de ses ressortissants travaillant en Angleterre. Beaucoup d'entre eux travaillent dans le secteur du retail. Mais qu'adviendra-t-il maintenant avec cette importante manne de main-d'oeuvre ? D'autant que cette main-d'oeuvre envoie chaque année près d'1 milliard de livres sterling vers leur pays, contribuant à l'économie locale. Le secteur du retail sera fortement affecté, à la fois au Royaume-Uni et en Pologne dans notre exemple.
Le vote a également alimenté des débats houleux en Irlande du Nord et en Ecosse qui pourraient reconsidérer leur position au sein du Royaume-Uni, car de leur côté, ces pays ont voté massivement pour rester au sein de l'UE. Si ces nations se détachent, quel impact cela aura-t-il sur elles et sur leurs supply chains ? Y aura-t-il des déménagements de services, de groupements financiers ou même d'usines de fabrication vers ces marchés géographiquement proches ?
Un point essentiel : nos supply chains sont soumises à une pression constante d'éléments perturbateurs
L'Union européenne vient de voir la deuxième plus grande économie et l'un des acteurs majeurs de cette union lui tourner le dos. La décision prise Outre-Manche signifie "nous serons mieux en dehors de l'un des plus grands marchés mondiaux et nous préférons faire cavalier seul". Au sein de l'UE, ce changement aura pour conséquence que nous nous pencherons encore plus vers l'Allemagne. En tant que pays le plus important en matière de fabrication industrielle au sein de l'UE, l'Allemagne continuera de voir son influence et son pouvoir grandir puisque le Royaume-Uni ne sera plus là pour contrebalancer cette influence.
Reste à voir désormais quelles autres nations membres de l'UE intensifieront leur influence pour tenter de contrebalancer la puissance de l'Allemagne ? Sera-ce la France ? Ou l'Italie ? Aucun de ces deux pays ? Le côté positif de ce vote est qu'il s'agit peut-être d'un coup bas porté à l'Union Européenne, mais un coup qui pourrait l'inciter à aborder des questions cruciales telles que celles liées à la dette, à l'immigration, ou au commerce. Il y a deux voies bien distinctes que l'UE peut emprunter - un détachement lent et douloureux qui la tire vers le bas ou un réveil et une résurgence qui la tire vers le haut pour devenir une entité plus forte.
Quoi qu'il en soit, les récents événements nous rappellent un point essentiel : nos supply chains sont soumises à une pression constante d'éléments perturbateurs. Récemment, nous avons subi de nombreuses catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre au Japon, les Tsunamis dans l'océan Indien ou les éruptions volcaniques en Islande,.. Mais les éléments perturbateurs peuvent également survenir en raison d'interprétations erronées de signaux de demande, de mauvaises communications entre les fournisseurs, d'erreurs au niveau de la prévision, etc... Et nous voilà maintenant confrontés à un grand facteur de disruption de la supply chain : un événement géo-politique. Et en bonne intelligence, il convient d'anticiper de tels facteurs de disruption qui continueront à interférer avec les standards de gestion de nos supply chains.
Avoir une vision beaucoup plus solide et claire du réseau étendu de nos supply chains.
De manière fondamentale, la tourmente déclenchée par le Brexit, met en évidence l'importance d'avoir une vision beaucoup plus solide et claire du réseau étendu de nos supply chains. Dans quelle mesure votre chaîne d'approvisionnement virtuelle est-elle reflétée dans le miroir numérique de votre chaîne d'approvisionnement physique ? Plus votre chaîne d'approvisionnement virtuelle de niveau industriel est précise et reflète la réalité physique, plus vous jouirez de flexibilité pour réagir à des événements inattendus.
Par exemple, si une enseigne basée au Royaume-Uni se fournit en vin auprès de vignobles français, en olives auprès de distributeurs italiens et en produits porcins auprès d'agriculteurs espagnols ; si l'on prend en compte les nouveaux changements géo-politiques, avec quelle rapidité cette enseigne peut-elle trouver de nouvelles sources d'approvisionnement pour ces produits ? Comment peut-elle rapidement déterminer les impacts potentiels que des coûts liés à de nouveaux tarifs par exemple peuvent avoir sur sa performance ? Sans une grande transparence et une véritable compréhension de son réseau, elle pourrait s'appuyer sur des données anciennes voire pas de données du tout. Et il s'agit bien là d'un défi de taille pour les acteurs d'un marché qui exige des réactions sages et rapides face à de telles perturbations.
A l'heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de deviner les effets à long terme, ni même à court terme du Brexit. Il s'agit d'un événement sans précédent. Pour la première fois, l'article 50 du traité de Lisbonne va être adopté. La réalité est que le "statu quo" n'existe pas. Nous vivons dans un monde en constante évolution qui exige que nos chaînes d'approvisionnement s'adaptent.
Votre supply chain et vous-mêmes, êtes-vous bien préparés pour faire face à ces perturbations ? Comme on dit en anglais : "Stay Calm and check your supply chain" !
ParGuy Courtin, Vice-Président 'Industry & Solution Strategy : Retail & Fashion' chez GT Nexus
Guy Courtin possède une expérience de plus de 15 ans dans l'IT et plus précisément dans le secteur de la supply chain. Avant de rejoindre GT Nexus en juin 2016, il était vice-président et analyste principal chez Constellation Research, s'intéressant de près aux disruptions digitales et à leur impact sur les chaînes d'approvisionnement. Il a également occupé le poste de vice-président en charge de la recherche pour SCM world, de responsable "product marketing" chez l'éditeur RSI, ou encore de directeur Industry Solutions' chez Progress Software.