[Avis d'expert] Les impacts de la loi ASAP sur les relations fournisseurs-distributeurs
Publié par Florent Roy, Hugues Villey- Desmeserets, François Dauba, cabinet BCTG avocats le | Mis à jour le
Adoptée en pleine période de négociation des accords annuels 2021, la loi ASAP comporte plusieurs dispositions, d'application immédiate, qui ont pour objet de renforcer la transparence des relations entre fournisseurs et distributeurs et de garantir un certain équilibre entre ces opérateurs.
La loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) complète la liste des avantages commerciaux devant figurer dans la convention unique et prolonge l'application du dispositif Egalim. Elle démontre la volonté du législateur de rendre plus transparentes les composantes économiques des négociations entre fournisseurs et distributeurs (voir point 1 ci-dessous). En encadrant les conditions d'application des pénalités logistiques, la loi ASAP tente également de garantir un certain équilibre dans les relations de ces opérateurs (voir point 2 ci-dessous).
1. Le renforcement de la transparence dans les relations fournisseurs-distributeurs
Les apports de la loi ASAP
- L'intégration de la négociation internationale dans la convention unique
Suite aux contrôles menés ces dernières années, les autorités publiques ont constaté qu'une partie de la négociation était délocalisée à l'étranger (notamment en Belgique et en Suisse), les fournisseurs étant amenés à négocier divers services auprès de centrales internationales liées à leurs distributeurs.
Les rémunérations versées par les fournisseurs à ces centrales n'apparaissaient pas dans les conventions annuelles, et échappaient aux règles de transparence du droit français.
La loi ASAP tente de remédier à cette situation en imposant d'indiquer dans la convention unique toutes les rémunérations " relevant d'un accord conclu avec une entité juridique située en dehors du territoire français, avec laquelle le distributeur est directement ou indirectement lié ", dès lors qu'elles sont rattachables à des produits mis en vente sur le marché français.
- La prolongation et l'aménagement du dispositif Egalim
La loi ASAP prolonge l'expérimentation des mesures sur l'encadrement des promotions et le seuil de revente à perte (SRP) jusqu'au 15 avril 2023 telles qu'elles étaient prévues par l'ordonnance n°2018-1128 du 12 décembre 2018.
Une nouveauté est toutefois introduite et découle de la principale préconisation du groupe de suivi de la loi Egalim au Sénat : la dérogation à l'encadrement en volume des promotions pour les produits saisonniers définis comme ceux pour lesquels plus de la moitié des ventes de l'année civile aux consommateurs est, de façon habituelle, concentrée sur une durée maximum de douze semaines.
La liste des produits concernés sera fixée par arrêté après demande motivée des interprofessions représentatives ou par toute organisation professionnelle représentant des producteurs.
L'impact de ces nouvelles dispositions sur les relations fournisseurs-distributeurs
Ces mesures vont permettre à la DGCCRF et aux tribunaux de contrôler la réalité des services des centrales internationales et la proportionnalité des rémunérations versées par les fournisseurs, à condition (i) de caractériser un lien entre le distributeur français et la centrale étrangère et (ii) que les services soient rattachables aux produits vendus en France. Sous ces réserves, ces relations et leur licéité pourront être appréhendées sur le fondement du droit français, à la lumière des dispositions sanctionnant l'octroi d'avantages sans contrepartie/disproportionnés et le déséquilibre significatif dans les relations commerciales.
De manière implicite, ces mesures démontrent aussi la volonté des pouvoirs publics de voir inscrites dans la convention annuelle toute forme d'avantage commercial qui impacte le compte de résultat du fournisseur (promotions, négociations internationales, etc.). On peut dès lors se demander si les éléments de la négociation (frais bancaires, transferts de charge de type EDI, etc.) qui peuvent encore échapper à l'obligation d'inscription dans la convention ne seront pas présumés être la traduction d'une volonté de dissimulation et donc présumés abusifs ou déséquilibrés.
Ces mesures vont enfin permettre aux distributeurs d'intégrer dans le calcul du seuil de revente à perte les éléments de la négociation internationale qui apparaissent dans la convention. La négociation internationale ne permettra plus aux fournisseurs d'opérer des discriminations injustifiées entre les enseignes dans la mesure où toute différenciation affectera le SRP et pourra donner lieu à des demandes d'explication de la part des enseignes qui bénéficient des moins bonnes conditions commerciales.
2. Le rééquilibrage des relations fournisseurs-distributeurs
La loi ASAP introduit deux pratiques restrictives de concurrence et sanctionne désormais le fait :
- d'imposer des pénalités disproportionnées au regard de l'inexécution d'engagements contractuels ;
- de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités correspondant au non respect d'une date de livraison, à la non conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n'ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant.
Il est à noter que le code de commerce interdisait déjà la pratique de la déduction d'office des pénalités avant la suppression de cette incrimination par l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, laquelle était venue réduire la liste des pratiques restrictives de concurrence à l'obtention d'un avantage sans contrepartie/disproportionné, au déséquilibre significatif et à la rupture brutale de relations commerciales établies.
En raison du contexte actuel (inflation des pénalités logistiques infligées par les distributeurs) et de l'accroissement des difficultés rencontrées par les fournisseurs face à ces pénalités, le législateur a jugé utile de réintroduire l'interdiction de la déduction d'office des pénalités - en y ajoutant l'interdiction des pénalités disproportionnées, issue des préconisations de la CEPC aux termes de sa Recommandation n° 19-1.
Ces deux éléments devraient avoir pour effet de rendre plus efficace le contrôle des pénalités appliquées par les distributeurs et invitent, par conséquent, les parties à une grande vigilance dans la rédaction et la mise en oeuvre des clauses de pénalités contractuelles.
Hugues Villey- Desmeserets, avocat associé du cabinet BCTG avocats, expert en droit de la concurrence, de la distribution et des contrats.
François Dauba, avocat associé du cabinet BCTG avocats, expert en droit de la concurrence, de la distribution et des contrats.