Achats inclusifs : les lignes bougent dans les grands groupes
Publié par Geoffroy Framery & Lisa Henry le - mis à jour à
35 des plus grandes entreprises représentent une capacité annuelle d'achats estimée à 100 milliards d'euros. Grâce à cette capacité, ces dernières agissent au profit des territoires et de l'inclusion Etat des lieux.
Pour faire bouger les lignes, pas de secret ! Il faut certes des équipes engagés et partie prenantes pour conduire le changement, surtout, le sponsor en interne doit être de très haut niveau. C'est chose faite sur le sujet des achats inclusifs chez Accor et Transdev, où respectivement Sébastien Bazin Président, et Thierry Mallet, Pdg se font les ambassadeurs de l'achat inclusif. Sébastien Bazin et Thierry Mallet déclarent à l'occasion du forum des Achats Inclusifs le 3 octobre dernier : "Le succès de cet événement témoigne que ce forum était une nécessité et va continuer à l'être. Il permet d'expliquer et de montrer très concrètement comment les trente-cinq entreprises du Collectif, les plus grandes "donneuses d'ordre" en France, s'efforcent d'orienter une partie de leur volume d'achats vers des entreprises de l'économie sociale et solidaire et vers les territoires délaissés. Il est impératif de construire un nouveau logiciel dans la relation clients-fournisseurs, qui permet de nourrir encore davantage le lien social". Même son de cloche chez Axa ou encore chez Adecco, Alexandre Viros son président France souligne que "les achats sont tout à fait cruciaux sur le sujet de l'inclusivité". Enjeux et objectifs varient selon les groupes. Chez Accor (cf. Rencontre), le sourcing sera très attentif à la QVT et au caractère inclusif des achats locaux. Pour Engie, tout l'objectif demeure de segmenter le portefeuille achats pour engager des actions qui permettront d'allier performance sociale et performance économique. Chez Adecco Group qui collabore avec des acteurs de l'insertion, le chiffre des 1% des achats inclusifs a été posé mais objectivé dans la feuille de route des acheteurs.
Les achats inclusifs, ou l'art de créer de la compétitivité hors prix
Si certaines directions achats restent frileuses face aux achats inclusifs, c'est surtout pour des raisons de coûts. Dans un contexte de crise, la performance économique reste centrale dans la stratégie des entreprises. Mais pour Aurélia Tremblaye, directrice achats du groupe Engie, performance et inclusion, ne sont pas des termes antinomiques. Elle détaille les trois piliers stratégiques à développer à son sens : la performance économique, opérationnelle et sociale. "Chez Engie comme chez tous les grands comptes, nous avons la capacité de faire les trois", martèle-t-elle à l'occasion d'une conférence qui s'est tenu le 3 octobre lors du forum des achats inclusifs. En guise d'exemple, la directrice achats du fournisseur d'énergie raconte : "Pour nos besoins IT, nous travaillons avec Inclusive tech, qui propose de la prestation de services avec une valeur sociale, notamment à travers l'agrégation d'entreprises adaptées et d'insertion. Nos clients internes en sont satisfaits, et nous avons observé une qualité opérationnelle, une réduction des coûts, et bien sûr de la performance sociale."
Au regard de ces résultats, Aurélia Tremblaye n'hésite pas à qualifier l'achat inclusif de performance commerciale. Elle explique que le critère social figure désormais dans chaque appel d'offres d'Engie, et qu'elle observe une demande de plus en plus importante de la part des grands comptes, publics ou privés.
Evaluation revue et programmes inclusifs pour les fournisseurs
"Les achats inclusifs créent de la valeur, au même titre que les résultats RSE." Audrey Izard, directrice des achats indirects de L'Oréal, approuve la vision d'Audrey Tremblaye à l'occasion de cette même table ronde. Au sein du groupe de cosmétiques, la réflexion se porte sur la relation fournisseur. En effet, les KPI sont évalués au moment de l'évaluation fournisseurs.
Selon la directrice achats, choisir les bons fournisseurs, ceux qui partagent la vision de L'Oréal en termes d'inclusivité, est primordial. Pour autant, pas question d'écarter ses fournisseurs historiques. Avec le projet "Solidarité sourcing", créé par l'entreprise il y a 10 ans, L'Oréal développe des programmes d'inclusion, et offre à ses fournisseurs "l'opportunité d'inclure". Les nouveaux partenaires sont, eux, dans l'obligation de recenser de l'inclusion s'ils souhaitent répondre à un appel d'offres de la société. Effectivement, sous couvert d'inclusivité, l'idée n'est pas non plus d'ostraciser certains fournisseurs sous couvert qu'ils ne cochent pas la bonne case pour l'instant. "Là où certains voient de la contrainte, nous y voyons de l'opportunité, détaille Audrey Izard. Les partenariats inclusifs représentent 12% de notre chiffre d'affaires hors média, et on ne compte pas s'arrêter là." La direction achats s'est fixé pour objectif de créer 80 000 opportunités d'inclusion d'ici à 2030.
"Ne pas mettre de l'inclusif partout"
Si cet objectif semble louable, Aurelia Tremblaye alerte néanmoins les directions achats : "Il ne faut pas non plus mettre de l'inclusivité partout, il faut que ça ait du sens." Segmenter son portefeuille achat pour laisser la place à l'inclusion est, selon elle, la meilleure méthode à adopter. C'est aussi l'avis de Pascal Pelon, CPO d'AXA. Il explique que l'acheteur se doit de prendre en compte le besoin de son client interne, à travers l'exemple du temps de lequel est ancré ce besoin : "Le DSI a un besoin auquel il faut répondre rapidement, l'installation de prestation de services grâce à l'inclusion demande de penser sur le long terme, alors nous ne passons pas par l'achat inclusif pour ce besoin." Pour s'adapter aux demandes et être performant sur le long terme comme le court terme, la banque a créé une pépinière, en formant et recrutant au sein d'EA et ESAT. "L'idée est de miser sur le futur, précise Pascal Pelon, en passant des achats inclusifs au recrutement inclusif."
La première du Forum des Achats Inclusifs
Initiative inédite qui s'est tenu le 3 octobre, à l'initiative du Collectif d'entreprises pour une Economie plus inclusive, de grandes entreprises, leurs fournisseurs et les organismes de l'inclusion en France se sont réunis, au siège d'Accor. Ce forum a rassemblé plus des deux tiers des entreprises membres du Collectif (plus de 25 entreprises étaient représentées) et 50 fournisseurs "inclusifs". Au total, plus de 350 participants ont réfléchi aux moyens d'organiser la montée en puissance des achats inclusifs au sein des 35 grandes entreprises membres du Collectif représentant, ensemble, une capacité d'achats annuels supérieure à 100 milliards d'euros en France. L'événement a ainsi permis de mettre en lumière les meilleures pratiques et d'établir un référentiel de "partenaires inclusifs".
L'inclusion, passerelle entre les quartiers
L'expression "achats inclusifs" renvoie souvent aux achats de prestation de services auprès d'entreprises adaptées, embauchant des personnes en situation de handicap. Pourtant le terme regroupe nombre de catégories, notamment les partenariats avec l'entrepreneuriat de quartier. Le projet Paqte "avec un q comme quartier" a pour objectif de faire le lien entre les grands comptes et les TPE et PME de l'entrepreneuriat des banlieues. "Se fournir dans une entreprise issue d'un quartier prioritaire est tout à l'avantage des entreprises, explique Laurence Zebus Jones, directrice associée d'Impact partners. En effet, cela permet d'assurer ses achats tout en élevant des communautés."
Si ce pas vers l'inclusion est encouragé par la directrice associée, elle précise : "Se fournir auprès de TPE/PME ou de grands groupes ne représente pas les mêmes enjeux et contraintes. En effet, nous l'avons bien vu avec la problématique des délais de paiement pendant la crise sanitaire." Ainsi, afin de s'aligner sans mettre en danger ces entreprises, certaines sociétés participant au projet se sont adaptées, comme la Française des jeux, qui a mis en place des paiements anticipés.