[Tribune] Négociations commerciales 2019 : l'entrepreneur PME retrouvera-t-il la maîtrise de son prix ?
Publié par Dominique Amirault, FEEF le - mis à jour à
Loi EGAlim - Dominique Amirault, président de la FEEF, s'exprime dans une tribune sur l'échec annoncé du relèvement du seuil de revente à perte (SRP) et de l'encadrement des promotions. Il y expose sa solution pour relancer la création de valeur : la mécanique du tarif en cascade.
La loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, dite EGAlim, a été publiée au Journal officiel du 1er novembre. C'est dans ce nouveau cadre réglementaire que viennent de s'ouvrir les négociations commerciales entre fournisseurs (marques PME et multinationales) et distributeurs pour aboutir avant le 1er mars 2019 à la signature du contrat cadre défini pour un an dans lequel figureront le tarif et le plan d'affaires. Lors des débats qui ont suivi les Etats Généraux de l'Alimentation, l'attention s'est principalement portée sur le relèvement de 10% du SRP (seuil de revente à perte) et l'encadrement des promotions. Deux mesures qui pourtant ne permettront pas de rééquilibrer les relations commerciales et de revaloriser le revenu des acteurs de l'amont (agriculteurs et PME), principaux objectifs du gouvernement.
L'échec annoncé du relèvement du SRP et de l'encadrement des promotions
En effet, le relèvement du SRP risque de fragiliser les PME françaises au profit des multinationales. La mise en place du SRP majoré pourrait se traduire par une préférence des distributeurs pour des gammes plus attractives en rentabilité (en masse de marge essentiellement les marques multinationales), aux dépens du choix d'assortiment pour le consommateur et au détriment des marques PME françaises qui vont voir leur attractivité diminuée. Pourtant, une référence additionnelle de marque PME génère dans 74% des cas du chiffre d'affaire additionnel contre 27% pour une marque leader (effet de cannibalisation) selon l'Assortman de Nielsen.
Quant à l'encadrement des promotions, il s'agit d'une idée séduisante car on peut penser qu'elle mettra fin à la guerre des prix. Certes, cet encadrement pourra peut-être porter un coup d'arrêt à la guerre des prix à l' "aval consommateur" entre les enseignes. Mais l'origine de la destruction de valeur dans la filière ne réside pas là ; elle se situe dans la guerre des prix à l'amont qui finance la guerre des prix à l'aval par l'achat moins cher aux fournisseurs des produits agricoles ou transformés du fait du déséquilibre dans les relations commerciales.
Objectif politique : réussir la contractualisation rénovée
Pour relancer la création de valeur, le gouvernement compte également sur la mise en oeuvre de la "contractualisation rénovée", à savoir l'inversion du mécanisme de formation des prix en partant des coûts et cours agricoles, votée dans la loi EGAlim. C'est une bonne mesure. Néanmoins, celle-ci ne pourra être réellement profitable aux agriculteurs que si les PME, qui représentent 98% des fournisseurs, peuvent facturer leurs tarifs auprès des distributeurs. C'est le seul moyen pour répercuter immédiatement les fluctuations des produits agricoles.
Ainsi, pour mener à bien cette inversion du mécanisme de formation des prix, il est indispensable que tous les maillons de la chaîne puissent maîtriser leur tarif, soit le prix de vente de leurs produits agricoles ou transformés. Cela est possible dans le cadre de la mise en oeuvre du tarif en cascade.
La solution : le tarif en cascade
En ayant la maîtrise de son tarif, l'agriculteur décide de son prix de vente en se basant sur des indices officiels définis, par exemple, dans les interprofessions pour vendre à l'industriel, comme le prévoit la loi EGAlim. L'industriel est alors tenu de prendre en compte les fluctuations des matières agricoles et de répercuter le tarif de l'agriculteur dans son tarif fournisseur. On le devine aisément : cette contractualisation agriculteur/industriel ne peut être que la première étape. En effet, pour aboutir, il est crucial que l'industriel soit à son tour maître de son tarif vis-à-vis du distributeur et qu'il puisse y incorporer, en plus du tarif de l'agriculteur, les autres coûts afférents liés à la fabrication/transformation du produit et à son positionnement.
Rappelons que, pour fixer son tarif, le fournisseur prend en compte plusieurs éléments : le positionnement stratégique et concurrentiel du produit qui détermine sa valeur, les coûts inhérents à sa fabrication (matières premières, main d'oeuvre, charges,...), les coûts liés à sa commercialisation (logistique, marketing, communication,...) et la marge que l'entrepreneur doit dégager pour assurer et financer le développement de son entreprise (investissements, innovations, emplois,...).
Le tarif, expression du positionnement stratégique de l'entreprise
Par là-même, on comprend que le tarif est l'expression du positionnement stratégique de l'entreprise et ses coûts afférents. Dans le cadre de la liberté d'entreprendre, l'entrepreneur doit donc pouvoir fixer et faire varier son tarif auprès de son client aussi librement que possible et en cours d'année si nécessaire. En contrepartie, le distributeur a la liberté de référencer, ou non, les produits du fournisseur en fonction de la concurrence et des besoins de ses points de vente. C'est le risque de l'entrepreneur.
En d'autres termes, le tarif est non négociable ; contrairement aux conditions de développement des ventes (remises, ristournes,...) qui elles sont négociables dans le contrat du plan d'affaires bâti entre le fournisseur et le distributeur et qui détermine le "prix convenu".
La maîtrise du tarif : facteur d'efficacité et de rationalité économique
Ainsi, tel un cercle vertueux, le tarif en cascade permet la formation d'un prix efficient économiquement à la fois par la prise en compte des fluctuations des coûts et cours agricoles assurant la rémunération de l'agriculteur en conséquence ; et par l'intégration de l'ensemble des coûts de fabrication de l'entrepreneur PME, indispensable pour préserver sa marge brute. Le tarif correspond in fine à la juste rémunération du travail et à la valorisation de l'activité des fournisseurs.
En définitive, rendre aux entrepreneurs PME la maîtrise de leur tarif leur donnera les moyens de leur développement autonome pour investir, innover, embaucher, faire vivre les territoires et contribuer à la revalorisation des revenus des agriculteurs.
Par Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et des entrepreneurs de France (FEEF)