[Tribune] Le Droit a-t-il une vision trop étroite de la RSE ?
Publié par François Perrin, Euklead le - mis à jour à
Le critère de la performance des entreprises en matière de RSE est pris en compte s'il est en lien direct avec l'objet du marché, selon le Conseil d'Etat.
Le Conseil d'État a récemment jugé non conforme l'appel d'offres d'une collectivité en raison de ses critères RSE jugés trop larges. Une décision qui interroge quant à sa vision et sa compréhension de cette démarche.
La performance des entreprises en matière de RSE : un critère au coeur du contentieux
Le Conseil d'Etat a rendu sa décision du 25 mai dernier, à la suite d'un contentieux portant sur la contestation d'un appel d'offres par Nantes métropole relatif à la passation d'un accord-cadre multi-attributaires pour la réalisation de travaux d'impression. Une société évincée de l'appel d'offres a formé un recours en annulation contre celui-ci. Par ordonnance du 9 janvier 2018, le juge des référés a fait droit à cette demande et a annulé l'appel d'offres. La métropole a alors formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cette ordonnance et La Haute juridiction administrative vient de rendre sa décision.
Nantes Métropole avait effectivement intégré au cahier des charges des critères de sélection relatifs à la performance des entreprises en matière de RSE : lutte contre les discriminations, respect de l'égalité femmes-hommes, sécurité et santé du personnel, dépenses de formation des employés, stabilité des effectifs, limitation du recours aux contrats d'intérim... Mais au regard de la loi, ceux-ci ont été jugés trop larges ; ils ne peuvent faire l'objet de facteurs de décision dans le cadre d'un appel d'offres public. Seuls ceux relatifs au marché sont pertinents.
Une interprétation restrictive de l'application des critères
La décision du Conseil d'Etat interroge. Pas au niveau du droit, bien entendu, mais d'un point de vue éthique. Si quelques critères RSE peuvent être pris en compte à la lecture de cet arrêt, n'est-il pas un non-sens de les limiter à la seule catégorie objet du marché ? En filigrane, la décision du Conseil d'État ne bride-t-elle pas la mission d'intérêt général d'une collectivité comme désignant satisfaire les intérêts, valeurs ou objectifs qui sont partagés par l'ensemble de la société ?
Une démarche RSE est par essence globale et doit être considérée dans sa totalité et dans tous ses aspects sociétaux, économiques et environnementaux. Une vision parcellaire est un aveuglement qui autoriserait bien des entreprises à s'écarter de la vocation première de la démarche qui, selon la Commission européenne, dans son Livre Vert de 2001, "... n'est pas et ne devrait pas être séparée de la stratégie et des opérations commerciales puisqu'il s'agit d'intégrer les préoccupations sociales et environnementales dans ses stratégies et opérations. Un autre aspect majeur est la manière dont les entreprises interagissent avec leurs parties prenantes internes et externes..."
Et, l'ISO, International Organisation for Standardisation, définit la RSE comme "... La responsabilité d'une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l'environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui contribue au développement durable , y compris à la santé et au bien-être de la société ; prend en compte les attentes des parties prenantes ; respecte les lois en vigueur et qui est en accord avec les normes internationales de comportement ; et qui est intégré dans l'ensemble de l'organisation..."
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