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Du futur impact du passeport numérique des produits chez les acheteurs

Publié par Mathieu Camozzi le | Mis à jour le

Le « digital product passport » (DPP) pourrait bien être vecteur de transparence sur toute la chaîne de valeur, et de ce fait constituer une opportunité de croissance pour les acteurs les plus vertueux en matière environnementale, mais aussi contribuer à transformer le profil des acheteurs.

Le PNP, outil censé placer l'Europe sur les rails de la durabilité, la traçabilité et la circularité, va bousculer les habitudes des consommateurs et des entreprises. C'est une fiche numérique qui fournit des informations sur le cycle de vie d'un produit. Des informations sur la propriété et l'entretien, la date de fabrication de l'appareil, sur les pièces détachées, sur la manière de l'éliminer de manière responsable lorsqu'il arrive en fin de vie, ainsi que des contenus multimédias additionnels sont donnés par le biais d'un support numérique tel qu'un QR code ou un code-barres lisible par smartphone. Bref, un double numérique que tous les acteurs impliqués dans la vie du produit peuvent consulter. Cette innovation est l'une des mesures phares prévues dans le cadre du règlement sur l'Écoconception des produits durables (ESPR). D'ici 2030, une trentaine de catégories de produits seront concernées.

Dispositif multi-fonctions

Le dispositif introduira plus de lisibilité : « matières premières, taux de matières recyclées dans les produits, écoconception, substances dangereuses dans les produits, critères de fin de vie en cohérence avec les règlementations de déchets de l'Europe... Il s'agira de montrer patte blanche et de faire évoluer sa politique de sourcing en conséquence », anticipe Ariane Martin qui dirige Into the Wild, agence d'innovation responsable qui est à la croisée entre l'approche think tank et le conseil RSE. Des détails poussés tels que la consommation en énergie et en eau, la libération de microplastique ou encore la quantité de déchets générés seront donnés à plusieurs publics intéressés : le consommateur final en premier lieu, plus soucieux de l'impact environnemental de ses achats et lassé du greenwashing ambiant. Selon une étude YZR avec l'IFOP, 84% des consommateurs ont déjà abandonné un achat en raison d'informations insuffisantes sur la fiche produit. De plus, 46 % des sondés déclarent avoir sélectionné, parmi deux produits, celui vendu le plus cher en raison de la meilleure qualité de sa fiche descriptive. Mais ce sont aussi des autorités comme l'Ademe, la DGCCRF... qui en profiteront. Deuxièmement, tous les acteurs de la circularité comme les recycleurs, les réparateurs... auront accès aux fiches de démantèlement, aux instructions et avertissements quant aux matières dangereuses éventuelles à traiter lors du démontage. Troisièmement, le DPP, qui peut être augmenté en un certificat d'authenticité et de propriété, peut être un vrai canal supplémentaire de communication : il peut inclure des recommandations, propositions ciblées, récompenses ou avantages exclusifs liés à la fidélité, des fonctionnalités telles que des tutoriels, des guides d'utilisation ou encore des contenus explicatifs.

Une nouvelle manière de valoriser les productions

« En tant que conseil, nous sommes en veille sur la règlementation environnementale, l'écoconception, l'économie circulaire, et donc forcément sur ce dispositif lié à la règlementation européenne qui va concerner de plus en plus de secteurs et d'entreprises », annonce Julie Dalban-Canassy, consultante indépendante en circularité et développement durable qui a fondé JD3C. La circularité des produits a déjà été favorisée par la loi AGEC anti-gaspillage de 2020 par exemple, qui encourage les composants et emballages recyclés, y compris dans les achats publics. « La Commission européenne aime désigner les secteurs les uns après les autres. À terme, toutes les entreprises auront des obligations, la liste va être mise à jour petit à petit », assure Ariane Martin. Dès 2026-2027, les batteries, le textile, les produits électriques et électroniques, les plastiques et vraisemblablement les produits de construction étrenneront ce dispositif qui n'est pas seulement une contrainte. Les acteurs hexagonaux qui souffrent de la concurrence extra-européenne des produits à bas coûts, notamment dans le textile décimé dans les années 80 par la concurrence asiatique et dont les rares survivants ont dû réorienter leur production vers le haut de gamme, vont trouver une occasion de valoriser leur production.

Nouveau rôle de l'acheteur

Des entreprises qui réalisent déjà avec précision le bilan carbone de toute leur chaîne de valeur, ont décidé de prendre les devants pour se démarquer de la concurrence. Se servir de cet outil implique au préalable d'aller contacter les fournisseurs et d'obtenir des données. Ce qui confère désormais un rôle plus central à l'acheteur qui ne se soucie plus uniquement de ce qui se passe dans l'usine et au bureau. Il explore désormais toute sa chaîne de valeur dont il est responsable, n'est plus seulement en contact avec le responsable RSE ou QSE mais avec les fournisseurs en général. Il doit être formé, non seulement pour obtenir ces données toujours plus précieuses, mais aussi pour mener des projets de co-construction, de coopération avec ces fournisseurs qui deviennent partenaires. « Je t'amène de l'expérience R&D sur tel sujet et toi de ton côté tu avances sur un changement de matière qui sera de toute manière interdite en 2030. La notion de clients-fournisseurs doit aller beaucoup plus loin que ce qu'elle atteint actuellement », affirme Ariane Martin. L'acheteur ne coche plus seulement des cases, il doit être de plus en plus en capacité d'analyser ce qu'on lui propose en première lecture, de disposer d'une vision exacte des composants et de leur durée de vie. Sous son impulsion, l'ancrage territorial des chaînes logistiques a vocation à s'approfondir car un bon maillage réduit considérablement l'impact carbone. « La notion de soutenabilité implique finalement un profil plus stratégique de l'acheteur qui a son mot à dire dans la localisation de production en prenant en compte les enjeux planétaires, les ressources limitées, les règlementations environnementales à venir... », soutient Julie Dalban-Canassy. Le PNP va un peu plus l'engager à ne pas rechercher coûte que coûte le moins cher, mais à devenir force de proposition en choix de composants, de fournisseurs, de transporteurs en tenant compte des localisations et labels. Cette mutation a commencé, car si les échéances paraissent lointaines, les données ne seront pas récupérées immédiatement : les analyses de cycles de vie et bilans carbone prennent du temps. Les entreprises qui n'ont pas encore mis en place de PNP vont donc devoir commencer à planifier la gestion de cette question au sein de leur chaîne d'approvisionnement. L'exercice n'est pas si aisé. Une équipe ou un responsable du PNP doivent être désignés pour s'assurer que les indicateurs clés de performance, les objectifs et les calendriers soient correctement définis. « Même si les producteurs européens ont déjà pris l'habitude de questionner leurs fournisseurs, avec le règlement REACH, il n'est pas évident qu'ils obtiennent tous les renseignements requis dès le début », répète-t-on à la fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC).


Julie Dalban-Canassy, responsable pédagogique à l'INP Grenoble, fondatrice de JD3C :

« Une vraie continuité historique »

« Je conseille de grands groupes, des ETI et PME de plus de 250 salariés sur la directive européenne CSRD qui concerne toujours plus d'entreprises. Spécialisée sur la partie conformité environnementale, l'écoconception, l'économie circulaire, la norme 14 001 et proposant des fresques sur l'économie circulaire, j'ai vu de plus en plus de paquets règlementaires s'additionner au fil du temps. Venant à l'origine d'un grand groupe de l'industrie électronique, je me suis rendue-compte que tous ces dispositifs engagent à pratiquer l'éco-conception et stimulent l'innovation. Tout découle du Green Deal de 2020, incluant un objectif de neutralité carbone pour 2050. Un package d'économie circulaire a figuré dans le pacte, générant de nouveaux textes et lois. Une mise à jour a eu lieu en mars 2022 avec la règlementation sur l'écoconception des produits durables (ESPR) définissant les normes et les critères de performance environnementale des produits vendus dans l'UE. Les notions de surveillance marché, d'achat responsable sont devenues de plus en plus présentes... La directive CSRD, qui est dans ce paquet et commence à entrer en application, implique de surveiller toute la chaîne des fournisseurs et sous-traitants. Elle génère des réflexions sur les stratégies et sur les données à recueillir : dans le rapport de durabilité qu'elle exige, une grande quantité de données alimenteront d'ailleurs le DPP. Les entreprises effectuent des bilans-carbone, analysent les cycles de vie de leurs produits... Une plateforme au niveau européen voit le jour, permettant d'agréger les données des entreprises. C'est toute la matière essentielle pour le DPP qui est déjà présente. Les entreprises vertueuses vont finalement disposer d'un nouveau canal pour mettre en avant leurs pratiques durables et se différencier de leurs concurrents ».

Chiffres : L'étude Guide to Next 2024 indique que 26 % des personnes interrogées souhaitent acheter davantage de produits durables, même si leur prix venait à augmenter légèrement.

L'Organisation Mondiale de la Santé a déclaré que les déchets électroniques constituent le volume de déchets solides qui connaît la croissance la plus rapide au monde, augmentant trois fois plus vite que la population mondiale.