Comment gérer une crise fournisseur : entre conformité et résilience
Publié par Denica Tacheva le | Mis à jour le
La gestion de crise fournisseur est un enjeu clé pour les entreprises. Entre conformité, risques juridiques et continuité des affaires, Blanche Balian, avocate experte en au sein de la pratique Ethique, Investigation, Défense du cabinet Stephenson Harwood, nous livre les étapes essentielles et les réflexes à adopter pour naviguer efficacement en période de turbulences.
Vous évoquez souvent la gestion de crise dans les relations avec les fournisseurs. Mais qu'entendons-nous vraiment par "crise" dans ce contexte?
Blanche Balian : Il existe plusieurs types de crises liées aux fournisseurs. La première est d'ordre opérationnel : par exemple, si un fournisseur fait faillite ou si des problèmes de qualité apparaissent dans les biens fournis. Ensuite, on peut rencontrer des crises d'ordre juridique, souvent liées à l'exécution des clauses du contrat. Mais aujourd'hui, nous nous intéressons particulièrement aux crises de "compliance". Celles-ci surviennent lorsque le fournisseur est soupçonné ou reconnu coupable de violations de règles, telles que la corruption, les pratiques anticoncurrentielles, les sanctions internationales, ou encore les droits humains et environnementaux.
Quelles sont les grandes étapes à suivre lorsqu'une crise est identifiée avec un fournisseur ?
B. B. : La première étape est d'identifier la problématique, autrement dit, la crise elle-même. Cette détection peut venir du département de compliance, via le recours à un dispositif d'alerte, mais aussi d'autres départements comme le juridique, l'audit ou même la direction des achats. Ensuite, une fois le problème identifié, il faut cartographier les risques : les responsabilités légales, l'image de l'entreprise, sa réputation, ainsi que les risques business. Après avoir cartographié les risques, différentes options sont envisagées, allant de la continuation du partenariat à la rupture pure et simple du contrat. Cela dépend des risques, mais tout est fait pour éviter d'arriver à cette rupture. Enfin, la gestion de crise implique également une communication soignée, aussi bien en interne qu'en externe, pour gérer au mieux l'image de l'entreprise.
Quels sont les premiers réflexes à avoir lorsqu'un problème est détecté avec un fournisseur ?
B. B. : Le tout premier réflexe à éviter, c'est de prendre une décision hâtive sans consulter les départements concernés. Il est primordial d' "escalader" le problème vers le service de compliance ou le département juridique qui pourra évaluer la situation. Un cas très fréquent aujourd'hui est l'usurpation d'identité d'un fournisseur connu, où des escrocs se font passer pour ce dernier et détournent des fonds en modifiant des coordonnées bancaires. C'est un problème que nous voyons de plus en plus avec des clients victimes de ce type de fraude. Les nouvelles technologies, comme l'intelligence artificielle, permettent même d'imiter des voix, d'où l'importance de former les équipes à détecter ces risques.
En cas de fraude, quelles sont les priorités à gérer ?
B. B. : En premier lieu, il faut gérer la crise en interne en alertant rapidement les départements concernés pour évaluer les options. Mais il est également essentiel de mener des vérifications auprès du fournisseur, notamment pour s'assurer de son identité. Du point de vue juridique, la priorité est de comprendre la responsabilité de l'entreprise elle-même : le comportement d'un fournisseur peut rejaillir sur l'entreprise cliente. Par ailleurs, il faut analyser le contrat avec le fournisseur pour savoir si des clauses permettent de mettre fin au partenariat ou d'envisager d'autres recours.
Quelles clauses sont les plus utiles pour gérer ou anticiper une crise fournisseur ?
B. B. : Nous recommandons à nos clients d'inclure trois types de clauses. D'abord, une référence aux politiques de compliance de l'entreprise qui permet, en cas de violation de ces règles, de prendre des mesures contractuelles. Ensuite, une clause de due diligence, qui facilite l'entreprise de vérifier la conformité du fournisseur avant et pendant la relation contractuelle. Enfin, il est judicieux d'ajouter une clause de règlement des différends, prévoyant par exemple un recours à une médiation avant toute procédure judiciaire.
Selon vous, quel est le rôle des départements achats dans la gestion de ces crises ?
B. B. : La direction des achats a un rôle essentiel. Elle connaît les fournisseurs de manière approfondie et est capable de détecter les comportements suspects ou les risques. C'est une direction qui est en mesure d'évaluer l'impact business d'une rupture de contrat, par exemple, et peut ainsi identifier rapidement des solutions alternatives. Cette connaissance fine des acteurs économiques permet d'adopter des décisions éclairées.
Pouvez-vous nous partager des exemples concrets de gestion de crise réussie ?
B. B. : Un exemple qui me vient à l'esprit concerne un de nos clients pendant la pandémie de Covid-19. Ce dernier faisait face à des pénuries de produits et l'un de ses fournisseurs en a profité pour exercer une pression indue. Il demandait des avantages personnels en contrepartie d'une livraison prioritaire. Après consultation avec les différents départements, le client a décidé de mettre fin au contrat. Ainsi, cette situation montre bien l'importance de ne pas céder sous la pression et de privilégier une approche conforme aux règles éthiques. La gestion de crise avec un fournisseur est une question stratégique qui engage bien plus que des enjeux contractuels. Elle repose sur une connaissance fine des pratiques économiques, une rigueur dans l'évaluation des risques et un équilibre entre conformité et continuité des affaires