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« La fonction achats doit prendre le virage de l'innovation »

Publié par Emmanuelle Serrano le - mis à jour à

Bernard Monnier, Président de MIM® (Monnier Innovation Management)

MIM® (Monnier Innovation Matrix) est une méthode de mesure de l'innovation, qui permet de valoriser les résultats issus de la recherche et de favoriser le travail en mode “innovation ouverte”. Rencontre avec son auteur, Bernard Monnier, responsable des achats pour Thales Research & Technology.



De l’entreprise individuelle entrepreneuriale à l’innovation ouverte et distribuée (“Open innovation”), des changements majeurs se sont amorcés. Pouvez-vous retracer brièvement les évolutions récentes de l’innovation ?

L’innovation est passée de l’invention individuelle du XIXsiècle à l’innovation fermée du XXsiècle où l’offre client était proposée par un industriel réalisant tout lui-même. On parlait de conception de systèmes et on parvenait à maîtriser l’ensemble de la chaîne de production. Le XXIsiècle est marqué par deux évolutions majeures lorsque l’on aborde la production d’offres technologiques de pointe. Le niveau de compétence requis grimpe de jour en jour. On ne parle plus de système, mais de systèmes complexes, et maintenant de systèmes de systèmes. Dans le même temps, les financements, qui auraient dû s'accroître, à la hauteur des difficultés à surmonter les nouveaux défis, se sont au contraire trouvés réduits… La stratégie des entreprises a été mise à l’épreuve. Il a fallu changer radicalement de paradigme : c’est l’ère de l’innovation ouverte, seule solution à ces défis. Le choix ne se pose plus : il faut accepter de ne plus contrôler en solitaire le processus de production complet, mais identifier le cœur de métier qu’il convient de maîtriser. La mise en place de cette nouvelle stratégie dans l’entreprise, consistant à introduire le savoir-faire d’autres acteurs, est essentielle et procure à la fonction achats un positionnement à forte valeur ajoutée, si celle-ci sait s’adapter aux nouveaux enjeux, qui ne sont plus basés uniquement sur les économies à court terme.

Quels outils et quels process peuvent accompagner cette révolution de l’innovation fermée vers l’innovation ouverte ?

L’accompagnement des parties prenantes dans cette révolution de l’innovation fermée vers l’innovation ouverte est plus que nécessaire, c’est un des facteurs clés de succès de la démarche. En effet, il est plus confortable de se cantonner au développement interne plutôt que d’accepter d’intégrer d’autres organisations pour construire ensemble une offre à forte valeur ajoutée pour nos clients. Comment se comprendre ? parler le même langage ? s’assurer que l’offre innovante est perçue par tous de la même façon, quand on réunit des partenaires aussi différents que des universitaires, des centres de recherche, des start-up, des TPE, PME, ETI avec de grands groupes ? Dans ce contexte, un outil  tel que MIM® peut rassembler tous les acteurs et les accompagner vers le succès des projets innovants.

MIM® est dédiée à l’accompagnement de tous les challenges décrits ci-dessus. C’est l’analyse de ces défis, apparus au début des années 2000, qui m’a incité à créer et développer une méthode, des outils pour accompagner et faciliter le changement de stratégie indispensable aujourd’hui. Mon expérience de plus de 20 ans dans la R&D m’a permis de comprendre les enjeux de la recherche et les retombées essentielles sur notre économie. Mon changement radical de métier vers le domaine des achats s’est justifié par cette vision du nouveau monde, tel que décrit précédemment. Quel est l’interlocuteur privilégié des entreprises extérieures dans une entreprise, si ce n’est les achats ? Qui, mieux que les achats, peut mettre en place une stratégie d’entreprise étendue dans une structure organisée ? Or, les achats ne pourront assurer cette nouvelle stratégie qu’en étant proactifs, en acceptant de remettre en cause les principes de management de cette fonction en profondeur.

Les usages de MIM® au service des acheteurs doivent permettre la mise en place de cette nouvelle politique de partenariat assurant ainsi à l’entité d’être capable :
- de connaître les besoins clients,
- de vendre son entreprise auprès de fournisseurs innovants,
- de fédérer toutes les fonctions de l’entreprise autour d’un projet innovant construit en incluant les partenaires externes.

Où situez-vous le curseur de l’intervention de l’acheteur dans l’open innovation ?

Bien évidemment la fonction achats, à l’interface des relations avec les intervenants extérieurs, a un rôle majeur à jouer. Aussi doit-elle prendre le virage de l’innovation, définir les contours d’un nouveau métier d’acheteur que j’appelle régulièrement “acheteur innovation”. Celui-ci doit avoir des compétences qui vont au-delà de celles qu’il possède depuis des années. Il doit à la fois être plus orienté marketing achats étendu jusqu’aux besoins clients de l’entreprise, pas seulement du prescripteur, il doit aussi avoir des notions techniques sur l’offre proposée et surtout un sens de l’organisation du travail en mode collaboratif. Tout ceci milite pour une montée en compétences du personnel achats, fonction qui devrait être représentée au niveau des plus hautes instances de management dans l’organisation. L’acheteur devrait devenir un facilitateur de la collaboration, fonction indispensable pour introduire l’innovation ouverte qui accompagne la nouvelle stratégie à mettre en place afin d’assurer l’avenir des organisations.

L’innovation de rupture peut-elle s’exprimer sur une plateforme régie par des relations réticulaires (clients finals, partenaires, fournisseurs, services R&D, marketing, commercial, achats, etc.) ?

Une innovation, c’est avant tout une offre qui rencontre une demande marché. Cela signifie qu’une invention doit satisfaire un besoin, une clientèle prête à payer pour satisfaire ce besoin. L’idée devient alors une réelle innovation. Dans un grand groupe, cela signifie que le service marketing a une mission majeure à assurer pour identifier et fiabiliser les demandes marché. Le service R&D et les partenaires à la base de la construction de l’offre doivent satisfaire ces attentes. Il est donc absolument nécessaire de rassembler les communautés de l’entreprise, trop souvent isolées dans des silos, avec les partenaires extérieurs à l’aide d’outils ad hoc afin de partager une vision commune de l’innovation souhaitée. Une plateforme de test d’usage comme le propose par exemple l’ESTIA (école d’ingénieurs du pays basque) et l’université Paris Descartes au travers de la PEPSS (Plateforme d’évaluation de prototypage et de tests d’usages). Cette plateforme, reliée à un outil de partage des différents points de vue sur l’innovation, comme je le propose avec MIM®, contribue tout naturellement à favoriser l’innovation de rupture dans des structures plus ou moins étendues aboutissant à l’innovation ouverte à tous…

Comment concilier propriété intellectuelle et open innovation ? Et quelles règles établir en amont entre donneurs d’ordres et prestataires ?

La question de la gestion de la PI constitue souvent le principal motif évoqué lors d’un échec de tentative d’open Innovation. Il est par conséquent essentiel de l’aborder, de la considérer, de la traiter et d’apporter des préconisations. L’innovation ouverte, c’est mettre ensemble des parties prenantes bien différentes :
- des universités et des centres de recherche qui ne voient qu’au travers de leurs productions intellectuelles et donc la PI qui en découle,
- des TPE, start-up, PME qui doivent vendre pour vivre de cette PI sans avoir une épée de Damoclès en s’acquittant de droits exorbitants,
- des grands groupes souvent réputés pour tout ramener à eux en termes de PI.

Tout cela justifie les craintes de part et d’autre pour avancer ensemble. C’est pourquoi je pense que le contrat ne doit pas être la phase première de la relation sous la forme innovation ouverte. Il convient avant tout de se connaître, se comprendre, s’accorder sur les enjeux de la collaboration, les apports du partenariat, les risques liés au projet, mais il conviendra aussi de définir les règles de partage des bénéfices en cas de succès. Il faudra, en quelque sorte, définir les éléments de base d’un vrai partenariat gagnant-gagnant (WIN-WIN), et non pas gagnant pour certains, perdant pour d’autres (WIN-win). Il faut ensuite que le contrat ne soit perçu que comme une formalité simple mais obligatoire pour rassurer l’ensemble des parties prenantes. MIM® permet cette mise en confiance sur la compréhension amont de l’intérêt de chacun à participer au projet. Il synthétise le caractère innovant du projet et montre de façon simple à chacun la situation à l’instant présent et celle que l’on imagine atteindre à la fin du projet de collaboration.

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