Face aux pénuries, les acheteurs publics font preuve de souplesse
Publié par Luc Perin le - mis à jour à
Les acheteurs publics ont bien intégré la réalité des pénuries dans leurs marchés : allongement des délais d'exécution, renonciation aux pénalités de retard ou encore augmentation de prix. Des aménagements qui se font au cas par cas.
Quel est l'impact de la crise des matières premières et des difficultés d'approvisionnement sur les marchés publics ? Une note de conjoncture de l'UGAP, la centrale d'achat public généraliste, soulignait en octobre 2021 leurs conséquences sur son offre dans quatre secteurs : véhicules, matériels informatiques, mobilier et équipement général, matériels et consommables médicaux. "Les pénuries touchent particulièrement les métiers du bâtiment, complète Julie Aguinalin, consultante et formatrice en marchés publics. La variation des prix des matériaux entraîne une augmentation des devis."
Ainsi, à Toulouse Métropole, la direction des moyens généraux fait face à une pénurie de certains produits standards dans le domaine des fournitures de bureau, et d'articles à base de ouate : essuie-mains, papier hygiénique, nappes jetables... Elle connaît également des difficultés de livraison pour le matériel d'impression et le matériel électronique, qu'il s'agisse de téléviseurs ou d'électroménager. "Dans le domaine informatique, les entreprises ont du mal à nous approvisionner en PC classiques, constate de son côté Fabian Halbout, directeur de l'achat public du Département de Seine-et-Marne. Leur coût a augmenté de plus de 15%."
Aménagement des conditions d'exécution des marchés
Constatées depuis environ un an, ces pénuries ont souvent mis les fournisseurs dans l'impossibilité de respecter les délais d'exécution et de livraison. D'où la circulaire du 16 juillet 2021 que le Premier ministre a adressé aux ministères avec l'objet suivant : "aménager les conditions d'exécution des marchés publics de l'Etat face aux difficultés d'approvisionnement". La mise en oeuvre de ces recommandations a été facilitée par une fiche technique de la Direction des affaires juridiques du Ministère de l'économie, des finances et de la relance. Intitulée "Les marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières", c'est un document précieux pour les services de l'Etat comme pour les collectivités et leurs établissements publics.
Concernant l'aménagement des délais d'exécution, la fiche technique de la DAJ est très claire : "Les acheteurs publics ont toujours la possibilité d'aménager les délais d'exécution lorsque des circonstances extérieures mettent le titulaire dans l'impossibilité de les respecter. En effet, les délais d'exécution peuvent être suspendus ou prolongés." C'est ce qu'a fait Toulouse Métropole pour certains contrats en cours. "C'est du cas par cas, précise Patricia Tauran, directrice des moyens généraux. Nous essayons quand même de maintenir le plus possible les délais."
Se pose aussi la question des pénalités de retard. "Le droit des marchés publics reconnaît la possibilité de renoncer aux pénalités sans que cela soit assimilé à une infraction pénale, précise maître Raphaël Apelbaum, avocat associé chez LexCase, en se référant à la décision du Conseil d'Etat du 17 mars 2010 (requête n° 308676). Ce qui se passe sur le projet ou le caractère excessif des pénalités peuvent justifier d'y renoncer", ajoute-t-il.
Par ailleurs, est-il possible de prendre en compte l'augmentation des prix des matières premières dans les contrats en cours ? La note de la DAJ rappelle que "le prix contractualisé est intangible, ainsi que les conditions de son évolution prévues à la signature du contrat". Elle souligne cependant "le droit à indemnisation ou à résiliation lorsque la théorie de l'imprévision peut être mise en oeuvre."
Variation des prix limitée
Les prix, comme les délais d'exécution, peuvent néanmoins être modifiés dans le cadre d'un avenant au contrat. "Il est possible de faire varier les prix dans la limite de 10% pour les fournitures et les services, et de 15% pour les travaux. C'est la boussole numérique, indique maître Apelbaum. L'autre boussole est l'article R2194-5 du Code de la commande publique : on peut envisager de faire varier le marché en cas de circonstances imprévues. Ce point est très largement discuté."
En 2021, l'UGAP a par exemple identifié comme "déséquilibrés financièrement" près de 180 de ses 3 600 marchés actifs. La centrale d'achat public a donc temporairement réévalué les prix de ces marchés en acceptant une partie des surcoûts dûment justifiés par les fournisseurs.
Pour faire face aux pénuries, la direction des moyens généraux de Toulouse Métropole a quant à elle mis en oeuvre une stratégie à plusieurs facettes. "Nous avons augmenté nos stocks de sécurité, rapporte Patricia Tauran. Dans le cadre de nos marchés, nous avons remplacé certains produits par des articles équivalents, de même prix. Quand ce n'était pas possible, nous avons eu recours au catalogue du prestataire pour identifier des produits proches de ceux du bordereau des prix unitaires du marché. Ce qui n'est pas sans conséquence sur les coûts."
Lire aussi : L'UGAP revoit sa feuille de route RSE
Nouvelles clauses pour les futurs marchés
Comment rédiger les futurs marchés dans un contexte de pénurie? La note de la DAJ relève plusieurs points d'attention. Elle rappelle utilement les différentes obligations en matière d'actualisation et de révision des prix. Outre les clauses de révision des prix, elle recommande l'utilisation de clauses relatives à la gestion des délais d'exécution et de clauses relatives aux avances et aux délais de paiement.
L'importance du respect de ces derniers avait été rappelée par la circulaire du 16 juillet 2021. "Il faut bien regarder les clauses de réexamen dans les nouveaux CCAG [cahiers des clauses administratives générales], conseille maître Apelbaum. Ce sont des outils intéressants qui peuvent être renforcés dans les CCAP [cahiers des clauses administratives particulières]."
A Toulouse Métropole, de nouvelles clauses de révision des prix sont en cours d'élaboration. "Si nécessaire, les grilles tarifaires seront ajustées à la hausse ou à la baisse, dans le cadre d'avenants spécifiques", explique Patricia Tauran. La directrice des moyens généraux envisage également d'introduire de nouvelles clauses relatives au stockage des produits, aux délais d'exécution ou aux pénalités de retard.
D'autres pistes lui semblent intéressantes : l'ajout de lignes supplémentaires dans le bordereau des prix unitaires ou la création de lots de matériel reconditionné ou d'occasion.
Le département de Seine-et-Marne revoit également ses clauses de révision. "La révision des prix est désormais plus fréquente et moins plafonnée, explique Fabian Halbout. Ces clauses sont un véhicule pour des modifications mais les demandes des fournisseurs sont examinées au cas par cas, sur la base de justificatifs."
La rédaction des futurs contrats sera d'autant plus pertinente qu'elle se basera sur une bonne connaissance des marchés dans le contexte actuel de pénuries. "La méthode du sourcing permet d'identifier les soucis existants sur certains marchés, rappelle Julie Aguinalin. Grâce à leur réseau, les acheteurs publics peuvent recueillir un maximum d'informations avant de lancer de leur marché, pour le rédiger au mieux".
"Les pénuries de semi-conducteurs, de bois et d'acier sont prises en compte dans nos marchés"
"D'ici fin 2022, l'objectif est que la flotte des services de l'Etat soit constituée de 50% de véhicules électriques ou hybrides. En 2021, nous avons acheté 50% de véhicules électriques ou hybrides mais la pénurie de semi-conducteurs augmente leur délai de livraison : neuf mois en moyenne aujourd'hui, soit deux fois plus qu'il y a un an.
Cette pénurie engendre également 6 mois de retard de livraison des bornes électriques. C'est pourquoi nous avons levé toutes les pénalités sur ce marché.
Dans le domaine de la rénovation des bâtiments, nous devons également faire face à l'augmentation du prix du bois et de l'acier. Les pénalités de retard ont été levées, ce qui rassure les entreprises. Nous négocions avec elles au cas par cas pour voir les effets de l'augmentation des matières premières qui peuvent être intégrés. Le surcoût est maîtrisé, de l'ordre de 5 à 8%.
Dans nos contrats, nous prévoyons systématiquement des clauses de réexamen en cas de pénurie de matières premières ou d'augmentation très sensible de leur coût. L'augmentation des prix se fait dans le cadre d'un avenant au contrat."