La transformation digitale, socle d'une démarche achat plus inclusive ?
Publié par Camille George le | Mis à jour le
La dématérialisation de la commande publique, à l'oeuvre depuis plusieurs années, se heurte pourtant toujours à un écueil : la réalité des organisations. En effet, la révolution digitale dans l'achat public butte obstinément sur le passage à l'échelle. Pourquoi ? Comment y remédier ?
Comment faire de la transformation digitale un levier de collaboration et de performance économique ? C'est la question qui habite tout directeur achats publics depuis quelques années, qu'il agisse au sein d'une collectivité territoriale, d'un établissement public à caractère industriel et commercial ou d'un groupement hospitalier. La transformation digitale s'impose aux organisations publiques. C'est bien sûr un enjeu réglementaire désormais imposé par le Code de la commande publique, mais pour que cette transformation devienne aussi un enjeu d'efficacité, de compétitivité même, les directions achats publiques ne peuvent pas se limiter à la mise en place d'outils, mais se doivent de mener une réflexion globale.
Pour Nathalie Deleville, déléguée nationale du CNA, en introduction de la dernière matinale achats publics co-organisée par le CNA et l'éditeur Per Angusta : "On assiste à une transformation profonde de la fonction, avec des enjeux importants en termes de performance, de qualité, d'innovation qui nécessitent, pour conduire le changement d'écrire une feuille de route précise." Donc en 2019, le digital et tout ce que cela recouvre, se présente sous un angle nouveau pour les achats publics et implique d'avoir une approche plus inclusive. Pour que la dématérialisation ait un impact il faut d'abord qu'elle ait un sens, il faut donc réconcilier le digital avec ce que sont les devoirs et les responsabilités sociétales des organismes publics pour une réelle efficacité.
Clarifier les objectifs à travers un schéma directeur
Construire une feuille de route digitale achats dans le contexte des marchés publics consiste, pour Eric Bardet, directeur des achats du budget et des finances des Universités Paris Sud, à avoir une vision double : "Cela consiste à avoir une bonne symbiose entre la commande publique et tout l'aspect réglementaire qu'elle porte, ET la démarche achat." Ainsi, avoir une feuille de route avec des jalons précis en fonction de sa maturité, de son organisation interne, de ses contraintes de fonctionnement, pour ne citer que cela, doit permettre grâce aux outils de faire basculer les process achats dans l'aide à la décision. "L'enjeu d'une feuille de route digitale, n'est pas juste l'implémentation de nouveaux outils, mais bien l'animation de la future politique achat et le déploiement de toute la stratégie achats à travers ces outils", insiste Eric Bardet.
Bien évidemment, suivant les contraintes et les priorités, les arbitrages ne seront pas les mêmes d'une direction achats publics à l'autre. L'autre enjeu à la mise en place d'une feuille de route digitale est de permettre de gérer les injonctions contradictoires que doit de toute façon porter la commande publique. En effet, lorsqu'on empile les cinq paramètres, les cinq objectifs de la feuille de route achat définie par l'État et qu'on essaie de les porter tous en même temps et de la même façon, cela devient vite une mission impossible. "Il faut pondérer. Bien sûr les cinq critères doivent être pris en compte, mais selon votre secteur d'activité et vos contraintes, il revient au directeur achats de trouver le bon curseur et de donner du sens à la démarche achats pour que les équipes des différents services " plongent " dans les achats", estime Eric Bardet en charge du plan de transformation achats des Universités Paris Sud.
Une feuille de route digitale permet donc de clarifier les objectifs des équipes achats et d'embarquer l'ensemble des prescripteurs. "Cela permet d'organiser la transformation, de repenser le SI sur toute la chaîne achats en anticipant les impacts chez les différents utilisateurs", indique Ludivine Chazelle, chef de projet accompagnement au changement chez Klee Group.
De l'importance du marketing achat...
Mais parce que digitaliser pour digitaliser n'aboutit en général sur rien de concret et encore moins d'efficace, il incombe au directeur achats de porter "la vision" de la digitalisation des achats publics. "Cela revient ni plus ni moins à faire de la pédagogie achats, estime Eric Bardet. On peut tout à fait utiliser le digital pour réduire les risques, notamment par exemple pour identifier et éradiquer tous les contrats orphelins pas ou peu suivis." Pour que le marketing achat soit efficace, il convient de travailler trois axes : l'ambition, la vision et le risque. En partant d'une cartographie des dépenses, on peut ensuite produire une lecture des achats comprise par tous, ce qui provoquera in fine la prise de conscience nécessaire pour mettre en lien la gestion des risques et l'ambition globale. "Il faut beaucoup d'énergie à l'architecte achats pour faire comprendre et accepter sa feuille de route digitale. Cela passe par des actions sur le pilotage achats pur, mais aussi en agissant sur l'opérationnel pour fluidifier et simplifier les process en évitant qu'une commande fournisseur soit saisie quatre fois par exemple", illustre Eric Bardet.
Un projet de digitalisation permet donc de donner de la visibilité aux actions des achats. Pour la région AURA (région de taille équivalente à l'Irlande) qui déploie son nouveau SI achats (SIAM) depuis 9 mois, ce projet a permis de mettre en lumière les actions achats. "Grâce à l'outil, nous nous rendons visibles auprès de nos prescripteurs et commençons à constater un changement d'attitude important", se réjouit Aurélia Degnifo Lucot, responsable du service pilotage, méthodes et outils de la direction des achats de la région. La centralisation des deux directions achats historiques en une seule entité régionale a permis de rendre plus visible et plus lisible les actions de chacun. "Les fournisseurs ont une seule adresse, un point d'entrée unique et l'ensemble des besoins ressort sur les profils acheteurs", détaille Aurélia Degnifo Lucot.
Réconcilier SI achats et SI Finance pour aligner l'effet gains avec l'effet budgétaire est un autre levier pour être visible auprès des métiers. "Après 9 mois de déploiement et un gros travail sur la data et la simplification des process, nous allons aborder un deuxième palier en 2020 pour travailler l'interface avec le SI Finance", explique Aurélia Degnifo Lucot. Cette réconciliation fait sens (elle constitue d'ailleurs l'un des objectifs de la nouvelle directive du Comité interministériel de la transformation publique 2020), mais reste complexe dans la mise en oeuvre, ne serait-ce que parce l'économie achat n'est pas toujours la même ligne budgétaire.